10 Février 2021
Image d’illustration Crédit Image par Ulrike Leone de Pixabay
Temps de lecture 11' 15''
La méthode de la formation simultanée, une idée géniale du siècle dernier.
J’ai appris l’existence de cette méthode et de ses cas d’application en préparant le concours d’inspecteur qui a changé maintes fois d’appellation au point que je ne sais plus quel nom il peut porter aujourd’hui. Dans les années 1980 et avant, c’était la voie royale pour diriger les grandes gares et les établissements d’exploitation ou, pour ceux qui préféraient la voie de la spécialisation, faire carrière à la direction du Transport dans les divisions de la réglementation ou des installations.
Bien qu’ayant fait des stages dans un triage lors des deux années de préparation qui nous faisaient découvrir une large panoplie des différents services du transport, je n’avais jamais entendu parler de cette méthode qui, il faut le reconnaitre, trouvait toute sa pertinence dans les triages RO (régime ordinaire) formant beaucoup de trains de desserte, ce qui n’était pas le cas dans le triage RA (régime accéléré) que le sort m’avait attribué.
Après avoir fait quelques recherches pour découvrir le concepteur de cette méthode, je ne fus pas surpris de découvrir qu’en 1917, un bien nommé « Renard » avait mis au point ce procédé astucieux. Rusé comme un Renard, Jean de La Fontaine nous l’a souvent montré et le patronyme de cet inventeur nous le démontrait une fois encore.
La première fois que j’ai lu ce règlement du Transport dont je ne me rappelle plus les références exactes, mon attention avait de suite été attirée par une formule mystérieuse que l’on ne s’attendait pas à trouver là. Il s’agissait de : 2n – 1.
Quel était donc ce « n » placé en puissance de 2 ?
Il s’agissait, à partir du nombre « n » de voies de sous-triage dont on disposait, de déterminer le nombre de lots que l’on pourrait former dans les trains de desserte. Prenons un exemple. Si l’on disposait de 3 voies de sous-triage libres, on pouvait former des trains de : 23 -1 = 7 lots. De même si on avait 4 voies de sous-triage : 24 – 1 = 15 lots et ainsi de suite et ce, quel que soit le nombre de trains à former (dans les limites de capacité de wagons de ces voies).
Nous allons évidemment prendre des exemples car j’ai bien conscience que, pour l’instant, tout cela doit paraître bien obscur.
Avant cela, pour que les néophytes partent sur un même pied d’égalité que ceux qui ont déjà la connaissance des triages, voyons quel est le cheminement normal d’un wagon qui transite par un triage. Sachant qu’avec les modifications successives apportées aux plans de transport, le passage par des GPF en lieu et place des triages a quelque peu modifié une partie de l’acheminement des wagons isolés. Faisons donc comme à la belle époque, quand le triage constituait le rouage essentiel dans les acheminements de wagons.
Un wagon chargé dans une gare était « enlevé » par un train de ramassage qui parcourait la ligne de gare en gare. Arrivé à la gare de triage, il était trié sur une voie de formation avec tous les autres wagons destinés à un triage qui le rapprochait de son lieu de livraison. Une fois arrivé au triage le plus proche de son point de livraison, il était incorporé dans un train de desserte de distribution.
Le schéma suivant peut synthétiser cette organisation :
Explications de la méthode de la formation simultanée.
Dans les triages devant former des trains de dessertes, c'est-à-dire ceux qui desservaient une section de ligne donnée en laissant dans chaque gare un lot de wagons (il pouvait y avoir plusieurs lots pour une même gare importante), il était nécessaire, pour faciliter les manœuvres des trains en ligne, de classer les wagons en fonction de l’ordre des gares qu’ils allaient desservir.
Comment cela marchait ?
Tout au long de la journée, lors de chaque débranchement des trains inter-triages, les wagons destinés aux dessertes locales étaient dirigés vers des voies dites de sous-triage en vue de la formation ultérieure des trains de desserte.
Pour faciliter et réduire les manœuvres de formation des trains de dessertes, l’affectation des wagons à ces voies de sous triage se faisait dans le respect de la méthode dite de la formation simultanée.
a) Premier exemple
Pour commencer prenons un exemple le plus simple possible pour comprendre le mécanisme.
Imaginons que dans un triage, on ait besoin de former deux trains de desserte composés de 3 lots chacun. Le premier train T1 dessert dans l’ordre les gares A, B et C. Le train T2 dessert dans l’ordre les gares D, E, F. Pour faciliter les manœuvres dans les gares intermédiaires, le lot A devra être en tête, le lot B devra suivre et le lot C fermera la marche. Il en est de même pour le train T2 (D, E, F)
Dans ce cas de figure, compte tenu du faible nombre de lots (3), seules 2 voies de sous-triage sont nécessaires ( 22 -1 =3 soit 3 lots possibles). Le nombre de trains est indépendant et n’intervient pas dans la formule, il peut par exemple y avoir 4 trains de 15 lots chacun si l’on dispose de 4 voies de sous-triage.
Revenons à notre cas très simple de 2 trains avec 3 lots.
Voie de sous-triage 1. Situation de l’occupation de cette voie en fin de journée : seuls les wagons des gares A, C, D, F (en vrac) ont été écartés sur cette voie. C’est l’anticipation de la méthode de formation simultanée qui a prévu l’affectation de ces lots sur cette voie de sous triage. Prenons, au hasard, un exemple de composition de cette voie tel qu’il pourrait résulter des débranchements successifs. 3C+2A+1F+2A+2D+1C+2F+1D+3F soit 17 wagons (Légende : 3C signifie 3 wagons du lot C. La coupe des 3 wagons du lot F que l’on trouve à la fin de cette énumération est celle située côté bosse, donc celle qui sera débranchée en dernier.
Voie de sous-triage 2. Situation de l’occupation de cette voie en fin de journée : seuls les wagons des gares B et E (en vrac) ont été écartés sur cette voie. C’est l’anticipation de la méthode de formation simultanée qui a prévu l’affectation de ces lots sur cette voie de sous triage. Prenons au hasard un exemple de composition de cette voie tel qu’il pourrait résulter des débranchements successifs de la journée : 3B+4E+1B+2E+1B+1E+2B soit 14 wagons. La coupe des 2 wagons du lot B que l’on trouve à la fin de cette énumération est celle située côté bosse.
Au total nous avons 17 +14 = 31 wagons à débrancher en deux fois (d’abord la voie 1 puis la voie 2).
Le train T1 sera formé sur la voie 3 avec les lots ABC dans l’ordre et le train T2 sur la voie 4 avec les lots DEF dans l’ordre.
On commence le débranchement de la voie de sous triage 1 en passant les wagons à la bosse (ou butte).
Tous les wagons A (il y en a 4 : 2 +2) sont débranchés sur la voie 3.
Tous les wagons D (il y en a 3 : 2 +1) sont débranchés sur la voie 4. Les wagons C (il y en a 4 :3+1) et les wagons F (il y en a 6 : 1 +2+3) sont débranchés sur la voie de sous-triage 2
La situation nouvelle est la suivante :
Voie de sous-triage 1 : ne comporte plus de wagons puisque tous ont été débranchés soit sur la voie 3, soit sur la voie 4 soit sur la voie de sous triage 2.
Voie de sous-triage 2 : 3B+4E+1B+2E+1B+1E+2B (déjà en place) + 3C+1F+1C+2F+3F (wagons rajoutés après le débranchement de la voie 1) soit 14+10 = 24 wagons
Voie 3 2A+2A soit 4 wagons
Voie 4 2D+1D soit 3 wagons
On retrouve nos 31 wagons du départ (24 +4+3) mais répartis sur 3 voies au lieu de 2.
On effectue le deuxième et dernier débranchement car, si vous observez bien, tous les wagons sont à présent classés de telle façon qu’ils peuvent être débranchés directement sur les voies de formation de T1 et T2. En effet, dans l’ordre où ils se trouvent, les 3B iront voie 3, les 4E iront voie 4, 1B ira voie 3, les 2E iront voie 4, 1B ira voie 3, 1E ira voie 4 et les 2B iront voie 3. De même, les wagons qui ont été ajoutés à la voie 2 lors du premier débranchement trouvent leurs places naturellement sur les voies d’affectation sans manœuvre supplémentaire. En effet, les 3C iront voie 3 après les B déjà en place, 1F ira voie 4 après les E et ainsi de suite jusqu’au dernier.
Voie 3 : 15 wagons du train T1classés.
Voie 4 : 16 wagons du train T2 classés.
Les trains T1 et T2 sont formés dans l’ordre voulu en seulement 2 débranchements (2 allers et retours de la machine de manœuvre)
Si on n’avait pas utilisé cette méthode, qu’est-ce qui se serait passé ?
Deux possibilités :
- soit débrancher dans le courant de la journée les 31 wagons en vrac sur 1 voie de sous-triage,
- soit utiliser autant de voies de sous-triage qu’il y a de lots soit 6 voies, ce qui était difficilement acceptable dans un triage où la ressource en nombre de voies était limitée. A la belle époque, 3 à 4000 wagons étaient triés dans certains triages.
Dans le premier cas (31 wagons en vrac), il aurait fallu aller rechercher ces wagons et les débrancher sur 6 voies de sous-triage (autant que de nombre de lots) puis aller chercher le lot B et le mettre sur le A puis aller chercher le lot C et le mettre sur les lots A+B et faire de même avec les lots D, E et F. Il aurait donc fallu 8 mouvements de manœuvre allers et retours pour arriver au même résultat.
Dans le deuxième cas il aurait fallu 7 mouvements de manœuvre allers et retours soit un de moins que le précédent mais on aurait dû occuper 6 voies de sous-triage toute la journée. On voit bien l’intérêt de cette méthode qui servait à rationaliser le travail, à économiser des voies de sous-triage et permettait de gagner du temps dans la formation des trains et donc d’obtenir une meilleure régularité des trains au départ.
Pour résumer au lieu de 8 ou 7 mouvements, 2 étaient seulement nécessaires soit 4 fois moins.
b) Deuxième exemple
Nous avons vu un cas très simple mais qu’en serait-il si on avait dû trier des trains à 7 lots, cas beaucoup plus fréquent
Petit rappel pour commencer, dans ce cas de figure il faut 3 voies de sous-triage (23 -1 = 7)
Considérons que nous avons 2 trains (T1 et T2 ; il pourrait y en avoir 3, 4, 5) composés de 7 lots chacun (les trains pourraient avoir de lots en nombre différent mais restons dans le cas le plus simple).
Le train T1 a les lots A1 B1 C1 D1 E1 F1 et G1 devant être classés dans cet ordre. Le chiffre 1 en exposant correspond au train T1. Ainsi le lot A1 est le lot A du train T1 et ainsi de suite pour B, C, etc.
Le train T2 a les lots A2 B2 et ainsi de suite jusqu’à G2 dont l’ordre doit être respecté. Le chiffre 2 en exposant correspond au Train T2. Ainsi le lot A2 est le lot A du train T2. Et ainsi de suite pour B, C, etc.
Le programme de débranchement des trains de la journée a prévu d’écarter sur les 3 voies de sous-triage (1, 2, 3 par exemple) les wagons des trains de desserte à former en fin de journée. En vue de la formation simultanée, l’affectation des lots sur ces voies a été la suivante :
- tous les lots A1 et 2, C1 et 2, E1 et 2, G1 et 2 ont été mis en vrac sur la voie 1
- tous les lots B1 et 2, F1 et 2 ont été mis en vrac sur la voie 2
- les lots D1 et 2 ont été mis en vrac sur la voie 3.
En fin de journée, imaginons que les 3 voies comportent les wagons suivants issus des coupes successives des différents débranchements (pris au hasard, un ordre différent sur une même voie n’aurait aucune conséquence)
Voie 1 : 2G1 + 3C2 + 1E2 + 2A1 +1C1 + 1G1 + 2E1 + 1G2 + 1A2 + 3A1 +2C1 +1E1 + 2A2 soit 22 wagons. Dans l'exemple, 2G1 correspond à une coupe de 2 wagons du lot G destinés au trainT1 et 3C2 à une coupe de 3 wagons du lot C destinés au train T2. La dernière coupe de l'énumération 2A2 est celle qui est la plus proche de la bosse.
Voie 2 : 3F2 + 4B1 + 2B2 + 1F2 + 2B1 + 5 F1 + 3B2 + 2F1 + 2B1 soit 24 wagons.
Voie 3 : 3D2 + 1D1 + 4D2 + 5D1 + 1D2 soit 14 wagons.
Les trains T1 et T2 seront formés sur les voies 4 et 5 par exemple.
On commence par débrancher la voie 1 : les wagons A1 vont sur la voie 4 et les A2 sur la voie 5. Les lots C1 et 2 et G1 et 2 sont mis sur la voie 2 en plus de ceux qui y sont déjà. Les lots E1 et 2 sont mis sur la voie 3 en plus de ceux qui y son déjà.
La nouvelle situation est la suivante :
Voie 1 : plus aucun wagon sur cette voie, les 22 wagons ont été débranchés sur les voies 2,3, 4 et 5
Voie 2: 3F2+4B1+2B2+1F2+2B1+5F1+3B2+2F1+2B1 plus ceux ajoutés 2G1+3C2+1C1+1G1+1G2+2C1 = 34wgs
Voie 3 : 3D2 + 1D1 + 4D2 + 5D1 + 1D2 auxquels on a ajouté 1E 2 +2E1 + 1E1 soit 18 wagons
Voie 4 : 2A1 + 3A1
Voie 5 : 1A2 + 2A2
On continue en débranchant la voie 2 et vous allez voir que tout va s’éclaircir.
Les lots B1 et B2 prennent leurs places sur les voies 4 et 5. Les lots C1 et C2 prennent leurs places derrière les B1 et B2 voies 4 et 5. Les lots F1 et F2 vont sur la voie 3. Les lots G1 et G2 vont à leur tour sur la voie 3 derrière les F1 et F2 qui viennent d’être débranchés.
La nouvelle situation est la suivante :
Voies 1 et 2 : plus de wagon.
Voie 3 : 3D2+1D1+4D2+5D1+1D2 plus 1E 2+2E1+1E1 plus 3F2+1F2+5F1+2F1+2G1+1G1+1G2 soit 33 wagons
Voie 4 : 2A1 + 3A1 + 4B1 + 2B1 + 2B1 +1C1 +2 C1 soit 16 wagons
Voie 5 : 1A2 + 2A2 +2B2 +3B2 +3C2 soit 11 wagons.
On voit que la formation simultanée a parfaitement fonctionné puisque sur la dernière voie à débrancher (la 3) tous les lots sont classés dans le bon ordre et vont pouvoir être débranchés sur les voies 4 et 5 en respectant le classement. On a fait en tout et pour tout 3 mouvements allers et retours de manœuvre
Si on n’avait pas utilisé la méthode de FS, il aurait fallu avoir recours soit :
- à 14 voies de sous triage (1 par lot) plus 23 mouvements de manœuvre (je compte un mouvement pour un aller et retour) pour former les lots des 2 trains dans le bon ordre,
- à écarter les 60 wagons sur deux voies de sous-triage puis à faire deux débranchements sur 14 nouvelles voies de sous triage plus faire les mouvements de formation des lots dans le bon ordre soit un total de 26 mouvements allers et retours de manœuvre.
On a donc divisé par 8 le nombre de mouvements de manœuvre. S’il y avait eu trois trains à former de 7 lots on aurait économisé encore plus de mouvements sans parler des voies de triage (21 nécessaires soit une situation irréaliste).
Quant aux trains à 15 lots (4 voies de sous-triage 24 -1 =15) ou, encore mieux, ces 15 lots avec une formation simultanée traitée alternativement avec les deux bosses d’extrémités opposées, on rentre là dans un petit casse tête que l’on peut difficilement développer par écrit sous peine de se noyer sous une avalanche de lettres et de chiffres. Des tableaux de débranchement conçus pour cela prévoyaient les plans de débranchement avec les reports de voies nécessaires.
Ceux qui ont des triages en modélisme ferroviaire peuvent s’amuser à expérimenter cette méthode pour en mesurer l’efficacité. Si j’avais la chance d’en avoir un, c’est ce que je ferais.
J’ai écrit un article similaire sur le forum « trains du midi », mais moins détaillé, la nature même du forum ne s’y prêtant pas.
Sources: outre mes souvenirs personnels, RGCF mars 1940 retronews.