13 Février 2021
image d'illustration RGCF juin 1932 Retronews
La répétition des signaux du 19ième siècle à la seconde guerre mondiale.
Sources RGCF et Tramways 2/ 1900, RGCF et Tramways 6 /1900, RGCF et Tramways 1 /1911, RGCF 6 /1932, RGCF 12 /1936, Science et Monde mars 1934, La locomotion moderne 1951 R. Barjot.
La répétition des signaux
Dans la deuxième moitié du 19ième siècle, l’idée est venue aux ingénieurs de donner au mécanicien une information sur la position des signaux qu’il venait de franchir, ceci en vue de pallier une inobservation ponctuelle de la signalisation soit parce qu’une tâche aurait pu détourner son attention, soit parce que les conditions de visibilité auraient masqué le dit signal, soit la nuit en cas d’extinction des feux associés.
Mais comment faire pour transmettre cette information en provenance du sol vers ce mobile qui se déplaçait à une vitesse folle proche de 100km/h ?
L’idée première fut d’installer une pédale entre les rails reliée mécaniquement au signal de sorte que lorsqu’il était ouvert, la pédale était abaissée alors que lorsqu’il était fermé, la pédale était levée. Le mobile était équipé, quant à lui, d’un dispositif pendant qui entrait en contact avec la pédale en position haute et retransmettait cette information au mécanicien par une transmission mécanique. Malgré tout le soin apporté à ce dispositif pour encaisser les chocs répétés, ni le mobile, ni l’installation fixe au sol n’ont pu résister à ce traitement violent.
L’idée seconde fut de reprendre l’idée première en l’améliorant significativement notamment afin de lui éviter les chocs que les transmissions rigides n’avaient pu supporter. On doit cette invention, datant de 1872, à deux ingénieurs de la Compagnie du Nord: messieurs Lartigue et Forest.
L’installation au sol n’était plus une pédale mais une pièce métallique placée entre les rails et reliée à une pile par un commutateur asservi au signal de telle sorte qu’elle était en charge lorsque le signal était fermé. Le mobile avait un dispositif récepteur métallique appelé « brosse » qui frottait sur le crocodile. La brosse était constituée d'une série de balais de fils de cuivre durs mais ayant une certaine élasticité.
Lorsque le signal d’annonce était ouvert, il ne se passait rien mais lorsqu’il était fermé, la brosse captait le courant ce qui déclenchait un sifflet électromoteur dans la cabine de conduite. Le sifflet est le point A de la figure ci-dessous. La vapeur arrive par B lorsque le levier C s'abaisse. Le mouvement vers le bas se produit lorsque l'attraction provoquée par l'électro aimant D cesse (passage du courant dans les bobines dans un sens déterminé). Le sifflet fonctionne tant que le mécanicien ne le réarme pas au moyen du levier E. Le fil de l'électro aimant est relié à la brosse.
Voici un crocodile tel qu’il se présentait il y a une centaine d’année (et même moins) avec le blochet en bois qui le précédait pour éviter les chocs avec la brosse. La hauteur par rapport au rail était de 9cm. A droite tel qu’il se présente aujourd’hui.
J'ai trouvé un schéma explicatif avec une très sympathique machine à vapeur qui, ne serait-ce que pour cette dernière, mérite d'être montré.
Dans certains cas notamment pour les signaux à proximité des gares comme les disques, la Compagnie du Nord avait doublé le disque initial par un disque secondaire qui avait une autre utilité. En effet, il était destiné à avertir les agents des gares et de postes (ou même des gardes de PN) du franchissement par un train du signal à distance. Le schéma d'implantation était le suivant.
Comme ce dispositif donnait toute satisfaction, la compagnie du Nord a souhaité étendre ces installations aux lignes à voies uniques. La première idée, qui ne fut pas retenue, était de désaxer à la fois les crocodiles et les brosses des locomotives pour orienter l'action des appareils. N'oublions pas qu'à la fin du 19ième siècle c'est l'ère de la vapeur et que les locomotives circulaient cheminée à l'avant. Mais cette pratique n'était pas une règle absolue et dans certains cas, les engins moteurs pouvaient rouler cheminée en arrière. La solution a été trouvée en encadrant les crocodiles par deux autres appareils qui avaient pour fonction de mettre en action ou de neutraliser selon le cas les crocodiles.
Un progrès certain venait d’être accompli avec ce dispositif qui était toutefois perfectible car, comme nous l’avons dit plus haut, une coupure ou même un mauvais contact entre la brosse et le crocodile se traduisait par une absence d’information au mécanicien alors que le signal pouvait être effectivement fermé sur le terrain. Les cas de dysfonctionnements étaient excessivement rares comme indiqué dans la revue RGCFT de Février 1900.
Pour les signaux d'arrêt, le signal optique était doublé par un signal acoustique produit par un pétard écrasé si le signal était franchi fermé. Le dispositif était constitué d'une tige, solidaire du mât du signal, portant un pétard qui venait se placer sur le rail lorsque le signal était fermé. Ce dispositif sommaire n'était pas utilisable lorsque la voie était parcourue dans les deux sens. Aussi, à la fin des années 1890, la Compagnie du Nord a étudié un dispositif électrique constitué d'une boite porte pétard placée en parallèle de la voie qui permettait la présentation du pétard sur la file de rail lorsque les conditions voulues étaient réunies. Le porte pétard effectuait une rotation d'un quart de tour autour d'un axe pour passer de la position effacée à la position active. Il pouvait être utilisé dans les deux sens de circulation contrairement au précédent.(RGCF 12 1900)
Après la première guerre mondiale, un complément fut apporté au système de répétition des signaux. A l’indicateur enregistreur Flaman (du nom de son concepteur Eugène Flaman) a été ajoutée une fonction d’enregistrement des signaux et des actions de vigilance du mécanicien. Cette fonction d’enregistrement était basée sur un dispositif électromécanique qui, selon la tension électrique du crocodile + ou – (signal ouvert ou signal fermé soit ce que l'on a appelé la double répétition), traçait un trait vers le bas ou vers le haut sur la ligne supérieure de la bande graphique enregistreuse de vitesse. Les actions de vigilance avant le franchissement du signal et d’arrêt de la sonnerie après un signal fermé étaient enregistrées sur la ligne inférieure. Le conducteur devait dans ce cas là, et indépendamment de ces actions de vigilance, réduire sa vitesse pour être en mesure de s’arrêter en amont du signal d’arrêt annoncé.
Un petit levier appelé, levier de vigilance, visible au-dessus de l’indicateur Flaman devait être actionné par le mécanicien.
Voici un exemple d’une situation rencontrée par le mécanicien et la retranscription de ses actions sur la bande (date 1930 avec signaux différents d’aujourd’hui)
D’autres pistes de transmission de l’information du sol au mobile avaient été envisagées avant guerre comme la transmission par induction c'est-à-dire sans contact. Ces crocodiles d’induction comme on les appelait n’avait de défaut que leurs coûts ce qui a freiné leurs installations sur les lignes déjà équipées de crocodiles. La RATP, après avoir repris la ligne de Sceaux, avait installé ce type de crocodile. Sur la SNCF, on peut faire le parallèle avec les balises utilisées dans la signalisation de préannonce (ligne dont la vitesse était supérieure à 160km/h) qui fonctionnaient sur un principe identique avant qu'elles ne soient remplacées par les balises KVB.
Le Freinage Automatique.
Ce système avait d’abord fonctionné sur le réseau Nord pendant vingt ans jusqu’en 1896. Le principe du mécanisme décrit plus haut utilisé pour le sifflet avait été adapté pour actionner le frein direct. Mais les inconvénients l’avaient emporté sur les avantages et il avait été supprimé. En effet, freiner automatiquement un train franchissant un signal d’annonce fermée était pénalisant tant du point de vue de la régularité que de la sécurité.
Du point de vue de la régularité, le système était très contraignant puisqu’il suffisait qu’un train soit en retard par rapport à l’horaire de son sillon pour que le train suiveur soit freiné automatiquement jusqu’à l’arrêt alors que le train précédent pouvait avoir repris une marche normale. L’effet « boule de neige » se produisant alors vis-à-vis des trains suivants.
Du point de vue de la sécurité, le freinage automatique pouvait être brutal, non maîtrisé pouvant provoquer des réactions brusques, des ruptures d’attelage ou même enrayer les roues ce qui pouvait s’avérer contre productif.
Plusieurs pistes avaient alors été étudiées en vue d’améliorer ce dispositif :
1) Mettre un levier à disposition du mécanicien pour annuler le freinage automatique, mais la question se posait alors de l’utilité de cet automatisme puisque l‘on se trouvait à la merci d’une erreur du mécanicien. Le seul cas où le freinage automatique pouvait être considéré comme supérieur à tout autre système survenait lorsque le mécanicien et son chauffeur (nous sommes dans la période de la machine à vapeur) étaient tous les deux morts. Cas jamais observé dans les annales du chemin de fer si ce n'est dans les cas de collisions ferroviaires. Par contre, lorsque les mécaniciens ont commencé à être seuls à la tête des trains, le dispositif « d’homme mort » puis dans les années 60 de « Vacma » sont devenus la règle.
2) Voyez maintenant ce qu’écrivait A. Lemonnier, Ingénieur en chef de la SNCF, à la fin de la guerre sur les perspectives d’amélioration :
« Contrôler la marche du train depuis le passage de l’avertissement fermé jusqu’aux abords du carré ou sémaphore suivant ; ne pas faire intervenir l’appareil si le mécanicien freine correctement et ne déclencher le freinage automatique, jusqu’à l’arrêt du train, que dans le cas exceptionnel où le mécanicien ne freine pas suffisamment » Ces principes ressemblent étrangement à ceux retenus pour le KVB en 1991 (courbe de contrôle qui surveille la courbe de freinage), or ils ont été énoncés en 1945 sur la base d’expérimentations déjà effectuées aux USA avant la seconde guerre mondiale (train control) et même en Europe puisque l’Allemagne, qui n’avait pas de dispositifs de répétition de signaux, décidait de l’adopter en 1939. Sans doute que ces systèmes n’avaient pas les performances du KVB qui a vu le jour 50 ans après, mais de là à nous présenter le KVB comme une invention Suédoise datant des années 1980, c’est un peu inexact.
Monsieur Lemonnier terminait son propos en disant « Il est évidemment indispensable d’attendre quelques années pour avoir un avis définitif sur la valeur de ces appareils » Il ne pensait sans doute pas qu’il en faudrait une cinquantaine pour l’adopter.
La signalisation en cabine.
Un autre grand visionnaire des chemins de fer, Robert Le Besnerais qui fut le premier Directeur de la SNCF en 1938, tenait dans la revue des chemins de fer de 1932 les propos suivants au sujet des progrès à accomplir par les chemins de fer :
« Remplacer l’observation des signaux avancés, installés de place en place sur la voie, par une indication donnée d’une façon continue sous les yeux même du mécanicien » et il ajoutait même « avec ce système les signaux de la voie ne servent plus à rien : pourquoi les conserver ? » Ce n’est rien d’autre que la définition de la signalisation en cabine apparue 50 ans après sur les lignes TGV. Vous allez me dire que de passer de l’idée à la pratique, il faut un certain temps. Oui et non car ce dont il parlait n’était pas au stade de projet mais de réalisation depuis déjà une dizaine d’années en Amérique du Nord et Robert Le Besnerais, qui venait de faire un voyage aux Etats-Unis, racontait qu’il avait pu circuler sur une voie sans signaux, en meilleure sécurité qu’avec les signaux ordinaires ! En contrepartie de cette suppression, toute défaillance du Cab Signal se traduisait par l'obligation de marcher à vue.
Les locomotives à vapeur disposaient de lampes vertes jaunes et rouges reproduisant la signalisation rencontrée. Mieux encore, l’allumage de ces différentes lampes se faisait sous l’action d'un courant "codé" (75 ou 180 impulsions à la minute: 75= feu jaune, 180 = feu vert et 0 = feu rouge) envoyé dans les rails de sorte que l’information donnée était continue et pouvait même s’adapter à une situation imprévue, rail cassé, dont l’information apparaissait en temps réel, alors que le signal d’avertissement avait pu être déjà franchi. Un signal acoustique venait appuyer tout changement de l'état des feux de la signalisation d'abri. C’est cette invention qui avait décidé quelques compagnies de chemin de fer d’Amérique de supprimer le freinage automatique très pénalisant pour la régularité comme nous l’avons vu dans les paragraphes précédents.
Nous voyons ci-dessous une cabine de locomotive à vapeur avec la rampe de 5 feux correspondant au Cab Signal.
Une expérimentation du Cab Signal a été effectuée en France sur la section de ligne de Caen à Cherbourg avec un équipement de 100 locomotives. (Rgcf de 12/1936). Je n'ai pas trouvé de retour sur cette expérience qui, visiblement, n'a pas eu de suite.
Conclusion
On voit bien, à travers cette rétrospective, que le chemin de fer n’a eu de cesse que d’innover pour progresser toujours plus dans le domaine de la sécurité. La prise en compte des facteurs humains, dans les accidents de chemin de fer, a conduit les ingénieurs à une recherche incessante d’automatismes pour se prémunir contre d’inévitables erreurs humaines. Ce qui manquait le plus souvent dans la réalisation de ces innovations étaient les moyens informatiques arrivés beaucoup plus tard, mais l’ingéniosité de ces hommes compensaient largement les techniques qui faisaient encore défaut. Si tous les cerveaux qui travaillaient autrefois en grand nombre pour le chemin de fer pouvaient aujourd’hui revenir, nul doute qu’avec les technologies du 21ième siècle, le rail avancerait à pas de géant.