10 Mars 2021
Image d'illustration: revue PLM 7 1937
Je vous propose de continuer à parcourir l’histoire mythique des autorails Bugatti.
La première publication concernait les records et le descriptif technique : https://cheminot-transport.com/2021/02/l-autorail-bugatti-ou-le-levrier-sur-rails.html
La deuxième avait trait à son exploitation sur le réseau PLM. Elle donnait les caractéristiques du Parc et précisait l’affectation dans les différents centres et dépôts. https://cheminot-transport.com/2021/03/les-bugatti-sur-le-plm-1ere-partie.html
Nous allons à présent décrire les dessertes commerciales et vous allez voir qu’elles sont nombreuses, aussi bien sur des grands parcours à grande vitesse que sur des parcours de desserte omnibus.
2) Les dessertes commerciales.
Les premiers Bugatti livrés étaient des couplages configurés en voiture de 1ère classe Pullman de 74 places avec cuisine / buffet pour les consommations et petits repas. Il était donc logique que ce soit sur des grands parcours directs ou plutôt semi-directs que ces autorails puissent révéler tout leur potentiel. On peut donc penser tout naturellement à l’artère Paris Lyon. En fait, c’est sur Paris Vichy Clermont Ferrand que la première desserte commerciale a eu lieu d’où cette fameuse affiche passée à la postérité :
Mais ne brûlons pas les étapes, avant la première desserte il y a eu les essais de réception et de montée en vitesse auxquels Jean Bugatti participait parfois. Voyons-en le compte rendu.
Le premier couplage a été reçu au mois de Mai 1934 et a de suite fait l’objet d’essais de comportement et de vitesse sur les lignes de Melun à Montereau via Héricy. La section de ligne de Moret à Héricy avait été choisie en raison des courbes à faible rayon (500 mètres) qui limitaient la circulation des trains à 95km/h. Le Bugatti s’est joué aisément des ces difficultés puisqu’il l’a parcourue de bout en bout à 140km/h soit un excédent de vitesse de 50% par rapport à celle imposée ! Sur le deuxième tronçon d’Héricy à Moret dont les courbes ont au minimum 1000 mètres de rayon, le Bugatti a réalisé sans problème une vitesse de 155 km/h qu’il aurait pu dépasser s’il avait bénéficié d’une transmission plus appropriée. Quelques mois auparavant, sur ce même tronçon, le chemin de fer de l’Etat avait testé jusqu’à 175km/h un Bugatti à la transmission adaptée.
En conclusion de ces essais, la vitesse maximum de l’autorail avait été fixée à 150km/h sur la majeure partie de la ligne Paris Lyon et à 140km/h sur la ligne de Clermont Ferrand. Ce relèvement de vitesse était possible grâce aux performances de freinage puisqu’à 150km/h, l’arrêt était obtenu à 950 mètres en pente de 8mm/m soit en deçà de la distance de couverture réglementaire fixée à 1000mètres.
Sur ces bases, la marche des trains était calculée pour le parcours Paris Clermont en 260 mn soit une moyenne commerciale de 98,5km/h versus 79km/h pour le meilleur train rapide. Sur Paris Lyon, la marche était établie à 109,5km/h.
La mise en circulation en service commercial pouvait alors être prononcée le 5 juillet 1934, elle faisait l’objet des ordres de service 1522 et 3380
1) Paris Vichy Clermont Ferrand (en relation saisonnière)
Inaugurée par le ministre des travaux publics quelques jours avant, la relation saisonnière Paris Vichy Clermont a été lancée le 9 Juillet 1934 et a pris fin le 17 Septembre. Relier la station thermale bien connue à Paris en moins de 4 heures constituait un saut de performance très important puisque le Bugatti faisait gagner 3/4 d’heure par rapport au service d’hiver. Au lancement, le train était constitué d’un couplage Bugatti de 74 places de première classe mais l’accès aux voyageurs de seconde y était autorisé moyennant un supplément de 20 francs. A partir du service d’été suivant, la desserte était confiée à un Bugatti simple (détaché du centre de Nice), le couplage étant réservé à la ligne impériale.
Ci-dessous le Bugatti simple du service d’été débuté le 15 juin 1935.
Par souci du confort des voyageurs, le PLM ne louait que 70 places sur les 74 disponibles. En effet les deux d’extrémité, qui présentaient l’inconvénient de voir se succéder les voyageurs du train tout au long du voyage pour commenter le défilement du paysage en grande vitesse, restaient vacantes pour la tranquillité de tous (revue l’auto vélo du 24 août 1934).
Enfin, pour rassurer tous ces voyageurs face à ces vitesses tout à fait nouvelles pour l’époque et pour faire cesser les appréhensions que certains pouvaient éprouver, Bugatti avait fréquemment recours à une campagne de publicité dont le message principal était axé sur la vitesse qui ne se fait pas au détriment de la sécurité.
2) Relation Paris Lyon
C’était sur cette relation phare que l’autorail Bugatti pouvait être le plus mis en valeur. Sur cette ligne très fréquentée et avec une clientèle déjà typée affaires, Bugatti ne devait pas décevoir. Si la vitesse était un atout, la régularité était une obligation. Les journaux de l’époque rappelaient fréquemment la promesse commerciale rendue possible par ce nouveau matériel :
« Se rendre de Paris à Lyon dans la matinée, disposer de tout l’après-midi pour s’occuper de ses affaires à Lyon et revenir dans la soirée à Paris, voilà ce que permettra la nouvelle relation Paris-Lyon en automotrice Bugatti PLM à partir du 7 octobre (1934) »
Avec une restauration à bord à l’aller et au retour, cette promesse était bien réelle puisque l’arrivée à Lyon se faisait à 12h50 pour un retour en fin d’après midi à 18h40. Le temps de parcours était de 4h50 au lieu de plus de 6h pour les trains classiques. Notez, dans l’affiche horaire ci-dessous, que l’heure d’hiver était déjà en application à l’époque. En faisant quelques recherches j’ai découvert qu’elle avait été instituée en France en 1916 avant d’être abandonnée à la libération pour être reprise en 1976.
Cette exigence de « faire l’heure » conduisait parfois les conducteurs à réaliser des performances exceptionnelles comme ce bel exploit, rapporté dans la revue PLM, à mettre à l’actif des conducteurs du TA 4 entre Lyon et Paris.
Avec trois moteurs sur quatre en fonctionnement (on voit de quelle réserve de puissance ces autorails disposaient) et des conditions météorologiques défavorables, les conducteurs et le Bugatti ont fait des prodiges !
Sur le plan commercial, la réussite était aussi au rendez-vous : le taux d’occupation entre Paris et Lyon s’établissait à 76% et il était précisé que la compagnie avait dû refuser du monde à plusieurs reprises.
3) Relations au départ de Nice
Au dernier trimestre 1935, les premiers autorails Bugatti ont fait leur apparition à Nice. Au fur et à mesure des livraisons, le nombre des relations rapides s’est étoffé entre Toulon et Nice. Ce service a par la suite été prolongé jusqu’à Marseille. La vue ci-dessous représente deux Bugatti simples en train de se croiser sur la Côte d’Azur entre Le Trayas et Théoule.
Puis, à partir du 22 mai 1937, les deux trains les plus aérodynamiques du PLM unissaient leurs efforts pour transporter rapidement les voyageurs de Paris à Nice avec un changement à Marseille, les Bugatti prenant alors le relais.
Quel était donc ce concurrent qui voulait rivaliser avec l’aérodynamisme du Bugatti ?
En fait c’était une simple locomotive à vapeur de type 221 « Atlantic » et son tendeur que les ateliers du PLM avaient carénés. Les voici avant et après reconfiguration.
Commençons par dire un mot sur la genèse de cette locomotive.
Le réseau PLM, s’inspirant de ce qui s’était fait à l’étranger, a voulu tester ce que pourrait apporter le carénage dans l’augmentation des vitesses commerciales. Avant de partir sur un modèle nouveau, ce qu’il fera en commandant la locomotive Bugatti à vapeur (objet du prochain article), le réseau PLM a voulu tirer parti de l’existant d’où cette transformation de l’Atlantic en train profilé. La mise au point a été laborieuse et a nécessité de nombreux essais. Le point le plus difficile à traiter concernait le freinage qui n’offrait pas des résultats satisfaisants lorsque la vitesse dépassait les 120 km/h. La distance de couverture de 1000 mètres étant dépassée, l’autorisation d’une vitesse supérieure en service commercial ne pouvait être accordée alors qu’en performance pure la rame avait atteint 157km/h.
La solution a été trouvée avec l’installation de freins modérables au serrage en fonction de la vitesse et de l’équipement en sabot double.
Enfin des tests concluants ont été menés pour mesurer la fatigue sur la voie que pouvaient procurer les efforts en courbe. A 140km/h, les contraintes sur la voie étaient moins fortes qu’avec une « Pacific » à 120km/h.
Après une campagne d’essai de près de deux ans, la circulation du train inaugural couronnait enfin les efforts de toutes les équipes qui avaient œuvré à la réussite de cet ambitieux projet.
Parties de Paris et de Marseille le même jour, les deux rames bleues inaugurales composées chacune de 4 voitures, se croisaient à l’heure prévue (15h26) face au Clos Vougeot. Un photographe courageux a immortalisé sur la pellicule, à une vitesse relative de 280km/h, les deux trains N°11 et 12 allant à la rencontre l‘un de l’autre tout restant prudemment sur leurs voies respectives !
La composition de ce train comprenait 2 voitures B9 (9 compartiments seconde classe) 1 voiture A8 (8 compartiments de 1ère classe) 1 voiture restaurant avec une partie fourgon, 1 partie office et une salle de restaurant de 36 places. Les places offertes étaient au nombre de 192 plus celles de la voiture restaurant. Voir ci-dessous le diagramme du train aérodynamique.
Grâce à ce service combiné du train aérodynamique et de l’automotrice Bugatti, il était possible de quitter Nice à 6h55 du matin et d’être à Paris à 19h le soir, soit à un horaire tout à fait convenable. Dans l’autre sens, le parcours était encore plus rapide puisqu’il prenait un peu moins de 12h soit un gain de 8 minutes. En partant de Paris à midi pile, on arrivait dans la même journée à Nice à 23h57.
On voit bien que nos deux trains n’étaient pas en concurrence mais en service complémentaire. Il n’empêche que beaucoup se risquaient à des comparaisons, les uns restant nostalgiques de la vapeur d’autres étant plus enclins à se tourner vers le progrès. Mais sur le seul aspect esthétique, il semblerait bien que le Bugatti recueillait la majorité des suffrages si l’on en croit ce texte d’un cheminot d’un dépôt qui décrivait les deux bolides.
4) Relations au départ de Lyon
C’est sur les lignes au départ de Lyon que l’on a pu se rendre compte plus exactement des possibilités des autorails de la firme de Molsheim. En effet, les parcours effectués comportaient une large panoplie de desserte :
- des relations « ultra rapides » à longue distance comme l’aller et retour journalier de Lyon à Strasbourg,
- des relations en service direct accéléré entre grandes agglomérations comme les 3 allers et retour journalier entre Lyon et Genève.
- des relations omnibus ou directes selon le train entre Lyon et Grenoble.
La dernière série livrée (ZZ-K-301 à 308) était équipée de la boîte de démultiplication électromagnétique Cotal qui présentait un réel avantage par rapport aux séries précédentes dans la mesure où elle permettait des accélérations et des démarrages en rampe plus aisés ce qui était très appréciable sur les lignes à profil accidenté de cette région.
Ci-dessous vue intérieure de la série des autorails Bugatti allongés.
Bilan
Les enseignements que le PLM tirait de la mise en service des autorails peuvent se résumer ainsi :
- possibilité d’augmenter la fréquence des relations grâce à l’abaissement du prix de revient kilométrique et à l’augmentation de la vitesse moyenne consécutive à leurs performances en termes d’accélération et de freinage.
- possibilité de multiplier les points de dessertes tout en maintenant un temps de parcours concurrentiel (là encore grâce aux performances de l’autorail)
- augmentation des recettes grâce aux effets conjugués des deux mesures décrites ci-dessus.
Je ne voudrais pas terminer ce descriptif du service commercial sur le seul aspect économique, aussi je préfère donner la parole aux cheminots qui semblaient être très fiers de leur autorail Bugatti et qui avaient un fort sentiment d’appartenance à leur réseau du PLM.
J’ai trouvé dans cette revue un poème doublement dédié au Bugatti et au PLM. L’auteur était un facteur aux écritures, soit un agent d’exécution du « bas de l’échelle » qui, aujourd’hui, pourrait nous donner bien des leçons de composition française. Autre époque !