26 Mars 2021
Image d'illustration: SARDO - Centre National des Archives Historiques (CNAH) du Groupe SNCF ; site http://openarchives.sncf.com/ tr_sardo_349_1 Photo cote 0451LM0179/002 contrat 18216
Sources; RGCF 5/1961, 10/1961, 10/1962, 5/1963, 7/1963, 10/1963, 9/1965, 11/1965, 3/1966, 5/1967, 7/1967, 4/1968, 5/1968, 10/1968 et 3/1969: Site Rétronews.
Lorsque le Capitole est passé à 200km/h.
Avant de parler de son passage à 200km/h qui a marqué les esprits puisqu’il s’agissait du premier train roulant à cette vitesse en service commercial, retraçons un bref historique de ce magnifique train dont le lancement se fit presque en catimini.
1) Le Capitole de 1960 à 1966
L’histoire du Capitole commence le 15 novembre 1960 de façon discrète et sous surveillance. En effet, la SNCF stipule qu’il est mis en marche à titre d’essai avec une fréquence de 3 jours par semaine. Au départ de Toulouse ce sont les lundis, mercredis et vendredis et au départ de Paris ce sera les mardis, jeudis et samedis.
La discrétion dont je parlais précédemment allait même jusqu’à lui attribuer des numéros pas très prestigieux comme les 1009 et 1010 alors que la même année, le Mistral portait les numéros 1 et 2 et le Train bleu les n° 3 et 4. On pouvait presque le confondre avec l’autorail Brive Paris qui arborait le numéro 1014 !
La période d’essai courra jusqu’au 31 Mars 1961 et à son échéance, il bénéficiera d’un sursis par une prolongation jusqu’au 28 juin soit avant la période d’été. On en profitera pour décaler de 10 minutes son départ de Paris Austerlitz qui était jugé trop tôt par une clientèle avant tout d’affaires. Cette mesure se répétera tout au long de sa carrière car chaque gain de temps de parcours était utilisé pour retarder son heure de départ de Paris. Les horaires ainsi modifiés étaient les suivants :
Paris 17h20, Toulouse 0h20 soit 7 heures ce qui correspondait à une vitesse commerciale d’un peu plus de 101km/h pour parcourir les 713 kms du trajet. Il est bon de rappeler qu’en 1950, il en fallait 9h27, puis 7h40 en 1957 en passant par Bordeaux et en empruntant d’abord le Sud-Express puis un autorail rapide en correspondance.
Pourtant le Capitole avait une vitesse limite relativement élevée en début de parcours puisque d’Etampes à Vierzon il pouvait réaliser 150km/h sur la majeure partie de la distance. Mais après Limoges, le profil constitué de longues rampes et de courbes dont le rayon était souvent inférieur à 500 mètres limitaient ses possibilités de vitesse.
Après l’été 1961, période au cours de laquelle il avait été contraint de prendre des vacances forcées, le Capitole reprenait du service à une fréquence supérieure, toujours à titre d’essai, pour un test de circulation du lundi au vendredi soit une augmentation de 2 allers et retours par semaine.
Voyant que la fréquentation était au rendez-vous, notamment des hommes d’affaires, la SNCF avait décidé d’améliorer encore ses performances par des travaux de renouvellement de voie qui faisait gagner 15 minutes à l’horaire en mai 1962 et un petit 5 minutes en 1965. Le parcours était alors réalisé en 6h40.
Les horaires, qui avaient été plusieurs fois retardés, l’étaient encore à l’occasion de cette accélération du temps de trajet. Le départ de Paris se faisait à 17h50 et celui de Toulouse 17h10.
Pour accroitre son attractivité, des relations en correspondance étaient mises en service dont certaines à 5mn comme celle à Toulouse avec le train Bordeaux Vintimille. C’est dire la confiance que l’on avait dans son horaire. Il faut dire que tous les trains devaient s’écarter devant ce rapide et les régulateurs y veillaient plus particulièrement. Je me souviens avoir travaillé en stage de double voie vers le milieu des années 1970 là où passait le Capitole et on m’avait bien prévenu que le train était ultra prioritaire et que l’on n’avait pas le droit à l’erreur ! Je me souviens d’une fois où un Berger Allemand s’était égaré au milieu des voies, en amont de la gare. Je m’en suis aperçu en sortant du BV pour effectuer la surveillance des trains en marche. Le Capitole est arrivé à pleine vitesse, a happé le pauvre chien, a même dû l’avaler car je ne l’ai plus jamais revu, une fois le train passé ! Je redoutais que le train s’arrête pour l’application de la procédure de choc anormal (de tête ex art 70 de l’IRSA pour les plus anciens, puis S2C par la suite), mais visiblement, le conducteur n’avait rien ressenti ou alors il avait vu le chien et rien d’anormal dans ses contrôles ne s’était produit.
A Limoges, une relation en 1ère classe pour Périgueux relevait la correspondance des trains 1009 et 1010 ce qui permettait une moyenne commerciale de 111km/h de Paris à la préfecture de la Dordogne. A Brive c’est une relation avec Rodez qui avait été mise en place.
Depuis l’origine le train était tracté par des BB9200 et la rame comportait des voitures DEV Inox.
2) Décision d’une accélération significative de la vitesse.
Les résultats en termes de trafic étant au rendez-vous, la décision de franchir un cap en matière de vitesse a été prise mais, auparavant, de nombreuses études devaient être menées dans bien des domaines : la voie, la signalisation, les caténaires, le matériel que ce soit les locomotives ou les voitures à voyageurs.
Depuis 1954, de nombreuses marches d’essais à grande vitesse avaient été menées par la SNCF sur 5 parcours d’essai aussi bien en 1500 volts continus qu’en 25000.
La carte ci-dessous reprend les différentes zones d’essai et les locomotives utilisées.
Les enseignements tirés avaient permis de réfléchir aux modifications à apporter pour permettre le passage à 200km/h
a) adaptation du matériel moteur
Quatre machines avaient été retenues pour tracter le Capitole :
- les BB 9291 et BB9292 qui avaient participé aux essais de vitesse et de freinage de 1964/1965 avec d’autres séries mais qui étaient les seules à pouvoir rouler à 250km/h. Ces deux machines étaient identiques aux 92 unités de la série sauf pour le rapport d’engrenage qui était différent et les moteurs de tracion un peu plus puissants. Une autre particularité concernait le système de graisseur de boudins qui déposait une mince pellicule de lubrifiant pour réduire le coefficient de frottement. Quant aux bogies, ils étaient analogues à ceux qui équipaient le prototype BB9004 lors de son record du monde à 331km/h.
La BB9291 est conservée à Mulhouse dans sa belle livrée rouge.
- les 9281 et 9288 qui avaient subi de légères adaptations pour rouler à 200km/h (notamment le pantographe).
Un peu plus tard, lorsque le Capitole deviendra quotidien et qu’il sera créé une relation supplémentaire de matinée dans les horaires suivants, deux autres BB9200 viendront compléter le parc des locomotives du Capitole.
c) Nouvelles voitures voyageurs.
Les voitures étaient du type UIC en remplacement des Inox. Le coefficient aérodynamique était meilleur et des intercirculations par bourrelets remplaçaient celles par soufflets. Les voitures étaient équipées de bogies Y24 et d’un équipement de freinage amélioré. Toutes les voitures étaient sonorisées et peintes en rouge dans une magnifique livrée que l'on voit dans l'image d'illustration.
Malgré l’accélération sensible de la vitesse, la composition du train restait limitée à 350t avec en équipement de base 7 voitures se décomposant en 5 A9, 1 wagon restaurant, et 1 A7D (compartiment/fourgon). On voit sur le graphique ci-dessous que la charge limite maximale était encore loin d’être atteinte puisque la BB 9291 avec engrenage à 250km/h pouvait tracter jusqu’à 480t à 200km/h.
c) modifications apportées à la signalisation
Les distances de freinage étant rallongées à 200km/h par rapport à 160km/h, il avait été envisagé dans un premier temps, par prudence, de retenir 3 cantons comme distance d’arrêt. Cette mesure résultait d’essais de freinage réalisés en 1965 à des vitesses proches de 250km/h. Aux grandes vitesses, des fusions partielles de semelles de frein avaient été constatées lors des freinages d’urgence. Malgré cela, dans la plupart des cas, l’arrêt ne pouvait être obtenu sur la longueur d’un canton de base déterminée à 1400m. A partir du moment où l’on ne pouvait pas respecter la distance d’un canton, autant revenir à un fonctionnement acceptable du frein et donc diminuer la puissance du freinage en effectuant les arrêts en freinage RIC au lieu du R. La distance obtenue, dans ces conditions à 200km/h, était de 2400 mètres. Le graphique ci-dessous montre la courbe des essais effectués.
Sur une base de vitesse de 230km/h et en comptant des cantons de 1400mètres on dépassait légèrement 2800mètres d’où la décision de 3 cantons par précaution. Or sur Les Aubrais Vierzon les cantons étaient de 1800 mètres en moyenne et les valeurs du graphique ne tenaient pas compte du frein électromagnétique qui, selon le RGCF de mars 1966, permettait un raccourcissement de 25 à 30% des distances. D'autre part l'étude d'un frein à 3 étages de pression réduisait significativement la distance de freinage à 2400mètres.
Aussi le RGCF de 1969 précisait que :
Cet espace réduit à deux cantons a conduit à transformer le block de 3 aspects à 4 (Sémaphore, avertissement, Voie libre clignotant et voie libre). Le grand avantage de la solution VL clignotant était de ne pas avoir à modifier les panneaux et le montage était tel que si le clignoteur venait à ne plus fonctionner, le panneau s’éteignait ce qui provoquait automatiquement l’avertissement sur le panneau précédent. Cette indication de signalisation supplémentaire devait être répétée en cabine de manière différente de celle de l’avertissement et comme le crocodile ne permettait pas cette différenciation, il a été décidé de recourir à des balises à induction implantées au sol. Ces balises étant commutables avec les relais de signalisation, chaque indication à répéter (Voie libre, préannonce, avertissement, sémaphore ou carré) correspondait à une fréquence particulière. Les machines devant être équipées, en plus de la brosse pour le crocodile, de capteurs. Le passage devant la première balise annulait la répétition par crocodile pour éviter d’avoir une double répétition. Une balise spéciale de fin de zone remettait en service la répétition par crocodile.
En complément, cette répétition était couplée à un contrôle de vitesse fonctionnant selon les règles suivantes :
- un freinage d’urgence se déclenchait au bout de 15 secondes après franchissement du signal de préannonce si le mécanicien n’avait pas réduit sa vitesse à 180km/h. Imaginons que le conducteur ait continué à 200km/h, au bout de 15 secondes il aurait parcouru 833 mètres ce qui n’est que la moitié environ de la longueur d’un canton. Le train disposerait donc d’une distance suffisante pour s’arrêter (la longueur moyenne des cantons sur Les Aubrais Vierzon est de 1800 mètres auxquels on ajoute les 1000 mètres résiduels du canton sur lequel s’est produit le freinage d’urgence).
- un freinage d’urgence se déclenche si le signal d’avertissement est franchi à une vitesse supérieure à 160km/h.
Au-delà de la signalisation proprement dite, des adaptations devaient être apportées aux zones d’approche. En effet, ces dernières devaient être prolongées d’un canton pour tenir compte de la nouvelle signalisation. Mais afin d’éviter une application de cette mesure à tous les trains ce qui aurait été inutile et pénalisant pour les postes d’aiguillage, un dispositif, que j’ai décrit dans l’article sur l’enclenchement d’approche ( https://cheminot-transport.com/2021/02/l-enclenchement-d-approche-ou-le-temps-moral-materialise.html ), permettait d’identifier les trains à vitesse supérieures à 160km/h. Cette modification s’appelait : régularisation de l’enclenchement d’approche.
d) modifications à la voie
Les rayons des courbes sur la voie parcourue à 200km/h étaient compris entre 2700 et 3300 pour les 14 courbes concernées. Ces valeurs étaient très éloignées des limites fixées pour la circulation à 200km/h qui s’établissent à un rayon de 1725m correspondant à un dévers maximum de 160mm pour une insuffisance de dévers ne dépassant pas 130mm. Dans le cas du tronçon à 200, le dévers variait de 45mm à 4mm.
Quant à la voie, son armement n’avait pas été modifié, il était constitué de rails U36 à 50Kg le mètre sur une plateforme de 1722 traverses bois par kilomètre.
e) modifications diverses
Comme pour la zone d’approche que nous avons vue précédemment, un dispositif identique pour mesurer la vitesse des trains avait été adopté. Il permettait une annonce adaptée en fonction de la vitesse. La solution optimale aurait été la suppression de ces PN mais eu égard au coût et aux délais, il avait été décidé de conserver les seuls PN suivants:
- PN gardés munis de barrières oscillantes
- PN à SAL munis de 4 demi-barrières ou à 2 mais avec séparateur de sens.
D’autre part, les PN gardés sur ce parcours avaient été munis de commutateur Normal/Danger permettant la fermeture des signaux de part et d’autre et l’allumage automatique de torche à flamme rouge. Pour les PN automatiques, des détecteurs d’obstacles avaient été installés, ceux-ci produisant les mêmes effets que l’action sur le commutateur Normal/Danger en cas d’obstacle.
3) La mise en service du Capitole à 200km/h
Le parcours inaugural a eu lieu le dimanche 28 mai 1967 ente Limoges et Paris. Réservé à la presse et aux représentants de la SNCF, il a été effectué dans l’horaire que les Capitole « commerciaux » ont débuté dès le lendemain à l’occasion du service d’hiver à raison d’une fréquence de 6 jours sur 7.
Ce parcours en 6 heures et plus encore le trajet en 2h54 entre Paris et Limoges constituaient des records en vitesse commerciale (137,8km/h pour le tain 1009).
La fréquentation allait connaître une augmentation sensible (40% après sa mise en circulation à 200) qui se traduisait, dans premier temps, par le passage à une fréquence quotidienne au service d’été suivant puis par la création au service d’hiver 1968 du Capitole du matin (1029 et 1030). Le bilan économique du Capitole, en 1967, faisait apparaitre un bénéfice de 45% par rapport à ses charges totales (RGCF mars 1969)
La suite, ce seront les CC 6500 et les voitures Grand Confort mais nous en reparlerons.