24 Avril 2021
Image d'illustration: Autorisation SNCF Médiathèque / B. DURU (Coll 80 ans)
Sources : Le génie civil 4 août 1894, Journée industrielle 1/1898, RGCF et Tramway mai 1906 et juillet 1911, La Science et la Vie 8/1921, RGCF 11/1928, La Science et la Vie 12/1931, RGCF 8/1934, RGCF 10/1939, RGCF 03/1950 Sites RetroNews et gallica.bnf.fr / BnF. Site POP Ministère de la Culture pour le Diplodocus.
L’évolution des Grues de relevage du 19ième siècle au 20ième siècle.
Au fur et à mesure que le poids des wagons, des voitures à voyageurs et des locomotives augmentait, les réseaux de chemin de fer étaient confrontés à la problématique du relevage lorsqu’un déraillement ou un accident se produisait.
Pour dégager les voies et remettre sur rail les véhicules renversés, des grues à la force de plus en plus herculéenne étaient nécessaires. Dans cette course au gigantisme, les USA faisaient la course en tête car c’est dans ce pays que les tonnages des trains ont augmenté le plus tôt et que de puissantes locomotives ont vu le jour pour les tracter.
Pour les travaux de relevage importants, les grandes compagnies américaines disposaient d’un train de secours composé de plusieurs wagons contenant tout le matériel nécessaire (outils, crics, supports etc.) et d’une grue vapeur montée sur un wagon plat. Un wagon lit et un wagon de transport complétaient la composition.
C’est ainsi que, par exemple, la compagnie « Burlington and Missouri River Railway » mettait en œuvre dans les années 1890 une grue à vapeur dont le pouvoir de levée était de 35 tonnes (plus de 40 tonnes en pratique) soit une capacité suffisante pour soulever la plupart des locomotives à vapeur de l’époque, ce qui d’ailleurs était l’objectif assigné.
Sur la « Chicago and Eastern Illinois Railway » c’était une grue de 32 tonnes qui équipait le train de secours. D’autres grues de 15 tonnes étaient utilisées pour les chantiers moins importants.
Enfin, sur le chemin de fer « Atchinson Topeka Santa Fé » c’était une énorme grue de 61 tonnes pour 12,8 mètres de long qui assurait les relevages. Elle pouvait soulever plus de la moitié de son poids (32 tonnes) avec le gros crochet alors que le petit servait aux levées de charges plus légères mais jusqu’à 23 mètres de la grue.
En France, à la fin du 19ième siècle, on utilisait plutôt le cric et différents outils comme moyen de relevage. Les grues de 6 à 10 tonnes de capacité de levée reposaient sur des wagons plats. Elles disposaient d’un contrepoids pour élargir le polygone de sustentation et de griffes pour s’arrimer au rail. Malheureusement, elles s’avéraient insuffisantes pour les missions de relevage au fur et à mesure que le matériel s’alourdissait.
Pendant ce temps, aux USA, les grues continuaient de suivre la prise de poids des wagons et surtout des locomotives. C’est ainsi qu’en 1906 la revue générale des chemins de fer et Tramway nous décrit la composition du train de secours de la « Pennsylvania » dans lequel est incorporée une grue de 100 tonnes. La voici avec son train d’accompagnement.
Cette grue n’était pas une exception, la même revue en 1911 nous apprend que depuis quelques années les compagnies de chemin de fer d’outre Atlantique font construire des grues à vapeur de 100 tonnes qui pèsent 90 tonnes en ordre de marche. Un croquis de ces monstres est visible ci-après.
En France, en 1920, les Chemins de fer de l’Etat mettaient en service une grue de 55 tonnes fabriquée par les ateliers Browning de Cleveland. Son poids en ordre de marche était de 67 tonnes. En fonction des portées et des calages, elle pouvait soulever, dans les conditions les plus favorables, 55 tonnes en portée de 6,2 m et 27,2 tonnes en portée de 7,6 mètres. Les chemins de fer de l’Etat disposaient de deux autres grues un peu plus anciennes : une de 50 t et une de 30 t dont les dépôts d’attache étaient Chartres et Mantes. On voit celle de 55 t photographiée ici à Paris Batignolles sur sa voie de garage.
La même mais en dessin avec légende.
En Utah, de l’autre côté de l’Atlantique, la compagnie de chemin de fer dédiée aux transports de minerai (Bingham and Garfield Railway), annonçait dans ses comptes annuels de l’année 1913 une grue d’une capacité de 120 tonnes.
Chez nos voisins européens, c’est à partir des années 1920/30 que les grandes capacités de levage ont fait leurs apparitions.
En Allemagne, la revue RGCF de novembre 1928 nous présente une grue à double crochet de 60 tonnes au bras de 7,5 mètres et 16 tonnes au bras de 14 mètres. Montée sur un wagon à 6 essieux dont les deuxième et cinquième sont moteurs, cette grue a été construite à deux exemplaires : une à vapeur avec chaudière tubulaire, l’autre à moteur à essence.
Mais c’est de l’autre côté du Channel qu’en 1931 les anglais ont battu le record européen en mettant en service une grue à vapeur de 106 tonnes et d’un poids en marche de 190 tonnes. Emportée par l’enthousiasme, la revue la Science et la Vie de décembre 1931 la qualifiait même de grue la plus puissante du monde ce qui était loin d’être le cas puisque, comme nous l’avons vu, les américains avaient déjà 20 ans plus tôt des grues de 120 tonnes. Voici le monstre de 23,25 mètres de long mû par une machine à vapeur de 400 ch.
Ces capacités de levée, bien qu’impressionnantes, n’étaient pas toujours suffisantes surtout dans les cas où le matériel à relever se trouvait un peu éloigné de l’engin de levage.
La solution, dans ce cas de figure, était proposée par la société Demag avec cette grue à très longue flèche. Disposant de deux flèches interchangeables, l’engin pouvait soulever 50 tonnes avec la flèche courte de 15 mètres et 20 tonnes avec la flèche longue de 35 mètres.
La grue de 130 tonnes.
En 1932 les grands réseaux de chemin de fer français faisaient le constat que leurs moyens de relevage s’avéraient souvent insuffisants malgré leurs engins de la catégorie des 50/55 tonnes. C’est pourquoi ils décidaient de ne pas laisser aux anglais le seul monopole de la catégorie des 100 tonnes et afin de rattraper le retard dans ce domaine, ils décidaient de lancer une étude commune pour une grue géante à vapeur de 130 tonnes. Le cahier des charges prévoyait 130 t à la portée de 6,25mètres et 60 tonnes à la portée de 10 mètres. La société Cockerill et les ateliers de Fives-Lille furent chargés de la fabrication. Livrée en 1938, elle fut soumise à des essais intensifs à Brétigny.
Voici ses caractéristiques et ses performances.
Une grue de cette importance avait besoin de 3 wagons pour se déplacer : le wagon à 2 bogies de 4 essieux qui la portait (139 tonnes), un wagon pour recevoir le contrepoids qui était démontable (62 tonnes) et un wagon pour les appareils de calage et le support de la flèche (38 tonnes) sot 239 tonnes de poids total. La vitesse d’acheminement était fixée à 80km/h.
La stabilité d’un tel engin en travail ne pouvait être assurée par sa seule base de sustentation, aussi des bras d’appuis pivotants se déployaient de part et d’autres des rails. Entre l’arrivée du train de secours et la grue prête à lever sa charge la plus lourde, il ne fallait guère plus d’une heure avec du personnel entraîné (RGCF d’octobre 1939).
Une fois les essieux enlevés, voici la grue reposant sur les bras déployés ave calage.
Passons aux essais effectués à Brétigny comme je l’ai dit plus haut.
Il s’agissait de s’assurer que les performances mesurées étaient au moins égales à celles attendues. Sur ce point les ingénieurs et techniciens d’essais n’ont pas été déçus. Voyez plutôt :
Après avoir testé le matériel aux charges de référence (130t et 60t avec les portées respectives de 6,25 et 10 mètres), des charges plus lourdes de 20% ont été testées avec succès (156t et 72t). Il a même été vérifié une capacité de 90 t avec une portée de 9,55mètres. Je passe sur tous les essais de vitesse de manœuvre et de capacité de levage sans appuis pour arriver aux conclusions : « toutes les vitesses de manœuvre prévues ont été largement dépassées. Les essais ont été entièrement satisfaisants. »
Après avoir eu un temps de retard par rapport aux chemins de fer voisins, les réseaux français reprenaient l’avantage de belle manière avec une grue ayant un potentiel de plus de 150 tonnes.
La grue de 85 tonnes.
En 1943, la SNCF confia à ses services du Matériel et de la Traction une étude pour une grue de 85 tonnes avec, pour objectif, le relevage d’une locomotive 2D2 (150tonnes) par bout ou relevage total avec deux grues. A cette époque là, la SNCF disposait, outre la grue à 130 t, de grues de 50 et 32 t qui s’avéraient insuffisantes, même à deux, pour relever les locomotives les plus lourdes. On voit ci-dessous deux grues, vraisemblablement de 50 t, relevaient une locomotive à vapeur.
Quatre grues à vapeur du type 85 tonnes ont été commandées en 1947 puis livrées entre 1949 et 1950. Elles ont été positionnées de manière à desservir au mieux l’ensemble du territoire à savoir : Châlons-sur- Marne, Tours, Vénissieux et Villeneuve Saint Georges.
Caractéristiques du matériel.
Comme pour la grue de 130 tonnes, un train de secours était formé à chaque déplacement. Sa composition était la suivante :
Ci-dessous les 3 wagons qui supportaient la grue et ses accessoires. Le poids total de la grue en convoi était de 129 tonnes.
Ci-dessous une vue rapprochée du bâti tournant, du treuil et de l’appareil moteur.
Les caractéristiques principales sont reprises dans le tableau ci-dessous :
Les essais
Comme pour la 130 tonnes, les essais ont été poussés jusqu'à +20% par rapport à la charge nominale. C’est ainsi qu’à la portée de 6,6m la grue a soulevé 105 tonnes puis 47 tonnes à 10 mètres. Les vitesses imposées pour les mouvements ont été dépassées.
On ne peut pas terminer le sujet des grues sans dire un mot sur le Diplodocus qui n’était pas à proprement parlé une grue de relevage. Cet engin, qui devait être le premier d’une série de cinq mais qui est resté en exemplaire unique en raison de restrictions budgétaires, a été construit pour les besoins de l’armée en 1958. Ce monstre composé de 5 wagons mesurant 87 mètres pour un poids de 317 tonnes appartenait au 5ième régiment du génie.
Autre vue d'une grue de secours affectée au dépôt de Limoges (vraisemblablement une 50 tonnes).
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