10 Mai 2021
Image d’illustration RGCF mars 1940 site retronews
Sources : le génie civil mai 1940 site Gallica.bnf.fr / BnF, RGCF mars 1939, Revue Générale des Chemins de Fer mars 1940, La journée industrielle 18 juillet 1939, La Science et la Vie 1er octobre 1939 site RetroNews www.RetroNews.fr, revues Ferrovissime n°30 septembre 2010, N°3 mars 2008, correspondance ferroviaire n°2H janvier 2004.
L’autorail amphibie « Alsthom Soulé »
Ne croyez pas qu’il s’agit d’un autorail qui peut à la fois naviguer sur l’eau et circuler sur rails !
Aujourd’hui, on le qualifierait plutôt de bimode ou d’hybride alors qu’en 1939, cette notion de mixité de fonctionnement n'était que peu ou pas répandue. C'est pourquoi, l’analogie avec les amphibiens semblait être la plus appropriée puisque, comme eux, il pouvait vivre (fonctionner) sous deux modes différents. Une autre explication est donnée dans la revue du génie civil de mai 1940 où un parallèle est fait avec certains avions qui sont à la fois avion et hydravion.
Au fur et à mesure que les lignes électrifiées tissaient leurs toiles sur le réseau ferroviaire (accroissement de 1500km/an), l’autorail, qui était appelé à circuler sur son trajet sur des portions électrifiées et sur d’autres qui ne l’étaient pas, paraissait être le véhicule le plus adapté pour recevoir cette double motorisation. Rappelons que les autorails avaient connu un fort développement grâce à leurs coûts d’exploitation plus économiques que les trains à vapeur qu’ils étaient destinés à remplacer. Il était donc important qu’ils ne passent pas à côté de cette opportunité de bénéficier d’une énergie moins chère, lorsqu’ils étaient amenés à circuler sous caténaires.
On entend parler, pour la première fois, d’une automotrice à double alimentation par caténaire et par un groupe diesel électrique à l’occasion du congrès du chemin de fer de 1937 (RGCF juin 1937). En effet, l’année précédente, le réseau PO/Midi avait commandé aux sociétés Alsthom (bogies et partie motrice) et Soulé (caisse et aménagements intérieurs) deux autorails prototypes munis de moteurs électriques pouvant être alimentés indifféremment par l’énergie électrique directe captée à la caténaire ou produite par des génératrices couplées aux moteurs diesel.
Outre l’avantage de la polyvalence dans l’utilisation de l’autorail et de l’aspect économique dont j’ai déjà parlé, il y avait une troisième raison qui militait pour l’émergence de ce nouveau mode de traction : la longévité des moteurs diesels et de leurs entretiens puisqu’ils étaient beaucoup moins sollicités que s’ils devaient faire la totalité des trajets.
Livrés à la SNCF nouvellement créée, ils ont d'abord été affectés au dépôt de Bordeaux et mis en service le 15 mai 1939.
Ces autorails à l’aérodynamique recherchée (face avant profilée et jupe latérales) et au mode de traction novateur paraissaient bien avance sur leur temps.
1) Les caractéristiques.
Long de 25,68 mètres et large de 2,85 mètres pour un poids de 55 tonnes à vide en ordre de marche, l’autorail amphibie offrait 68 places assises + 4 strapontins. Le fourgon bagages de 1500kg d’emport pouvait accueillir les jours d’affluence 25 voyageurs debout supplémentaires. Quant à la plateforme d’accès qui disposait de 4 strapontins, 26 voyageurs pouvaient s’y tenir debout. Dans sa configuration maximum, l’autorail avait une capacité d’accueil de 119 personnes.
Un compartiment réservé aux Postes se trouvait dans le prolongement du fourgon à bagages.
Le bogie moteur, avec ses deux essieux dotés d’un moteur électrique de traction, était situé du côté des pantographes, l’autre, côté moteur, était seulement porteur.
Des banquettes recouvertes de simili cuir à 5 places de front (3 + 2) équipaient les deux compartiments situés de part et d’autre de la plateforme d’accès. Le plus capacitaire (39 places) était réservé aux fumeurs et c’est dans le plus petit (29 places) que se trouvaient les non fumeurs. La cigarette, contrairement à aujourd’hui, avait la primauté dans le transport ferroviaire !
Le chauffage était assuré par une chaudière à vapeur chauffée au gas oil qui produisait 120 kg/heure de vapeur circulant dans un circuit fermé avec récupération de la vapeur condensée (on voit l’emplacement de la chaudière à gauche sur le diagramme ci-dessus). La capacité de la chaudière était suffisante pour alimenter également une remorque.
Une cabine se trouvait du côté du moteur, l’autre était positionnée du côté du pantographe. L’équipement était simplifié à l’image du même manipulateur qui servait à la commande des deux modes de traction. Celui-ci était doté de 6 crans, 4 pour le démarrage et 2 pour la marche normale. Un commutateur assurait le basculement entre les modes. Ci-dessous le détail des cans.
2) Les groupes moteurs
A) le groupe moteur diesel.
Les deux moteurs diesel étaient construits par Alsthom sous licence Ganz-Jendrassik. C’étaient des 6 cylindres à injection mécanique (170 x 240 = 32,7 litres de cylindrée) développant une puissance de 250 chevaux à 1300 t/mn et chacun entrainant une génératrice de 150kW. La transmission de puissance entre le groupe moteur et les moteurs de traction était assurée par un système Alsthom Royer.
B les moteurs électriques
La description ainsi que le schéma d’alimentation en deux modes sont repris ci-dessous. (RGCF mars 1940)
3) Les systèmes de freinage et d’attelage
Comme beaucoup d’autorails de cette période d’avant guerre, le freinage était composé de 3 équipements différents et/ou complémentaires.
- le frein automatique à air comprimé modérable au serrage et au desserrage du type Jourdain-Monneret avec un cylindre par roue agissant sur deux sabots,
- un frein électromagnétique déclenché pour les freinages d’urgence doté d’un patin par bogie de 1,25 mètre de long.
- un frein à vis d’immobilisation placé dans chaque cabine, chacun agissant sur les sabots de l’essieu extrême du bogie le plus proche.
Les autorails étaient équipés de l’attelage à crochet de traction allégé avec les organes d’accouplement du frein à air comprimé et ceux du chauffage à vapeur pour alimenter la remorque.
4) Les performances.
L’essai préalable au banc avait montré que le moteur Diesel délivrait bien la puissance de 250 chevaux au régime nominal de 1300t/mn. Sa consommation mesurée a été de 179g par cheval et par heure soit environ 45 litres à l’heure. Les essais de réception de l’automoteur ont été effectués sur les lignes à profil accidenté des Pyrénées autour de Tarbes. Une rampe de 43mm/m a même fait partie du programme!. Voici un tableau récapitulatif des performances obtenues en autorail seul et autorail avec remorque de 49 tonnes.
En complément des mesures d’accélération ont montré leurs grandes capacités dans ce domaine. Une accélération de 0,55ms2 a été observée entre 0 et 60km/h en mode électrique.
5) Les Services assurés
Une fois les essais terminés, les autorails amphibies (XAT 1001 et 1002) ont été affectés au dépôt de Bordeaux pour la desserte des lignes sur Bergerac et Périgueux (partie du parcours sous caténaire et marche diesel sur l’autre partie). A la fin des années 40, ces automoteurs ont été affectés à Narbonne pour la desserte entre Béziers et Carcassonne et vers Cerbère et Port Bou.
On peut penser que la guerre qui a suivi leurs mises en service a donné un coup d’arrêt à ces prototypes qui n’ont pas passé le stade de la série.
Utilisés essentiellement en mode thermique par des exploitants qui n'avaient pas vu ou su tirer partie de l'intérêt de cette formule, les autorails ont vu leurs installations de captage électrique déposées dans les années 50 et ont fini leurs services à la fin de cette même décennie.
Préfigurant les AGC ou BGC des années 2000/2010, les autorails amphibie ont peut-être eu tort d’avoir eu raison trop tôt !