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Cheminot Transport

La locomotive Heilmann 8001

Image d’illustration  ANMT cote 2005 6037

Sources Le génie civil 5 décembre 1891, Mémoires et comptes-rendus des travaux de l'association/ association amicale des ingénieurs électriciens 1895, L’Alliance 1/02/1897, l’Univers Illustré 24/02/1894, L’Univers illustré 10 mars 1894, l’Ingénieur Civil 15 juin 1894, Matériel roulant, résistance des trains, traction: chemins de fer par E. Deharme, A.Pulin 1895, La Science et la vie 1/12/1928, Les merveilles de la Science 1913, Le Chauffeur 25 juin 1897, La revue des Revues juillet 1897, les inventions et industries nouvelles janvier 1899 Le Monde illustré du 20 novembre 1897 et du 30 janvier 1897 La gazette de Château-Gontier du 9 juin 1898. Le petit courrier 16 juin 1898, L’événement 12 juillet 1898, Le petit Marseillais 17 juillet 1898, Le petit Moniteur Universel, 6 novembre 1898. Le moniteur universel 25 octobre 1900.  site Gallica.bnf.fr / BnF et site https://www.retronews.fr

 

Locomotive 8001 Heilmann

 

Introduction

Après les tramways qui ont été les premiers à bénéficier de la technologie nouvelle de la traction électrique, la première locomotive de ce type a circulé dans l’Etat de New York en 1883 (d’autres sources donnent 1879 à Berlin par Siemens et Halske). Il s’agissait plus d’une expérimentation que d’une véritable machine à tracter des trains à une vitesse identique à celle des machines à vapeur. En 1895, Général Electric C° construisait pour la Baltimore Ohio Railroad un engin de 90 tonnes apte à remorquer des trains lourds dans un tunnel (photo qui suit).

A l’époque, l’électricité nécessaire  était produite dans des usines qui faisaient mouvoir des génératrices par des machines à vapeur ou par des installations hydrauliques en utilisant des chutes d’eau (barrages). Pour l’alimentation du train avec cette énergie,  trois pistes étaient explorées:

- alimentation par des câbles aériens ou par troisième rail. La construction de ce type d’installations avait commencé en 1893 en Allemagne, Suisse et Italie.

- alimentation par des accumulateurs. La compagnie du Nord avait mis en circulation une locomotive avec 80 éléments d’accumulateurs en 1893 en vue d’un métropolitain. Le PLM en avait fait de même avec la locomotive Auvert dont les accumulateurs (192) étaient contenus dans un fourgon.

Vue de la locomotive Auvert immatriculée E1 sur le PLM.

Le Monde Illustré 31 décembre 1898 site https://www.retronews.fr

- alimentation autonome par une « usine électrique roulante ».

Vous l’avez compris, c’est de cette troisième invention dont je vais vous parler.

La première locomotive Heilmann avant la 8001

Dès 1891, Jean-Jacques Heilmann, né à Pau le 5/11/1853, présentait son projet de train électrique.

Le Monde illustré 20 Novembre 1897 https://www.retronews.fr

L’idée étant de produire de l’électricité sur le train lui-même en l’équipant d’une machine à vapeur dont le moteur ferait tourner une dynamo qui produirait l’électricité nécessaire à l’alimentation d’autres dynamos disposées sur les essieux qui, sous l’action du courant, tourneraient en entraînant les roues. Il proposait, en quelque sorte, de créer la première automotrice électrique. Le concept était intéressant mais les coûts engendrés par la modification de toutes les voitures rendaient son projet irréaliste économiquement. Il décida alors de changer de stratégie en proposant une version moins révolutionnaire mais plus pragmatique : remplacer la locomotive à vapeur par une machine électrique dont la source d’énergie serait fournie par le biais d’une machine vapeur entraînant des dynamos. Au lieu d’équiper toutes les voitures d’un moteur électrique, seuls les 8 essieux de la motrice seraient moteurs.

Cette première machine, construite par les Forges et Chantiers de la Méditerrané, a fait ses essais officiels au mois de février 1894. En l’honneur de Stephenson qui avait inventé la première locomotive à vapeur, la « Rocket » (fusée), Heilmann nommait la sienne la « fusée électrique ».

D’une longueur de 16 mètres pour un poids de 110 tonnes, elle reposait sur 2 bogies de 4 essieux. A l’avant se trouvait « l’usine électrique » comprenant une dynamo  dont la mise en mouvement se faisait par un moteur à vapeur de deux cylindres compound. C’est sur l’arbre de la machine à vapeur qu’était fixé l’inducteur d’une dynamo de 2 mètres de diamètre.  La puissance du moteur était estimée à 600 chevaux. En voici les caractéristiques :

Revue industrielle 1893 site Gallica.bnf.fr / BnF

 Une deuxième dynamo, dite « excitatrice »,  disposant d’un moteur à vapeur spécifique alimentait l’électro-aimant de la génératrice. Caractéristiques de cette deuxième machine :

Revue industrielle 1893 site Gallica.bnf.fr / BnF

 La partie avant était carénée  en forme de bec pour favoriser une meilleure pénétration dans l’air.

Dans la partie arrière, se trouvait la chaudière tubulaire de type Lentz. Ses caractéristiques étaient les suivantes :

Revue industrielle 1893 site Gallica.bnf.fr / BnF

 De part et d’autre se trouvaient une cuve à eau d’une dizaine de tonnes et une soute à charbon de 6 tonnes. La cheminée étant à l’arrière, le foyer était dans le sens de la marche ce qui favorisait le tirage.

Vue sans carénage.

Revue industrielle 1893 site Gallica.bnf.fr / BnF

Avec le carénage.

L'univers illustré 24 février 1894  site Gallica.bnf.fr / BnF
L'ingénieur civil 15 juin 1894 site Gallica.bnf.fr / BnF

 

Outre l’avantage que ce type de machine procurait en pouvant être utilisée sur toutes les lignes sans avoir recours à des investissements lourds pour effectuer les travaux d’électrification (caténaires, 3ième rail), les ingénieurs lui trouvaient d’autres intérêts par rapport aux locomotives  à vapeur.

En premier lieu, le poids adhérent était beaucoup plus élevé que sur les deux roues motrices des machines à vapeur qui, rappelons le, avaient en ces temps-là cette limitation pour les inscriptions en courbe avec les grandes roues et les bielles.

Ensuite, pour augmenter la vitesse des trains de voyageurs, on avait eu recours à des grandes roues qui élevaient le centre de gravité et avec le mouvement des bielles rendaient la locomotive moins stable. Des phénomènes d’oscillations préjudiciables à la voie et aux machines avaient été observés. On parlait d’effet de lacet dans le sens horizontal et d’effet de galop dans le sens vertical auxquels s’ajoutait le roulis. Avec la machine de Heilmann, pas besoin de grandes roues pour aller vite ni de bielles. En effet, si le mouvement de va-et-vient des pistons se situait aux alentours de  300 /mn, ce n’était pas le cas de la machine dynamo-motrice qui pouvait donner de 1500 à 5000 tours/mn. Ce n’était donc plus la vitesse du moteur qui donnait une limite à la vitesse du train.

Pour résumer le principe de fonctionnement en une phrase, on pouvait dire que : la transformation de la chaleur en travail mécanique produisait l’électricité qui a son tour produisait un travail mécanique.

Les tout premiers essais avaient été effectués le 21 août 1893 entre Le Havre et Beuzeville-Bréauté. Sur les 11 kilomètres de la rampe de 8mm/m entre Harfleur et Saint-Romain, la locomotive avait remorqué un train de 5 voitures et de 12 fourgons à 55 km/h. La vitesse de 80 à 90km/h avait été maintenue sur une longue rampe de 3mm/m.

Les tests ayant été estimés concluants ainsi que le service régulier effectué sur Paris Mantes en 30 minutes, Heilmann se lançait dans la construction de deux nouvelles locomotives commandées par la compagnie de l’Ouest en vue de la remorque des trains sur Dieppe avec pour objectif un trajet en deux heures. D’une puissance triplée par rapport à la première, elles devaient pouvoir tracter 200 tonnes à 100km/h.

La nouvelle Heilmann, la 8001

Construite par les Anciens Etablissements Cail à Grenelle, d’où la magnifique carte photo avec la tour Eiffel en fond, la 8001 (8 pour huit essieux) était mise à disposition, pour essais, à la compagnie de l’Ouest au premier semestre de l’année 1897. Essais auxquels participaient des ingénieurs russes puisque la Russie avait acheté le brevet d’exploitation Heilmann pour leurs chemins de fer.

Archives Nationale du Monde du travail cote 2005 60 37

Autre vue de profil

Revue des Revues juillet 1897  site Gallica.bnf.fr / BnF

Par rapport au prototype que je viens de décrire, les modifications avaient porté sur :

- la caisse avec un nouveau profil effilée en forme de proue qui tenait compte des résultats observés sur la première locomotive,

- l’accroissement sensible de la puissance dont je vais vous parler,

- l’amélioration de la suspension des moteurs,

- le remplacement de la machine à vapeur horizontale placée transversalement par une machine verticale Willans.

D’une longueur de 18,59 mètres, la nouvelle Heilmann 8001, pesait 125 tonnes et développait une puissance de 1350 chevaux.

 

Le Monde Illustré Janvier 1897 https://www.retronews.fr

 

Pour accompagner cette progression de la puissance, la chaudière avait aussi augmenté en taille. Dotée de 351 tubes de 3,80 mètres, elle avait une surface de chauffe de 185m2 et une grille de de 3,34 m2. Le timbre avait été porté à 14kg au lieu de 12kg/cm2.

La cuve à eau était positionnée de telle sorte qu’elle pouvait être raccordée à un tender pour les longs parcours.

Vue de la chaudière.

Revue des Revues juillet 1897  site Gallica.bnf.fr / BnF

 

Vue en coupe schématisée.

La traction mécanique 1897 site Gallica.bnf.fr / BnF

 

La machine à vapeur avait été construite par Williams et Robinson. Elle pouvait développer 1350 chevaux. Elle comportait six lignes de cylindres.

La traction mécanique 1897  site Gallica.bnf.fr / BnF

Celle-ci commandait deux dynamos génératrices multipolaires qui étaient fixées à chaque extrémité de l’arbre et qui pouvaient développer 1000 ampères sous 455 volts. L’excitation des deux génératrices était produite par une dynamo plus petite actionnée par une petite machine à vapeur Willans de 28 chevaux.

Revue des Revues juillet 1897  site Gallica.bnf.fr / BnF

 

Les moteurs électriques, au nombre de huit montés en dérivation, développaient 125 chevaux chacun.

La traction mécanique 1897  site Gallica.bnf.fr / BnF
La traction mécanique 1897  site Gallica.bnf.fr / BnF

Les bogies étaient constitués de deux longerons en acier assemblés par une traverse qui portait la crapaudine du pivot. Les moteurs reposaient sur les entretoises des bogies. Les roues avaient un diamètre de 1,16mètre.

La traction mécanique 1897  site Gallica.bnf.fr / BnF

Pour changer de marche, un commutateur assurait  le renversement du sens du courant dans les induits.

Deux postes de conduite autorisaient une conduite dans les deux sens bien que la partie effilée était préférablement positionnée à l’avant.  L’équipement des deux postes comprenait le robinet de frein à air Westinghouse, la commande de l’arrivée de la vapeur, celle de l’appareil limiteur de vitesse et la commande du rhéostat.

Les essais et la carrière de ces locomotives

La sœur jumelle, la 8002, sortait d’usine en janvier 1898 et était réceptionnée au dépôt des Batignolles en vue d’effectuer des essais concurremment avec son aînée, la 8001. Celle-ci venait d’ailleurs de terminer des essais de charge lourde en tractant 250 tonnes de 50 à 75km/h sur la ligne de Paris à Mantes via Argenteuil. En rampe elle avait pu enlever un convoi de 20 voitures à l’allure prescrite. Dans les comptes rendus,  l’accent était mis sur sa stabilité à toutes les vitesses et sur la facilité d’entrée en courbe. Alors que le tonnage des trains rapides se limitait à 200 tonnes (c’était le temps  des voitures en bois), la 8001 avait remorqué entre Mantes et Rouen un train de 300 tonnes à une vitesse de 100km/h et était arrivée à tracter, en palier, une charge de 700 tonnes. Le dernier essai relaté dans la presse entre Mantes et Paris avait consisté en une marche à 120km/h à la tête d’un train de 250 tonnes ce qui était exceptionnel pour l’époque. Enfin, pour clôturer la campagne de tests, des vérifications pour éprouver la solidité des ouvrages d’art au passage de ce monstre de 120 tonnes avaient été menées, eux aussi, avec succès.

Simultanément, la compagnie de l’Ouest avait confié à Heilmann l’aménagement de sa première ligne électrique  d’une longueur de 4 kilomètres entre Saint Germain Ouest et Saint Germain Grande Ceinture. Le courant électrique, fourni par une dynamo de 1050 ampères, alimentait les locomotives par un conducteur aérien. La vitesse pour un train de huit voitures s’établissait à 60 km/h.  

 Sur le dessin qui suit, on voit la 8001 arriver à Mantes.

Le Monde Illustré novembre 1897 https://www.retronews.fr

En 1898, des difficultés financières ont mis à mal la société qui avait tout investi dans le projet des 8001 et dans les essais qui se prolongeaient du fait des exigences sans cesse croissantes de la compagnie de l’Ouest.

Dans le livre intitulé «  Étude de la locomotive. Mécanisme, châssis, types de machines / par E. Deharme,... A. Pulin » publié en 1903, il est écrit que : « ces locomotives, n’ayant pas répondu entièrement au programme de la Compagnie de l’Ouest n’ont pas été mises en service régulier, malgré leurs avantages propres. On ne peut s’étonner de cet insuccès, la fourniture du courant devant être nécessairement plus chère que dans une usine centrale. »

On ne peut-être que surpris par cette analyse car elle ne prenait en compte que les coûts d’exploitation alors qu’il aurait fallu intégrer le coût des investissements pour  la construction des infrastructures nécessaires au transport du courant.

 A mon avis, ce n'était pas le résultat des essais qui étaient remis en cause, il suffit pour cela de voir les messages dithyrambiques sur le sujet qu’a écrit la presse spécialisée ou généraliste, mais la direction que prenaient les autres compagnies françaises ou étrangères dans l’alimentation en énergie par fil de contact ou troisième rail. Etant isolée dans cette voie de l’alimentation autonome, le doute a dû envahir les esprits des dirigeants et des membres du conseil d’administration qui n’ont pas voulu prendre le risque d’utiliser un système qu’ils étaient les seuls à tester.

Si Heilmann n’a pas réussi à imposer son système, on peut penser que son idée a inspiré les constructeurs des machines à moteur diesel  à transmission électrique puisque le principe de fonctionnement était proche.

Le 25 octobre 1900, le Moniteur Universel informait ses lecteurs  que la compagnie de l’Ouest avait relégué cette brillante locomotive sur une petite section de ligne entre Mantes et Rouen et concluait par cette locution latine : Sic transit Gloria (ainsi passe la gloire)

 Quelle triste fin ! Elles furent par la suite démolies, seuls les plans subsistent aujourd’hui.

Le Petit Marseillais 17 juillet 1898 https://www.retronews.fr

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J
C'est très bien expliqué, bravo
Répondre
D
Je vous remercie.