16 Mai 2021
Image d'illustration Agence de presse Mondial Photo-Presse, Public domain, via Wikimedia Commons
Sources : Science et Monde du 29/12/1932, Science et la Vie du 1er janvier 1933, Science et la Vie du 1 mai 1933, Science et Monde du 18/05/1933, Science et Monde du 27 juillet 1933, Je Sais Tout du 1 avril 1933, Je SaisTout du 1 février 1934, journal Le Figaro 2 janvier 1933 et l’Excelsior 3 janvier 1933 site https://www.retronews.fr/ Bulletin PLM mars 1929 site Gallica
Mountain ou Super Mountain des chemins de fer de l’Etat
1) Introduction
Au fur et à mesure de l’équipement des trains rapides en voitures à voyageurs métalliques, le tonnage de ces convois augmentait régulièrement pour atteindre 500, 600 et même 800 tonnes. Pour en assurer la traction à une vitesse de 120 km/h qui était toujours la limite maximale autorisée pour respecter les 1000 mètres de couverture de la signalisation, le recours à des locomotives toujours plus puissantes devenait de plus en plus indispensable. Plus le tonnage s’accroissait et plus les Pacific s’avéraient un peu juste sur les lignes à profil difficile pour maintenir les marches que l’on voulait sans cesse plus tendues. Mais si la puissance que l’on pouvait toujours augmenter en jouant sur tel ou tel paramètre était nécessaire, elle n’était pas, à elle seule, suffisante. En effet, pour canaliser ce surplus d’énergie, il fallait un poids adhérent conséquent et comme le poids par essieu que pouvait supporter la voie se situait aux alentours de 19 tonnes, les 3 essieux moteurs ne suffisaient plus. D’où le recours aux 4 essieux dont étaient dotées les Mountain. A noter que ces 4 essieux apparaissaient à l’époque comme le maximum à ne pas dépasser car, avec les roues de 2 mètres nécessaires aux grandes vitesses, l’inscription en courbe en toute sécurité atteignait ses limites.
Voyez la progression en termes de puissance avec, en corolaire, l’augmentation de la masse des locomotives sur ce graphique.
Les premiers réseaux à s’équiper de ces puissantes machines que l’on appelait Mountain en raison de leur capacité à exprimer leur plein potentiel en rampe ont été ceux de l’Est et du PLM à la fin des années 20.
Voici une du PLM en 1929 avec son bout de cigare caractéristique.
L’adoption par le PLM des locomotives Mountain avait permis des gains importants en possibilité de remorque comme le montre cette comparaison entre les Mikado, les Pacific et la Mountain sur le parcours Mouchard Vallorbe.
2) Les super Mountain du chemin de fer de l’Etat.
En 1932, sous l’impulsion de Raoul Dautry qui voulait une desserte accélérée de la ligne dite « transatlantique » Paris Cherbourg dont le profil n’est pas des plus faciles, les chemins de fer de l’Etat mettaient au point le prototype 241-101 avec le concours de l’OCEM. Les essais, qui avaient été effectués avec une 241 de l’Est sur cette relation, avaient montré tout le potentiel que l’on pouvait tirer d’une Mountain malgré des rampes de 10mm/mètre (parcours de 371 km effectué en 4 heures).
D’une longueur de 17,765 mètres pour 124,8 tonnes, cette nouvelle machine avait un poids adhérent de 78,4 tonnes soit 19 600 kilos par essieu. Elle était donc plus longue de 1,75mètre et plus lourde de 10 tonnes que celles de l’Est. D’une hauteur de 4,3m avec les roues des essieux moteur à 2 mètres, elle était qualifiée à sa sortie comme la plus puissante locomotive d’Europe avec 2800 chevaux.
Mais le plus important résidait dans le fait que cette Mountain se différenciait sensiblement de celles des autres réseaux par certaines technologies novatrices (du moins en France) qu’elles mettaient en œuvre.
a) Le stoker ou l’alimentation automatique du foyer
Une des conditions pour augmenter la puissance consistait dans l’accroissement de la surface de la grille de chauffe. De 4,43m2 des locomotives de l’Est, on était passé à 5m2 soit 2,4mètres de long sur 2,1 de large (on peut difficilement faire mieux en largeur pour un écartement des rails de 1,44). Avec une longueur de 2,4m et une quantité de charbon brûlé estimée sur le Paris Cherbourg à 7,5tonnes, il semblait bien difficile de confier à un seul homme cette tâche harassante.
L’alimentation automatique, déjà existante aux Etats-Unis, fut donc retenue. Il faut dire que là-bas les grilles de chauffe avaient des surfaces considérables : jusqu’à 8,2m2 sur les 2.4.2, sans parler de la monstrueuse Big Boy dont la grille atteindra 14m2 quelques années plus tard !
Voici un schéma de ce chargement automatique.
Le principe de fonctionnement consistait en une vis sans fin qui acheminait le charbon du tender au foyer à travers un tube télescopique et à rotules. Le charbon était poussé en fin de parcours jusqu’à son arrivée sur une buse d’où il était éjecté à différents endroits de la grille par 5 tuyaux de vapeur judicieusement disposés pour répartir uniformément le combustible. Les gros morceaux de charbon étant broyés au préalable par le mécanisme rotatif. Le chauffeur n’avait plus qu’à moduler l’arrivée des jets de vapeur et qu’à régler la vitesse de la vis en fonction du débit de charbon dont avait besoin la machine. La rotation de la vis était assurée par un petit moteur à vapeur.
Cette vue en coupe reprend les différents organes du mécanisme avec la légende qui en détaille le fonctionnement.
B) Compound or not Compound?
Là où la plupart des locomotives avait retenu le système compound avec 2 cylindres Haute pression recevant la vapeur de la chaudière et deux cylindres plus larges à basse pression récupérant la vapeur ayant déjà travaillé dans les cylindres HP, la 241.101 utilisait 3 cylindres à haute pression, un central et deux latéraux. Les ingénieurs avaient estimé qu’avec le dispositif de surchauffe (vapeur portée à 400°) dont elle était dotée, les risques de condensation qui avaient justifié en partie le compoundage n’existaient plus. D’autre part, du fait du positionnement des trois cylindres, la répartition des efforts était meilleure. C’est ainsi que les efforts sur les bielles extérieures atteignaient 44 tonnes et 51 tonnes sur la bielle intérieure.
Une autre nouveauté que le PO avait déjà expérimentée de façon concluante concernait la distribution de la vapeur dans les cylindres. Précédemment, l’admission et l’échappement étaient réalisés par des tiroirs cylindriques actionnés par un excentrique qui découvraient les « lumières » d’admission et d’échappement aux moments convenables. Outre le manque d’étanchéité des tiroirs, le principal défaut de ce mécanisme était l’effet dit de « laminage » qui se produisait au moment où le tiroir commençait à découvrir l’orifice du cylindre. En effet, le frottement de la vapeur dans ce petit passage étranglé diminuait la pression.
La solution retenue était l’équipement de chaque cylindre par 2 soupapes d’admission et 2 soupapes d’échappement. L’effet de laminage disparaissant du fait du passage plus large que permettaient les soupapes. Le mécanicien pouvait régler la détente dans les cylindres et obtenir la marche avant ou arrière en manœuvrant le volant de changement de marche (voir la photo de l’abri de la locomotive plus avant). Ci-après le schéma en coupe d’un cylindre avec les soupapes d’admission et d’échappement et une vue des soupapes sur la locomotive (distribution de vapeur Renaud).
Ajoutons au niveau des caractéristiques générales que le timbre de la chaudière avait été porté à 20kg par cm2 et que le corps cylindrique de la chaudière avait un diamètre de 1,964 m à l’arrière et de 1,877m à l’avant.
La vue ci-après montre l’abri de la locomotive 241-101 avec les différentes commandes dont je viens de parler : le régulateur, le volant de changement de marche et la commande des jets de vapeur que le chauffeur devait actionner pour régler la répartition du charbon sur la grille de chauffe.
C) Le tender et l’écope.
Le tender monté sur deux bogies à roulement à rouleaux pesait 78,2 tonnes. La capacité de sa caisse à eau de 34 m3 n’était toutefois pas suffisant pour un parcours sans arrêt entre Paris et Cherbourg ou près de 50m3 étaient nécessaire. Une écope pour la prise d’eau en marche par le biais d’une rigole située entre les rails permettait de recompléter le tender. Ce dispositif était manœuvré par le chauffeur à l’aide d’un robinet à air comprimé.
Comme pour la locomotive, le tendeur bénéficiait de tôles profilées pour améliorer l’aérodynamisme.
La carrière de la 241-101
Construite par les ateliers de Fives-Lille, elle a effectué ses premiers essais en décembre 1932 près de Sotteville-Lès-Rouen. La 241-101 a ensuite été présentée à Saint Lazare, voie 20, le mardi 3 janvier 1933 après avoir reçu sa dernière couche de peinture grise aux ateliers de Batignolles dans la semaine précédente. Pour bien faire ressortir le contraste entre les anciennes locomotives et la modernité de la dernière née, était également présentée à proximité la « Buddicom » qui assurait la remorque des trains de voyageurs entre Paris et Le Havre en 1845 (Le Figaro 2 janvier 1933 site Retronews)
Ayant connu quelques ennuis mécaniques dès le début de son exploitation, elle n’arriva pas à convaincre les représentants du réseau de l’Etat qui ne donnèrent pas de descendance à ce prototype malgré le respect des spécifications initiales fixées à 2800 chevaux.
C’est beaucoup plus tard, sur la proposition de transformation faite par André Chapelon, qu’elle sortira de l’oubli et qu’elle redeviendra la plus puissante locomotive d’Europe en étant profondément modifiée en 242A.
Pour terminer et même si c’est un peu hors sujet, rappelons qu’au cours de cette année 1933 où la 241-101 fut mise en service, deux autres « Mountain » connurent deux accidents ferroviaires majeurs dont celui de Lagny-Pomponne du 23/12/1933 où il y eut plus de 200 tués (photo ci-dessous de la 241-017). Deux mois plus tôt le 24/10/1933, la 241-022 avait déraillé un peu après Conches occasionnant la mort de 37 personnes dont le chauffeur et le mécanicien.
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