24 Juin 2021
Image d’illustration Didier Duforest, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
Sources : RGCF novembre 1947, RGCF juillet 1947 https://www.retronews.fr/, Ferrovissime n°55 décembre 2012
Locomotive 040 DA Baldwin A1A A1A 62 000
Moins d’un an après l’armistice du 8 mai 1945, la première locomotive Diesel électrique de manœuvres, 040 DA1, était déchargée à Marseille depuis le bateau « Sea Train Texas » le 15 avril 1946. Huit jours après elle prenait son service en gare de Marseille Arenc.
Première d’une commande de 70 unités passée aux établissements Baldwin, 30 autres locomotives viendront compléter ce parc au titre d’une loi américaine votée pendant la guerre en 1941 dont l’intitulé était « Lend-lease » ou "prêt-bail" selon la dénomination française.
A la fin de la guerre, le parc des locomotives de manœuvres avait beaucoup souffert des bombardements dont les triages avaient été une des principales cibles. Pour retrouver rapidement ses moyens de production et contribuer à l’effort de redressement de l’économie du pays, la SNCF avait décidé d’acheter le matériel disponible, dans la gamme des diesels de manœuvres, compte tenu des avantages spécifiques que celui-ci procurait.
Pour les chantiers de manœuvres, l’arrivée du diesel devait révolutionner le travail que faisaient auparavant les locomotives à vapeur. Les atouts du diesel s'appréciaient au niveau :
- de la conduite par un seul agent,
- du bon rendement des moteurs diesels aux différentes charges se traduisant par des économies en combustible.
- de la possibilité d’arrêter le moteur lors des périodes d’inactivité de courte et moyenne durée.
- de l’autonomie importante du moteur sans qu’il ait besoin d’entretien ou de ravitaillement. La capacité du réservoir des 040 DA (3220 litres) permettait une autonomie de 4 à 5 jours de manœuvres sans retour au dépôt.
Caractéristiques générales.
Initialement, cette machine était une BB (2 essieux moteurs) mais comme la charge à l’essieu de 25 tonnes était supérieure à ce que pouvait supporter l’armement des voies françaises, un essieu porteur a été ajouté entre les essieux moteurs de chaque bogie d’où l’appellation qu’on lui donnera en 1962 de A1A A1A 62000. D’autre part, l’utilisation qui était faite aux USA de ce type d’engin (Road Switcher » c'est-à-dire servant aussi bien aux manœuvres (triages) qu’à la traction de trains de dessertes et de voyageurs, ne correspondait pas tout à fait à la fonction que voulait lui donner la SNCF, à savoir un simple engin de manœuvre. D’où la décision de brider cette machine à 660 chevaux alors que dans son pays d’origine elle pouvait donner toute sa puissance de 1000 chevaux. On est donc passé d’un huit à un six cylindres et on en a profité pour supprimer la chaudière qui servait à l’alimentation du chauffage des trains de voyageurs.
D’une longueur de 17,72mètres, elle avait une masse de 106 tonnes pour un poids adhérent de 70,5 tonnes. La vitesse maximum était de 60mph soit 96 km/h. L’immense capot moteur qui culminait à 4mètres de haut lui donnait cette apparence massive si caractéristique des machines américaines. La répartition du poids des différentes parties mécaniques et des approvisionnements est reprise dans le tableau ci-après.
Le moteur Diesel
Ce moteur était un 6 cylindres Baldwin non suralimenté de 194 litres de cylindrée (alésage de 323 mm et course de 394mm) développant normalement 750 chevaux mais ramené à 660 chevaux à 625 tours /mn pour une consommation d’environ 110 litres par heure. L’effort à la jante, au régime continu, était de 12,6t pour une vitesse de 11km/h. La courbe de variation de celle-ci en fonction de la vitesse est donnée ci-dessous.
La transmission électrique
Contrairement au moteur, l’équipement électrique n’avait pas subi de modifications par rapport à son homologue américain ce qui en garantissait une fiabilité encore plus grande puisqu’il était moins sollicité par le double effet d’une puissance moindre du moteur et par un poids par essieu plus faible. L’équipement électrique provenait de la firme Westinghouse et comprenait :
- une génératrice principale accouplée au moteur
- une génératrice auxiliaire + excitatrice entraînée par courroie reliée à l’arbre de la génératrice principale.
- 4 moteurs de traction suspendus par le nez.
Les caractéristiques de ces équipements sont données dans le tableau ci-dessous.
Utilisation des engins
Comme la SNCF l’avait prévu dès le départ, ces machines furent utilisées presque exclusivement à la manœuvre et aux débranchements. Quelques unes ont cependant servi à la remorque de trains de dessertes ou de liaisons notamment sur la Grande Ceinture. En fin de carrière elles ont assuré la remorque de trains de travaux.
Les 27 premières livrées sont allées sur la région du Sud Est dont 16 à Arenc le Canet puis 7 à Miramas à partir d’août 1946. Devant la bonne disponibilité de ces engins (les Baldwin ne rentraient au dépôt pour l'entretien et les divers approvisionnements qu’une fois par semaine), l’effectif du parc affecté à ces sites a pu être réduit ce qui a permis la mise à disposition de 6 machines au triage de Nîmes et 4 autres à Lyon Vaise et une à Paris Bercy.
Les premiers enseignements tirés du basculement de la vapeur vers le diesel dans le domaine des manœuvres ont fait ressortir l’énorme avantage qu’a procuré ce dernier mode sur les différents points suivants :
- le temps d’utilisation par période de 24 heures, calculé à partir des diverses immobilisations pour entretien et approvisionnements, a pratiquement été doublé passant de 12 h à près de 21 heures.
- la rapidité des débranchements était passée à Miramas, pour une rame de 65 wagons, de 40 à 20 minutes en raison de la souplesse et de la facilité d’utilisation de ces engins ainsi que de leurs performances propres. En corollaire la régularité des trains au départ avait été sensiblement améliorée. Sur le site d'Arenc, les temps d’échange entre faisceaux avaient été divisés par trois et là où il aurait fallu une double traction, la Baldwin en US s’avérait suffisante.
- l’augmentation du tonnage remorqué était réalisée, selon les sites, dans une proportion de 1 à 3. Ainsi, en palier, la Diesel électrique pouvait tracter 1200 tonnes et jusqu’à 800 en rampe de 8mm/m. Le gain le plus significatif était obtenu pour la livraison des rames entre la gare du Canet et les raffineries de Saint Louis où une rampe de 27 mm/m contraignait les vapeurs à ne livrer que 3 wagons à la fois alors que la Baldwin en remorquait une dizaine.
Ajoutons que la capacité de cette machine à s'inscrire dans des courbes de 90 mètres de rayon, comme c'était le cas dans la desserte des voies de quais, était un atout supplémentaire par rapport aux 4 essieux accouplés des locomotives à vapeur.
Toutes ces améliorations de la productivité ont eu des conséquences en matière de réduction d’effectifs et de matériel. Les économies réalisées ont porté sur :
- les effectifs avec la suppression de 27 agents à Miramas et de 48 à Arenc pour la seule partie de l’Exploitation. Quant au personnel de conduite, il a vu fondre son effectif de 48 agents.
- la réduction du coût du combustible. Une machine à vapeur de manœuvres de type 040TB consommait 28 kilos de charbon au kilomètre alors que la Baldwin se contentait de 1,9 litre de gas-oil soit, converti en francs de l’époque, 34,55francs pour la vapeur contre 12,45 francs pour la Diesel.
- le matériel rendu disponible par l’arrivée des diesels qui avait concerné 24 locomotives 040TB d’Arenc, 16 locomotives 050TB et 040TB de Miramas et 2 locomotives de ligne de type 140G de Blancarde soit 42 engins pour une quinzaine de Baldwin utilisées sur les deux sites.
Ces opérations de productivité ont concerné progressivement, au fur et à mesure des livraisons, les autres triages et dépôts concernés. Si l'arrivée de ces engins était considérée comme un plus en termes de facilitation du travail, elles n'étaient pas vu d'un très bon œil par le personnel qui les voyait comme une machine servant à tailler dans les effectifs.
Toutes les régions, sauf celle du Sud Ouest, ont été affectataires de ces célèbres locomotives qui avaient révolutionné l’exécution des manœuvres. L’ouest en recevra 16 (Rouen, Nantes Le Mans et Rennes), l’Est en aura 9 pour les triages de Mulhouse, Hausbergen, Lumes. Les triages de la région Parisienne seront aussi richement dotés comme la trentaine d’éléments qui se répartira entre Trappes, Villeneuve ST Georges, Achères, Le Bourget, Bobigny etc. Ce sera l’occasion de les faire circuler sur la Grande Ceinture à la tête de trains de marchandises mais aussi de quelques trains de voyageurs entre Paris Nord et Paris Lyon. Au total 37 dépôts en ont reçu entre 1946 et 1993. Les derniers à les utiliser dans les années 90 ont été ceux de Strasbourg, Lens et Thionville.
Quelques « yaya », comme elles ont été surnommées, sont conservées à ce jour en plus ou moins bon état.
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