14 Juillet 2021
Image d’illustration : Revue Industrielle janvier 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF
Sources : Revue générale des chemins de fer 12/1935 site Gallica.bnf.fr/BnF , Revue Industrielle janvier 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF , Bulletin PLM 5/1935, 7/1935, 9/1935, 7/1937 site Gallica.bnf.fr/BnF, Meccano-magazine 6/1937 site Gallica.bnf.fr/BnF , SNCF open archives tr_sardo_378_1.pdf
Le train aérodynamique du PLM
Si la compagnie du PLM avait eu recours depuis 1933 à des autorails rapides (Bugatti, Renault) pour des trajets à moyenne ou à longue distance, elle se heurtait à la problématique inhérente à ce type de matériel, à savoir la capacité limitée en nombre de places que pouvaient offrir ces autorails. Pour les très longues distances comme Paris Marseille ou Paris Nice, où les flux de voyageurs à transporter étaient très importants, la logique commandait de recourir à des trains rapides remorqués par des locomotives de forte puissance pouvant les tracter à 140km/h dans des conditions de confort optimum pour les voyageurs.
C'est pourquoi le PLM décidait de mener de front deux projets dont les délais et la faisabilité différaient sensiblement.
- un visait une échéance plus lointaine compte tenu des études et des sauts technologiques à maîtriser avant une mise en exploitation. C’était le cas du train à vapeur Bugatti.
- l’autre consistait à emprunter une voie moins risquée et surtout plus rapide en essayant de tirer le meilleur parti de l’existant. C'était l'objectif visé par le train aérodynamique dont la réalisation ne nécessitait que des adaptations aux matériels déjà en service et que les ateliers du PLM étaient à même d’exécuter sans aide extérieure.
C’est de ce dernier projet dont je vais vous parler aujourd’hui.
Toutefois, avant de commencer, il me semble intéressant de donner quelques informations sur le projet Bugatti qui ne verra pas le jour pour une double raison, à savoir le début des hostilités en 1939 et la difficulté plus importante que prévue pour maîtriser toutes les nouvelles technologies que ce projet ambitieux comportait.
Par décision prise en conseil d’administration du 20 juillet 1934, le principe d’un marché de gré à gré passé avec l’entreprise Bugatti pour la construction d’une locomotive, d’un tender et de 3 voitures légères était retenu. Par le biais d’une soumission de fourniture, Ettore Bugatti s’engageait sur le cahier des charges défini par le PLM en signant un contrat le 31 décembre 1934.
Quels en étaient les termes ?
Engagement de fournir :
- une locomotive à vapeur de 2000 chevaux dont les essieux étaient actionnés par des moteurs individuels (pas de bielles). Les deux chaudières devaient fonctionner au mazout et l’alimentation en combustible, en air et en eau devait faire appel à des automatismes afin que le travail du chauffeur se borne à des tâches de surveillance.
- un tender dont l’agencement devait prévoir deux compartiments à bagages.
- trois voitures légères dont une équipée de cuisine pour une longueur totale de 60 mètres.
Les objectifs en termes de performances attendues étaient les suivants :
- le train pourra effectuer, d’une seule traite, le trajet Paris Menton sans que la durée des arrêts ne dépasse 28 mn.
- la consommation au kilomètre de mazout ne devra pas dépasser 5,5kilos et celle d’eau 50 litres.
- la vitesse commerciale sur Paris Lyon devra être d’au moins de 95km/h compte tenu de la vitesse maximum autorisée de 140km/h
- un essai d’endurance sur une période de 3 mois devra permettre de parcourir 80 000 kilomètres avec une moyenne journalière comprise entre 800 et 1200 km.
Il était prévu, dans ce contrat, des primes pour un dépassement des objectifs et des pénalités dans le cas contraire.
Enfin le train devait être mis à disposition pour essais 18 mois après la signature du contrat soit à l’été 1936. Le prix de la prestation revenait à 2,4 millions de francs pour la locomotive, 800 000 francs pour le tender et 1,5 million pour les 3 voitures.
Tout cela paraissait bien ambitieux et sans doute beaucoup trop. Ce train ne roulera pas sur les rails du PLM ni sur ceux de la SNCF.
Le train aérodynamique du PLM
Comme je l’ai dit précédemment, le PLM pensait que l’on pouvait encore améliorer le matériel existant en lui apportant les dernières évolutions technologiques tant au niveau des mécanismes que du carénage.
A) la locomotive à vapeur.
Le type choisi était la 221 A, série éprouvée d’une vingtaine d’unités que le PLM possédait depuis 1906/07. Son aptitude aux grandes vitesses pour les trains de faible tonnage en faisait un engin bien adapté au projet. La première à être transformée était la 221 A 14.
A1) les adaptations apportées du point de vue mécanique
Outre les caractéristiques techniques qui sont décrites dans le tableau ci-après, la locomotive avait reçu les perfectionnements suivants :
- surchauffeur de vapeur,
- réchauffeur d’eau d’alimentation,
- échappement à grand rendement pour activer la combustion,
- graissage mécanique sous pression des boîtes d’essieux, des cylindres, de la pompe à air et des barres en mouvement.
Voici le diagramme avec les différentes cotes.
A2) Le carénage
Avant de détailler les modifications aérodynamiques apportées à la locomotive et à son tender, commençons par regarder l’évolution spectaculaire qu’a subie cette machine entre son apparence d’origine et sa version modifiée.
On voit bien que tout le mécanisme était entièrement recouvert de tôles constituant ainsi une première dans les chemins de fer français. L’accessibilité aux différents organes était néanmoins préservée grâce à de nombreuses portes et trappes que nous allons voir dans les schémas suivants.
La face avant recevait une forme arrondie qui pouvait s’ouvrir pour les opérations de maintenance. Une carapace recouvrait la totalité du corps de la chaudière et des différents mécanismes : barre de changement de marche, pompe à air, pompes à eau etc. Des ouvertures étaient prévues en hauteur pour l’évacuation des fumées de la cheminée qui affleurait tout juste au dessus du carénage et pour l’échappement de la vapeur des soupapes de sûreté.
B) Le tender
Les anciens tenders de 22 m3 à 3 essieux n’avaient pas été conservés. Le PLM avait préféré utiliser des tenders plus capacitaires de 30 m3 d’eau et de 7 tonnes de charbon afin de pouvoir faire sans arrêt le trajet Paris Lyon. De plus, les bogies étaient plus adaptés pour les vitesses élevées que les essieux. En effet, il avait été constaté que du fait de la variabilité de charge propre à ces véhicules (chargés au maximum au départ et vide à l’arrivée), il était très difficile de régler convenablement les ressorts d’où une certaine instabilité.
Le carénage intégral du tender présentait une ouverture supérieure pour le charbon et deux latérales pour l’alimentation en eau. Toutes ces trappes étaient manœuvrées par câbles depuis la plateforme. Il se raccordait à l’avant (locomotive) et à l’arrière (première voiture) par un soufflet en caoutchouc.
C) Les voitures
La composition du train aérodynamique comportait 4 voitures métalliques dont deux de deuxième classe d’une capacité totale de 144 places et une de première classe offrant 48 places. Une voiture mixte restaurant/fourgon de 36 places complétait la composition.
Voici le diagramme de ces voitures.
Les voitures bénéficiaient d’un carénage de la partie inférieure avec portes de visite au droit de chaque roue. Des soufflets en caoutchouc assuraient la continuité aérodynamique de la rame et chacune des extrémités avait reçu une forme profilée comme on peut le voir sur les deux photos suivantes.
Ces rames, très confortables, étaient dotées de l’air conditionnée et équipées d’un frein à puissance variable en fonction de la vitesse.
Le train aérodynamique avait été peinte en bleu drapeau foncé pour la locomotive /tender et bicolore foncé et clair pour les voitures.
D) Les essais
Les premiers essais ont concerné les mesures de vitesse et de consommation sur les parcours Paris Dijon et Paris Lyon. Sur ce denier le trajet était effectué en 4h47 y compris les 5 mn d’arrêts à Dijon et Laroche. La rampe de Blaisy était gravie à 120 km/h et la vitesse moyenne atteignait 106km/h (108 en déduisant les essais). Sur certains tronçons des vitesses moyennes de 140 étaient obtenues.
Concernant la consommation sur la totalité du parcours, la locomotive avait utilisé 3,8 tonnes de charbon et près de 27 m3 d’eau. Rapportée au kilomètre, la consommation s’établissait à 7,4 kg de charbon et à 52 litres d’eau.
D’autres essais, tout aussi intéressants, avaient porté sur l’apport que pouvait procurer le carénage par rapport à un train classique. C’est ainsi que des comparaisons avaient été effectuées sur le même parcours et avec le même tonnage entre un train caréné et un train classique ou seulement entre une locomotive carénée en tête d’un train ordinaire et une locomotive non carénée à la tête d’un même train. Le premier tableau intègre uniquement l’effet du carénage sur la seule locomotive et son tender.
Le gain de puissance selon la formule indiquée ΔP = 95 x 10-6 x V3 est d’environ 280 chevaux. Par curiosité, en employant la même formule mais en calculant pour 200km/h on peut en déduire un gain de 760 chevaux.
Si on intègre le profilage de la rame, la formule n’est pas la même car la résistance de l’air a une action moindre entre les deux rames (carénée et non carénée). Pour la seule rame elle était de ΔP = 68 X10-6 x V3
Le graphique ci-dessous montre que le gain total dépassait 400 chevaux.
Présentée en lecture directe sous forme de tableau les résultats des essais ont été les suivants.
Signalons enfin que lors des essais du 12 juillet 1935 la vitesse de 150 km/h a été soutenue entre Joigny et Sens avec une pointe à 156km/h.
Voici la bande graphique de ce record.
E) Mise en service
Le train aérodynamique a été mis en service le 20 juillet 1935. Il a desservi, au départ, des relations comme Paris Evian (644km) et Paris Lyon (511 km). Sur cette dernière relation, le parcours était effectué en 5h à la moyenne commerciale de 102km/h.
Au fur et à mesure que d’autres machines et rames étaient configurées en train aérodynamique, la relation Paris Marseille pouvait être desservie sachant que ce parcours nécessitait deux locomotives en roulement, une assurant la première partie jusqu’à Lyon, l’autre allant jusqu’à Marseille. La première circulation sur cette relation avait eu lieu le 22 mai 1937. J’ai déjà décrit le trajet inaugural dans l’article sur l’autorail Bugatti qui assurait la correspondance à Marseille pour acheminer les voyageurs jusqu’à Nice. Ceux qui veulent en savoir plus peuvent cliquer sur le lien suivant. (https://cheminot-transport.com/2021/03/les-bugatti-sur-le-plm-2ieme-partie-l-exploitation-commerciale.html )
En conclusion, j'aimerais rendre hommage à la compagnie du PLM qui avait réalisé, avec ses seuls moyens et dans ses propres ateliers, les transformations nécessaires pour la totalité du matériel que ce soit les locomotives les tenders ou les voitures.
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