2 Août 2021
Image d’illustration Revue Le Génie Civil 6 août 1927 Site gallica.bnf.fr/BnF
Sources : Le Génie Civil 6 août 1927 Site gallica.bnf.fr/BnF, Loco Revue n°663 octobre 2002
Nous avons vu dans un article précédent consacré à la Z4300 ( https://cheminot-transport.com/2021/07/les-automotrices-z4300-pres-de-50-ans-de-carriere.html ) comment les chemins de fer du Midi s’étaient lancés, avant même la guerre de 14/18, dans un vaste programme d’électrification de leur réseau dont la construction avait été mise en sommeil par le début des hostilités. Après guerre, alors que plusieurs réseaux présentaient à leur tour des projets ambitieux d’électrification, le ministère des travaux publics avait dû trancher sur le mode d’alimentation à retenir en vue d’une nécessaire harmonisation. Ce fut le 1500 volts en courant continu qui eut sa préférence et le Midi avait dû revoir ses plans qui se basaient sur du 12kV monophasé.
Cette électrification allait être accompagnée, sur le plan du matériel, par la construction de deux nouveaux types de locomotives :
- une machine BB conçue pour tracter des trains de marchandises et des trains de voyageurs ordinaires,
- une machine 2C2 apte à la remorque des trains rapides de voyageurs grâce à sa capacité à atteindre, voire dépasser, les 120 km/h qui, rappelons le, était la limite de vitesse des trains de voyageurs depuis Napoléon III en raison de la distance d’arrêt qui devait rester inférieure à la distance de couverture (1000 mètres à l’époque).
C’est de cette deuxième machine dont je vais vous parler aujourd’hui.
Locomotive 2C2 3100 ex E3100 Midi
Cette locomotive, dont on trouve peu de documentations dans les revues spécialisées puisque même la RGCF n’a pas daigné lui consacrer quelques lignes, mériterait pourtant que l’on parle un peu plus d’elle. En effet, dans les années 20, elle faisait partie des premières machines électriques capables de tracter des trains rapides à grande vitesse. La revue du Génie Civil du 06 août 1927 n’hésitait pas à affirmer que :
« Jusqu’à la mise en service des ces locomotives, on pouvait dire que la locomotive électrique à grande vitesse n’existait pas ; des tentatives avaient été faites, en Europe et aux Etats-Unis, des vitesses élevées avaient été atteintes momentanément, mais n’avaient pu être maintenues, à cause du manque de stabilité, ou des mouvements parasites des machines essayées »
Et elle concluait en disant que les 2C2 avaient été les premières à assurer un service régulier à grande vitesse dans des conditions excellentes.
Pourquoi ces machines se différenciaient-elles des autres ?
Le génie civil nous donne quelques éléments d’explication sur la stabilité d’une locomotive à grande vitesse et sur l’absence de fatigue de la voie qui en découle. Selon lui, il faut réunir entre autres les deux conditions suivantes :
- que le centre de gravité soit élevé (le Loco Revue 663 d’octobre 2002 nous dit que depuis ce principe est contesté sans pour autant aller jusqu’à le considérer comme faux),
- que le rapport entre la masse non suspendue et la masse suspendue soit le plus faible possible. La masse non suspendue concerne par exemple les roues, les freins, les amortisseurs, tous les éléments qui subissent les irrégularités de la voie. C’est pour cette raison que l’on utilise dans le domaine de l’automobile des jantes en alliage ou des freins allégés. Ce n’est pas simplement pour réduire le poids du véhicule mais c’est aussi pour améliorer la tenue de route.
Dans ces deux domaines comme sur bien d’autres points, la locomotive 2C2, dont la conception avait été le fruit d’une coopération entre les services techniques de la Compagnie du Midi et des Constructions électriques de France, avait fait l’objet d’un travail approfondi pour tenter de résoudre les problèmes liés à la stabilité et aux contraintes exercées sur la voie.
L’exemple le plus parlant pour rehausser le centre de gravité avait concerné la disposition des moteurs. Outre le fait qu’ils étaient complètement suspendus, ceux-ci étaient à axe vertical comme on peut le voir sur la photo ci-dessous de la 2C2 avec les panneaux latéraux enlevés.
De plus, chaque moteur était constitué d’une structure dans laquelle tournaient deux induits en sens contraire qui attaquaient, par des pignons d’angle, deux couronnes dentées fixées sur un arbre creux suspendu au châssis et enveloppant l’essieu moteur avec un débattement de 40 mm pour compenser le jeu des pièces entre-elles dû aux inégalités de la voie. A noter également le résultat positif des induits tournant en sens contraire qui se traduisait par une annulation des effets gyroscopiques.
Voici la coupe qui permet de mieux comprendre les dispositions adoptées.
En contrepartie de cette élévation du centre de gravité, le Loco Revue 663 fait constater que les agencements retenus en termes de transmission et de positionnement vertical des arbres moteurs avaient posé de sérieux problèmes de lubrification et d’étanchéité.
Description générale
Ce tableau donne toutes les caractéristiques de cet engin massif qui pour une longueur de seulement 14,4 mètres pesait 104 tonnes.
A noter que la puissance affichée de 1500 chevaux semble ne s’appliquer qu’aux deux premiers exemplaires de la série (3101 et 02) qui faisaient office de prototypes, les exemplaires suivants (03 à 10 ) sont souvent décrits comme ayant une puissance de 1850 chevaux.
Les performances de traction selon les modes de fonctionnement utilisés étaient les suivants.
Pour conclure ce descriptif technique, notons que cette locomotive était munie du frein automatique modérable Westinghouse mais ne disposait pas de frein électrique.
Essais, mise en service et carrière
Les essais poussés jusqu’à 140 km/h avec un train de 350 tonnes avaient pu démontrer que la tenue, jusqu’à ces vitesses inhabituelles pour l’époque, avait été parfaite sans aucun mouvement oscillatoire.
Lors de l’inauguration de la ligne de Bordeaux à Hendaye le 19 juin 1927, une 2C2 a effectué le parcours Bayonne Bordeaux en 105 minutes malgré des ralentissements imposés à la traversée des gares soit une moyenne commerciale de 113 km/h avec des pointes à 135Km/h.
A une vitesse de tracé de 90 km/h, ces machines pouvaient tracter des trains jusqu’à 600 tonnes.
C’est grâce à ces nouvelles machines que la Compagnie du Midi a pu s’enorgueillir de détenir le record de vitesse commerciale à 108 km/h pour le Sud Express au Sud de Bordeaux alors qu’au même moment, le train la Flèche d’Or, qui était réputé pour sa vitesse, plafonnait en dessous des 100 km/h de moyenne (https://cheminot-transport.com/2021/05/la-fleche-d-or.html ).
Affectées au dépôt de Bordeaux, c’est sur cette longue ligne droite des Landes que ces machines ont pu exprimer leurs pleins potentiels en reliant Bordeaux à Hendaye. Pendant quelques années, celles-ci ont régné sans conteste mais deux évènements allaient mettre un terme à leurs suprématies.
- D’abord la « métallisation » des voitures anciennes imposée pour la sécurité des voyageurs ainsi que la production en série de voitures entièrement métalliques à la fin des années 20 et au début des années 30 allaient se traduire par un alourdissement sensible du tonnage des trains. De plus, les compositions des rapides et express s’étoffant, la puissance qu’elles affichaient au début s’avérait insuffisante par la suite
- l’arrivée de machines beaucoup plus puissantes, les 2D (E4800 futures 2D 5000) reléguait nos méritantes 2C2 à la remorque des trains omnibus aux abords de Bordeaux ou vers les plages.
Mal entretenues durant la guerre, les locomotives 2C2 3101 à 10 (nouvelle numérotation SNCF) seront rapidement radiées avant la fin des années 40 après une carrière relativement courte d’une vingtaine d’années. Les espoirs qu’elles avaient suscités au départ n’ont pas été concrétisés compte tenu des évolutions technologiques sur les voitures voyageurs qui n’avaient pas été correctement anticipées lors de la phase de conception qui, rappelons le, avait commencé avant guerre donc à une époque où les voitures à caisse en bois étaient la règle. Elles ont aussi été victimes de leurs innovations insuffisamment maîtrisées qui rendaient leurs entretiens difficiles.
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