7 Septembre 2021
Image d’illustration Fleury, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
Sources Revue Générale des Chemins de Fer décembre 1929 site Gallica.bnf.fr/BnF Bulletin PLM Janvier 1930 site Gallica.bnf.fr/BnF, Bulletin PLM juillet 1930 site Gallica.bnf.fr/BnF, Bulletin PLM septembre 1931 site Gallica.bnf.fr/BnF
La locomotive 262 AE du PLM future 2CC2 3400 de la SNCF
La Machine de tous les superlatifs.
Pour mieux se rendre compte de la taille de cette locomotive hors norme, il suffit de regarder cette photo où le cheminot qui pose devant elle peut servir à donner l’échelle. Presque 4 mètre de plus qu’une CC6500, près de 7 mètres d’écart avec une Sybic, cette locomotive qui aura cent ans dans quelques années était la plus puissante locomotive électrique des réseaux de chemin de fer français au moment de sa mise en service ; certaines sources disent même que c’était la plus puissante locomotive à caisse unique au monde. Bref, c’était la machine de tous les superlatifs !
Commandée à 4 exemplaires, la 262 AE, qui découlait du prototype 242 BE1 (vue ci-dessous), présentait des différences importantes par rapport à sa devancière, au niveau de la forme, de la puissance mais aussi par sa capacité à remorquer des trains à grande vitesse (à l’époque cela signifiait 120 voire 130 pour préserver l’avenir).
Faisant preuve de prévoyance, les dirigeants du PLM avaient décidé que cette machine exceptionnelle devait pouvoir remplir d’autres missions au fur et à mesure des électrifications du réseau. Ils pensaient notamment à la ligne Marseille Nice où les trains de l’époque de 465 tonnes étaient remorqués par des «Pacific » et où il était envisagé de tracer leurs marches à 550 tonnes en ayant recours, pour les tracter, à des « Mountain ». Cette augmentation du tonnage n’était pas seulement due à l’accroissement du trafic, elle était aussi la conséquence de l’alourdissement des voitures à voyageurs qui, pour offrir toujours plus de confort et de sécurité, avaient une tendance à prendre du poids. Les voitures entièrement métalliques devenant progressivement la règle.
Aussi, en prévision de leurs utilisations futures sur d’autres lignes, les spécifications des 262AE avaient été calculées pour remorquer un train de 700 tonnes à 108 km/h en palier (premier cran de shuntage) et à 90 km/h en rampe de 8mm/m sans atteindre le régime unihoraire. En utilisant le deuxième cran de shuntage, ces vitesses passaient respectivement à 116km/h et à 98km/h. (Tableau ci-dessous)
Ces exigences nouvelles par rapport aux performances des prototypes nécessitaient de revoir sensiblement la puissance, le poids et donc le nombre d’essieux par rapport à la 242 BE1.
En octobre 1927, le PLM passait commande au groupement « Batignolles-Nantes-Oerlikon » de 4 locomotives ayant les caractéristiques définies dans les études et essais préalables.
Les études de la partie mécanique étaient confiées à la Société de Construction des Batignolles, la construction proprement dite étant assurée par la Compagnie Générale de Construction de locomotives à Nantes. Quant à la société Oerlikon, elle prenait en charge les études électriques et faisait fabriquer par sa filiale française d’Ornans dans le Doubs les appareillages nécessaires.
En mai 1929, la première 262 AE était livrée et aussitôt mise à l’essai entre Chambéry et Saint-Jean de Maurienne. Les trois autres machines suivaient quelques mois après.
Description Générale
La caisse reposait sur deux trucks articulés comportant chacun trois essieux moteurs et un bogie directeur. Un attelage rigide avec une rotule sphérique reliait les trucks entre eux.
Voici les principales dimensions et masses.
En complément du tableau précédent, voici un diagramme qui reprend la répartition du poids par essieu et la décomposition de la longueur en segments élémentaires. Pour une masse de 159 tonnes, le poids adhérent ressortait à 107,4 t (6 x 17,9t).
Description de la partie mécanique et électrique
Chaque essieu était entraîné par deux moteurs jumelés comme on peut le voir sur le diagramme ci-dessus et sur la photo ci-après. La carcasse avec ses deux induits pesait 5540 kg.
Les pignons à 27 dents des moteurs attaquaient une roue dentée dont le centre était calé sur un arbre creux englobant l’axe de l’essieu.
La transmission finale entre l’arbre creux et les roues était assurée par des biellettes élastiques dont les extrémités étaient fixées sur des tourillons portés par les roues motrices. A l’autre extrémité de l’arbre, une pièce ovale (vue ci-dessus) portait des tourillons qui passaient au travers de la roue pour recevoir les balanciers des biellettes (Vue ci-dessous).
Les moteurs de traction
Les différents couplages des 12 induits permettaient d’obtenir 12 régimes de marche qui donnaient à la machine une plage de fonctionnement optimum pour des services d’utilisation très différents.
Le tableau ci-dessous donne les efforts de traction à la jante aux différentes vitesses en fonction des configurations retenues à savoir :
S = 12 induits en série ( S1 et S2 correspondent au 1er et 2ième cran de shuntage)
SP = 6 induits en série sur deux circuits en parallèle (SP1 et 2 pour 1er et 2ième cran de shuntage)
PS= 4 induits en série sur 3 circuits en parallèle (PS1 et 2 pour 1er et 2ième cran de shuntage)
P= 3 induits en série sur 4 circuits en parallèle (P1 et 2 pour 1er et 2ième cran de shuntage)
Pour un même effort à la jante, on constate la progressivité des vitesses en particulier sur les deux derniers couplages (Parallèle/série = courbes PS et Parallèle = courbes P)
La puissance maximum de 2 moteurs jumelés était de 695 chevaux en régime continu (6 x 695 = 4170 ch au total) et de 890 chevaux en régime unihoraire soit 890 x 6 = 5340 ch au total.
Bien que depuis 1919, le kilowatt soit l’unité de puissance pour les locomotives électriques, la RGCF continuait de parler en chevaux-vapeur pour faciliter la comparaison avec les machines à vapeur qui étaient encore légion dans les années 20.
Captage du courant.
La 262 AE était dotée de deux dispositifs de prise de courant.
- deux pantographes,
- 8 frotteurs
Les pantographes étaient du type Faiveley. La montée de ceux-ci était obtenue par la pression d’air comprimé dans des cylindres ; l’abaissement s’effectuait en vidant ces mêmes cylindres. L’amplitude de mouvement de ces pantographes était de pratiquement deux mètres dans les limites de 4,60m au plus bas à 6,5 mères au plus haut par rapport au plan de roulement. Une alarme retentissait dans la cabine lorsque ces limites étaient dépassées.
Les frotteurs étaient montés par paires de chaque côté des deux bogies. Un dispositif de sécurité, visant à protéger les agents d’un contact accidentel, était constitué par une barre horizontale que l’on peut voir dans la vue ci-dessous.
Pour augmenter la pression des frotteurs sur le rail, deux mécanismes pouvaient agir simultanément :
- d’abord celui de ressorts qui était le moyen habituel,
- ensuite, celui réalisé au moyen d’air comprimé agissant dans des cylindres situés au-dessus des frotteurs.
En hiver, il était prévu des frotteurs spéciaux équipés de lames d’acier pour enlever la couche de verglas pouvant se trouver sur les rails.
A noter que les besoins en air comprimé pour les différents appareillages (pantographes, frotteurs, systèmes de frein) étaient fournis par deux compresseurs d’air Jourdain Monneret capable de débiter 1200 à 1300 litres /mn à la pression de 8 atmosphères.
Cabine de conduite/pupitre de commande
L’instrument principal de conduite était composé d’un pupitre de commande à 3 manettes :
- manette de prise de courant,
- manette de régime
- manette d’accélération
La manette de prise de courant comportait 4 crans, 1 cran 0 correspondant à la coupure des circuits, un cran F pour l’alimentation par frotteurs, un cran P pour la prise de courant par pantographe et enfin un cran FP pour assurer la transition d’un mode à l’autre. Cette manette était amovible, il n’y en avait qu’une seule par locomotive. Le retrait donnait l’assurance au mécanicien que les circuits étaient coupés et que toutes les autres manettes étaient en position de repos.
La manette de régime disposait de 5 crans dont le cran 0 pour la coupure des circuits. Un cran AV pour la marche avant avec excitation normale des moteurs, un cran S1 de fonction identique au précédent mais avec Shuntage à 30% des inducteurs, un cran S2 pour un shuntage à 45%, et un cran AR pour la marche arrière.
La manette d’accélération qui assurait les différents couplages des moteurs comme nous l’avons vu précédemment. En voici le détail :
Dans le sens de l’accélération, les crans devaient être franchis un à un et lorsqu’il y avait une transition de couplage, il fallait en plus appuyer sur le bouton que l’on voit à la partie supérieure de la poignée. Dans le sens de la décélération, il n’y avait pas ces contraintes.
Il existait des enclenchements entre les différentes manettes afin d’éviter toute fausse manœuvre.
Essais et carrières
Après une quinzaine de jours d’essais sans mauvaises surprises, la 262 AE 1 remorqua le 6 juillet 1929 son premier train commercial de Montmélian à Saint Jean de Maurienne. Pour ce voyage inaugural, les responsables avaient ménagé la monture puisque le train remorqué n’avait qu’une composition légère de 160 tonnes ce qui lui avait permis de gravir à 100 km/h, au couplage « parallèle-série = PS », les rampes de 15mm/mètre qui précédaient l’arrivée à Saint jean de Maurienne
Après cette entrée en matière tout en douceur, les choses sérieuses allaient commencer par des essais de pleine puissance entre Chambéry et Saint jean de Maurienne en portant progressivement la charge des trains remorqués de 600 à 800 tonnes. A ces tonnages, la vitesse moyenne de 90 km/h pouvait être tenu de bout en bout sauf pour le train de 800 tonnes qui gravissait les 10 derniers kilomètres à 85 km/h et cela sans utiliser le deuxième cran de shuntage qui n’était prévu que pour résorber d’éventuels retards. On peut ajouter au crédit de cette puissante machines que les trains d’essais étaient majoritairement composés de fourgons à 3 essieux lestés qui offraient, à poids similaires, une résistance nettement supérieure par rapport à des voitures à bogie.
Après sa mise en service commerciale sur Chambéry et Saint jean de Maurienne où le temps de parcours avait pu être réduit de 50 minutes, la desserte avait été prolongée jusqu’à Modane en mars 1930.
A la même époque, des tests avaient été effectués avec une 262 AE en vue de mesurer ses performances à grande vitesse (la revue du PLM parlait même de très grande vitesse !). Pour les mener à bien, il fallait sortir du réseau PLM et rejoindre la compagnie du Midi pour emprunter la section de ligne de Bordeaux à Morcenx qui se prêtait bien à ce type d’essais. Ainsi, sur le parcours Morcenx à Bordeaux (108,5km) notre vaillante machine réalisait des temps de 59 mn soit une vitesse commerciale de 110km/h. Les 120 km/h qui constituaient la vitesse limite de la ligne étaient atteints sur la quasi-totalité du parcours.
Passant des essais à la pratique commerciale, la 262 AE a pu remorquer pendant plusieurs jours d’affilée le Sud Express entre Bordeaux et Bayonne et retour.
En 1950, les 4 locomotives étaient renumérotées 2CC2 3401 à 4 et continuaient de régner sur la Maurienne puisqu’il n’y avait pas encore d’équivalent en alimentation par troisième rail. Ce n’est que vers la fin des années 50, début des années 60 qu’une concurrente sérieuse entrera en lice, les CC7100 dites Maurienne constituées d’un parc de six locomotives équipées de frotteurs. On retrouvera d’ailleurs fréquemment, en tête du Rome Express, ces deux catégories de machines en double traction pour le parcours de Saint Jean de Maurienne à Modane.
Progressivement rétrogradées à la traction des trains de marchandises, ce n’est qu’à l’arrivée d’une autre locomotive iconique, les CC6500, que notre vénérable 2CC2 3400 aura droit à une retraite bien méritée même si cela signifiait pour trois d’entre elles de passer par la case du chalumeau.
La seule machine conservée est la 3402 qui a retrouvé la rotonde de Chambéry et sa livrée d’origine, le vert 306 M 8152.
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