1 Septembre 2021
Image d’illustration : Photo Jean-Louis Tosque, avec son aimable autorisation.
Sources : Revue générale des chemins de fer mai 1939 site Gallica.bnf.fr/BnF, Revue générale des chemins de fer mars 1938 site Gallica.bnf.fr/BnF, Loco revue n°530 octobre 1990
Locomotive CC 1100
Pour effectuer les manœuvres de refoulement en butte, le réseau PO ne disposait pas de machines spécialement conçues pour assurer cette mission délicate qui nécessite une vitesse très faible de l’ordre de 2 à 5 km/h et une adhérence très élevée pour pousser une rame de 1500 à 2000 tonnes vers une bosse d’environ 4 mètres de hauteur (voir article sur les triages https://cheminot-transport.com/2021/02/description-et-fonctionnement-de-triages.html )
Avant l’électrification de ses lignes vers Orléans et Vierzon, le PO utilisait des machines à vapeur, non étudiées pour cette tâche, qui avaient un rendement très faible compte tenu de toutes les sujétions afférentes à ce type d’engin (chargement en charbon, en eau, montée en pression, nettoyage du feu etc.)
Une fois la ligne électrifiée jusqu’à Vierzon, le PO utilisa les machines électriques dont il disposait déjà mais, là encore, ces locomotives BB n’avaient pas été conçues pour les contraintes propres au triage qui sont fondamentalement différentes de celles s’appliquant à la remorques des trains de voyageurs ou de marchandises. Par exemple, pour refouler les rames lourdes à vitesse réduite, il fallait utiliser de façon prolongée les crans de démarrage sur résistances. Cette utilisation, qui devait rester ponctuelle dans la conduite des trains ordinaires, devenait, dans ce cas de figure, quasi permanente ce qui entraînait un échauffement anormal des résistances et donc une détérioration des pièces et parties de câblages électriques situées dans le voisinage. D’autre part, ce mode de fonctionnement avait pour conséquence une perte d’énergie importante dans ces résistances de l’ordre de 50%.
De plus, au fur et à mesure de l’avancement de l’électrification vers le sud, la disponibilité des machines de route se faisait de plus en plus rare, toutes les ressources étant utilisées pour la traction des trains.
C’est dans ce contexte que les chemins de fer de PO/Midi étudiaient la possibilité de faire assurer les manœuvres de tri à la butte par une machine dédiée. Deux prototypes furent commandés en 1937, il s’agit des E1001 et 1002 livrés en janvier et février 1938.
Pour établir le cahier des charges avec les spécifications attendues, le PO/Midi étudia l’ensemble des buttes des triages (tracés, profils) sur lesquels ces engins de manœuvres étaient susceptibles d’être utilisés. Les résultats de ces travaux avaient montré que l’effort maximum à la jante nécessaire restait inférieur à 20 tonnes et qu’en se basant sur un coefficient d’adhérence d’environ 20%, il en résultait un poids adhérent devant être de l’ordre de 100 tonnes. D’autre part, compte tenu que les voies des triages étaient moins faiblement armées mais aussi moins entretenues que celles des voies principales, il avait été décidé de ne pas dépasser une limite de charge de 18 tonnes par essieu d’où le choix d’une locomotive à 6 essieux. Enfin, du fait des vitesses réduites utilisées (de 2 à 12 km/h), la puissance nécessaire pour effectuer ce travail avait été déterminée à 350 kW d’où le recours à seulement deux moteurs pour équiper chaque bogie. Pour obtenir l’adhérence totale, les essieux d’un même bogie étaient reliés par bielles.
Dernière spécification requise, mais non des moindres, la spécificité d’une manœuvre de refoulement en butte consistant à maintenir une vitesse constante alors que la charge de la rame débranchée s’allège au fur et à mesure des wagons triés à la gravité, il fallait concevoir un système adaptant l’effort de traction en réglant le courant absorbé par les moteurs sans avoir recours aux résistances pour les raisons décrites plus haut. L’emploi d’un convertisseur (comme sur les locomotives à "métadyne" que nous verrons dans un prochain article) pour l’alimentation des moteurs avait donc été demandé.
En résumé, la définition finale de la machine retenue prévoyait :
Une locomotive à caisse unique et cabine centrale reposant sur deux bogies de 3 essieux avec une adhérence totale obtenue par des bielles. La masse devait être de l’ordre de 90 tonnes avec une possibilité de la porter à 108 au moyen de lest. Les moteurs, suspendus par le nez, devaient avoir une puissance unitaire de 75kW à 12 km/h et développer un effort à la jante de 20 tonnes au démarrage. La vitesse maximum à vide était fixée à 25/30 km/h (50km/h en acheminement) et les faibles vitesses en charge devaient êtres obtenues sans avoir recours aux résistances.
Des différents constructeurs consultés, l’offre la « mieux disante » fut celle du groupement de la Compagnie Générale de Construction de Locomotive (Batignolles Châtillon) et de la société Oerlikon.
Caractéristiques générales
Description mécanique
La caisse de la locomotive comprenait 3 parties :
- la partie centrale occupée par la cabine de conduite et comportant deux postes de commande. L’accès à cet espace se faisait au moyen de deux portes coulissantes.
Voici une vue d’un pupitre de conduite et du manipulateur avec capot enlevé. On peut constater que la visibilité à 360° était assurée par la position surélevée de la cabine et par de larges baies vitrées.
- les deux parties extrêmes étaient occupées par l’appareillage. Nous verrons la configuration des différents appareillages dans la partie électrique.
Les bogies étaient montés sur 3 essieux et reliés entre eux par un attelage axial rigide. Seuls les essieux extrêmes étaient moteurs. Les essieux intermédiaires avaient leurs boudins amincis pour faciliter le passage en courbe dont les rayons sur certaines voies d’un triage peuvent être très réduits.
Les essieux moteurs étaient actionnés par des trains d’engrenage comportant une roue dentée. Vue ci-dessous.
Le système de freinage comportait deux dispositifs :
- un frein à air Westinghouse agissant sur chacune des roues par l’intermédiaire de deux sabots,
- un frein à main dont l’action s’exerçait également sur toutes les roues.
Description électrique
Nous avons vu précédemment qu’un dispositif spécial, appelé convertisseur, servait au réglage de la vitesse en adaptant l’effort de traction. Le RGCF de mai 1939 en résumait le principe de la façon suivante.
Pour ceux qui veulent plus de détails sur le fonctionnement, voici le schéma électrique de ce dispositif en sachant que :
- le « A » représente le moteur compound d’entraînement alimenté directement par le pantographe (puissance continue de 400kW et unihoraire de 525kW)
- le « B » correspond à la génératrice principale (débit de 300A en continu ou 385 A en unihoraire) anti-compound alimentant les induits des 4 moteurs de traction connectés en série (la tension de la génératrice se règlait par l’action sur le rhéostat d’excitation R1),
- le « Ea » est une excitatrice auxiliaire alimentant les inducteurs de A et des génératrices B et Eb
L’important à retenir est que, grâce à ce système, le courant absorbé par les moteurs de traction et par le moteur d’entraînement varie en fonction du profil de la voie ou, lors de s débranchements, en fonction du tonnage résiduel au fur et à mesure des wagons débranchés. Lors des descentes le courant diminue jusqu’au point de s’inverser, la locomotive fonctionnant alors en récupération. Le fonctionnement en récupération pour obtenir un ralentissement ou un freinage pouvait également être obtenu en réduisant les crans du manipulateur. La vitesse chutait jusqu’à celle correspondant au nouveau cran sélectionné.
Voici le schéma des différents appareillages et leurs emplacements.
Premiers essais.
Avant la mise en service, la E1001 a été testée à Juvisy (butte Nord côté poste B) et la E1002 à Vierzon (butte Sud). Pour illustrer les déclivités que l’on trouve dans un refoulement en butte, voici le profil de la bosse Nord de Juvisy que je connais bien pour avoir fait mes stages de chef formation et de chef de PCT dans ce triage.
Durant ces vérifications, il a été procédé à de nombreux débranchements de trains de 1900 à 2000t en faisant varier les vitesses de refoulement à 1,5, 2 et 3 km/h. Dans l’autre sens, la montée en butte s’effectuait à une vitesse constante de 12 km/h. Les mesures des intensités étaient restées conformes à celles des diagrammes théoriques qui avaient permis de déterminer la puissance nécessaire. Aucun échauffement anormal des enroulements n’avait été constaté. Le dimensionnement du groupe était donc tout à fait adapté au travail demandé. De plus il a été constaté une réduction sensible de la consommation d’électricité par rapport aux locomotives BB qui les avaient précédées. La consommation par watts/heure était passée de 88Wh à 56Wh grâce notamment aux appareillages électriques (convertisseur) adaptés à l’activité effectuée.
Au bout d’un an d’essais et après avoir parcouru 42 000km et assuré pendant des périodes de plusieurs semaines un service continu 24h/24, ces machines ont reçu leurs premières affectations, à savoir la butte Sud d’Orléans pour l’une, la butte Sud de Vierzon pour l’autre.
Carrière
Les prototypes ayant donné entière satisfaction, une commande était lancée par la SNCF mais les hostilités de la seconde guerre mondiale retardèrent la livraison des E1103 à 1112 qui n’interviendra que vers la fin du conflit et se poursuivra après-guerre.
Selon Loco revue 530 d’octobre 1990, la livrée de ces engins, qui seront surnommés « mille pattes », se déclinait en vert 306 pour la caisse, noir 901 pour le châssis et les bogies, rouge vif 601 pour les traverses et gris conteneurs 838 pour le pantographe. Cette livrée évolua à la fin des années 50, la caisse passant au vert celtique 301, les châssis, bogies et pantographe devenant gris ardoise 807 et les traverses évoluant vers le rouge vermillon 605. Le marquage étant réalisé en blanc mat 702.
En 1948 la nouvelle numérotation SNCF attribua à cette série les numéros CC 1101 à 1112.
Au milieu des années 50 la répartition des « mille pattes » était la suivante :
- 2 à les Aubrais pour le triage,
- 3 à Tours pour le triage de Saint Pierre des Corps
- 2 à Vierzon
- 2 à Limoges pour le triage de Puy Imbert,
- 3 à Toulouse pour le triage de Saint Jory.
A la fin des années 70, une redéfinition du plan de transport du fret, qui visait à regrouper les activités de triage sur les plus importants, rendit disponibles un certain nombre de machines qui pouvaient alors être mutées sur le Sud Est. C’est les cas pour Villeneuve triage qui en reçut 3, Lyon Mouche qui en utilisa 2 à Sibelin et le site d’Avignon qui fut doté d’une seule unité pour le triage de Miramas. Les exemplaires restants du Sud Ouest étant maintenus à Toulouse (3) et à Tours (3).
A la fin des années 80, des premiers signes de fatigue se firent sentir sur ces engins cinquantenaires soumis à un dur régime de travail intensif. La SNCF décida de les moderniser plutôt que de lancer une série de remplacement.
Les modifications concernèrent aussi bien les parties électriques que mécaniques. L’aspect le plus visible fut, sans aucun doute, la nouvelle livrée aux couleurs vives des engins de manœuvre. La cabine centrale fut également rénovée et agrandie ce qui donna un look plus moderne à ces locomotives qui ne prendront leurs retraites qu’en 2005 pour certaines, et à l’âge respectable de 65 ans pour la CC 1101 qui partira en 2003.
C’est le triage de Saint-Jory qui aura l’honneur d’user jusqu’au bout ces machines emblématiques dont tous ceux qui les ont connues ou approchées en gardent un souvenir ému.
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