7 Octobre 2021
Image d’illustration : Livre Simple explication des chemins de fer Amédée Guillemin 1862 site Gallica.bnf.fr/BnF
Sources : Wagons composant le train Impérial 1857 site Gallica.bnf.fr/BnF, Simple explication des chemins de fer Amédée Guillemin 1862 site Gallica.bnf.fr/BnF, Le moniteur de l’assurance 28 mai 1856 site Gallica.bnf.fr/BnF, Le technologiste ou archives des progrès de l’industrie française 1857 site Gallica.bnf.fr/BnF , Le Sport 27 août 1856 site Gallica.bnf.fr/BnF, Encyclopédie Populaire 30 août 1856 site Gallica.bnf.fr/BnF, Gazette de l'industrie et du commerce 20 septembre 1856 site Gallica.bnf.fr/BnF, Musée des familles 1858 site Gallica.bnf.fr/BnF, Album pratique de l’art industriel 1863 site Gallica.bnf.fr/BnF, La célébrité industrielle artistique et littéraire 22 novembre 1863 site Gallica.bnf.fr/BnF, Indiscrétions parisiennes Adrien Marx 1866 site Gallica.bnf.fr/BnF
Du train Impérial aux trains présidentiels
Le 24 mai 1856, circulait entre Paris et Tours le premier train entièrement dédié au plus haut dignitaire de l’Etat et même, en l’occurrence, de l’Empire.
La Compagnie d’Orléans avait décidé d’offrir à l’empereur Napoléon III un train de luxe d’une valeur de 500 000 francs et dont la décoration avait été confiée au plus grand architecte de l’époque, Eugène Viollet-le-Duc, qui avait également des compétences en mobiliers, ameublements et décorations. En fait, rien de ce qui touchait à l’art et à l’histoire ne lui était étranger.
Le train impérial, qui prenait le nom de « La Patrie », était composé de 6 wagons ainsi classés de la tête vers la queue:
Pour certains puristes qui trouveraient que le terme « wagon » ne s’applique pas aux voitures à voyageurs, il faut savoir qu’à l’époque c’était l’appellation la plus couramment usitée. J’ai donc repris la dénomination d’autrefois pour être en adéquation avec le 19ième siècle.
- un wagon fourgon contenant les bagages,
- un wagon salle à manger avec office et aides de camp,
- un wagon plateforme couvert mais avec des parois latérales ajourées. Il servait aussi bien d’antichambre que de promenade et peut-être de fumoir.
- un wagon salon d’honneur compartimenté en deux avec une grande pièce et un petit salon plus intime,
- le wagon privé de l’empereur composé d’un compartiment pour les dames d’honneur, de la chambre à coucher, de deux cabinets de toilettes, d’une garde robe, du local du valet de chambre et d’un water-closet.
- un autre wagon de bagages.
Si vous observez le schéma du train ci-dessus, vous verrez que le train n’était accessible que par deux plateformes munies d’escaliers. La sécurité des souverains avait été pensée dans les moindres détails, un filtrage des accès pouvait facilement être réalisé lors des arrêts inopinés. Pour se rendre d’un wagon à l’autre, il avait été aménagé un système de ponts ornés de balustrades directement inspiré d’un modèle américain comme l’indique la revue « le Technologiste ou archives des progrès de l’industrie française » d’octobre 1856.
Quelques mois après, un autre wagon fut ajouté au train impérial, il s’agissait de celui du prince impérial et de ses nourrices comme on le voit dans la vue ci-dessous. La famille impériale, au grand complet, pouvait partir le 19 août 1856 pour Biarritz à 6 heures de l’après-midi et arriver dans cette station balnéaire réputée le lendemain à 11 heures du soir après 29 heures de voyages ponctuées de nombreux arrêts.
Description extérieure
La photographie couleur n’ayant pas encore été inventée et la photographie en noir et blanc étant encore à ses premiers balbutiements, on ne dispose pas de clichés mais seulement de dessins et de descriptions dont voici un résumé.
A l’exception de la plateforme, les autres wagons étaient peints en grenat et bleu d’outre-mer rehaussés de corniches et bandeaux en bronze doré. Les armoiries de l’Empire étaient arborées sur les panneaux. Une couronne impériale supportée par des aigles en bronze trônait sur le toit de la voiture salon. On retrouvait ces aigles, mais sans couronne, sur les deux wagons d’extrémités.
Description intérieure
Le premier wagon, celui des aides de camp, était paré d’une tenture en cuir gaufré. Les meubles étaient en chêne sculpté. Le plafond comportait des moulures dorées et l’insigne de l’Empereur entouré de feuilles de lierre. Une vue de ce plafond est reprise ci-dessous.
Le wagon plateforme était, lui aussi, richement décoré au niveau du plafond. Des rideaux en tapisserie pouvaient être tirés afin de protéger les voyageurs des intempéries. Le train pouvant circuler à près de 80 km/h, les rideaux battus par le vent ne devaient pas résister très longtemps.
Les parois du wagon salon étaient tendues de soie de coloris vert clair. Le siège de l’empereur, ou plutôt son trône tellement il était imposant, occupait le fond du premier compartiment. On le voit ci-dessous sur ce dessin d’illustration.
La chambre à coucher et les cabinets de toilettes communicants étaient les plus luxueusement décorés. En voici la description telle qu’elle est donnée dans le document de présentation de Viollet-Le Duc et de Polonceau le responsable du projet au PO.
Devant un tel luxe offert à l’empereur par la compagnie du PO, celle de l’Est s’est crue obligée d’en faire autant. Dès l’année qui a suivi, lors de l’inauguration de la ligne du camp de Châlons le 15 septembre 1857, l’empereur Napoléon III venait assister à cette cérémonie dans son nouveau train de luxe. Avant de décrire en quelques mots ce nouveau train impérial, il me parait intéressant de montrer, à travers quelques dates, la célérité avec laquelle le projet avait été conduit en ce 19ième siècle. On serait bien incapable aujourd'hui de réaliser ces mêmes travaux dans les délais d'il y a 165 ans . En effet, la construction de cette ligne de 25 kilomètres, dont le décret avait été publiée le 7 juillet 1857, avait commencé le 12 Juillet pour se terminer deux mois jour pour jour après afin d’être inaugurée dès le 15 Septembre soit deux mois et huit jours après la décret d'autorisation. Et tout cela avec les moyens mécaniques très limitées de l’époque !
Revenons au train de l’empereur qui se composait de huit wagons communicants entre eux par des ponts articulés qui reprenaient la technique utilisée par son homologue du PO. Les deux voitures de tête, formant salons et cabinets, étaient réservées aux officiers de la suite. Suivait le wagon office et salle à manger dont les deux parties étaient séparées par une cloison. La salle à manger était qualifiée d’objet d’art du train avec ses parois et son mobilier en chêne sculpté rehaussé d’or et ses sièges en cuir repoussé (dessin en relief obtenu en martelant le cuir). Puis venait le wagon plateforme (ou promenade), avec ses divans en cuir et ses rideaux en tapisseries de Beauvais s’ouvrant ou se fermant selon le temps. De là on accédait au salon décoré en vert « tendre » avec des tentures en provenance de la manufacture de la Savonnerie. Le boudoir de l’impératrice, contigu à la pièce précédente, bénéficiait des mêmes décorations. En queue du train, se trouvait la chambre à coucher composée de deux alcôves dont les parois étaient tendues de soie violette ou bleue et de deux cabinets de toilettes. Fermant la marche, une voiture identique aux deux premières accueillait les dames de la suite de l’impératrice. Les 5 wagons principaux affectés à la maison impériale étaient estimés à 350 000 francs.
Si ce train plongeait ses passagers privilégiés dans une ambiance de luxe un peu désuète, il savait aussi offrir quelques innovations qui laissaient entrevoir ce que serait le prochain siècle à l’image de cette installation électrique qui permettait de communiquer directement avec l’équipe de conduite. En effet, dans chacun des wagons se trouvait un cadran à aiguilles dont le pourtour portait les indications : « Plus vite », « Tout va bien », « Moins vite », « Arrêtez ». Il suffisait de placer la pointe de l’aiguille centrale sur une de ces mentions pour que le conducteur soit averti immédiatement des injonctions qui lui étaient adressées. Un fil électrique gainé courait tout le long du train jusqu’à la locomotive. C’était en quelque sorte un précurseur de la ligne de train !
Voici trois dessins reprenant la composition avec 6 voitures et une vue du wagon plateforme qui servait de seul accès au train. On remarque que les wagons étaient à deux ou trois essieux.
Et les autres compagnies me direz-vous ?
Un peu moins ambitieuses ou généreuses, les compagnies du PLM et du Nord s’étaient contentées d’aménager certains wagons pour les rendre dignes des honneurs à rendre à la cour impériale. Il s’agissait, pour le Nord, de 4 voitures salons.
On pourrait se demander si ces dépenses somptuaires ont été des investissements en pure perte ou, au contraire, ont permis de mieux faire connaitre ce moyen de locomotion et donc d’en favoriser le développement. La meilleure réponse à cela a été leurs fréquences d’utilisation. Outre ses déplacements privés pour se rendre à Biarritz, Napoléon III a eu très fréquemment recours aux trains impériaux. Des dizaines de voyages en France et à l’étranger ont été effectués dans ces trains qui ont accueilli de nombreux souverains étrangers. Nul doute que toutes les centaines d’articles de presse qui ont mis à l’honneur ces trains ont favorablement marqué la mémoire collective de l’époque et ont contribué à l'essor rapide du chemin de fer en France.
Le prochain article, qui sera beaucoup mieux illustré, décrira les trains présidentiels qui ont suivi et qui ont perpétué le luxe des wagons du second empire qui les avaient précédés
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