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Cheminot Transport

La locomotive à Haute Pression 232 P

Image d’illustration : Unknown authorUnknown author, Public domain, via Wikimedia Commons

Sources : RGCF Septembre 1943 site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF mars 1942 site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF décembre 1928 site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF janvier 1932 site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF Novembre 1947 site Gallica.bnf.fr/BnF

 

Locomotive 232 P

 

Après la 232 Q1 et la 230 E93, voyons un troisième prototype qui a été produit dans cette période prolifique de la toute fin des années 30, lorsque l’on explorait toutes les pistes qui pouvaient donner un second souffle aux locomotives à vapeur qui avaient déjà plus de 100 ans d’existence.

La 232 P était une locomotive à haute pression et à moteurs individuels. Comme la 232 Q1, elle pouvait s’affranchir de l’accouplement par bielles et en profitait pour se parer d’un carénage intégral.

Unknown authorUnknown author, Public domain, via Wikimedia Commons

Les recherches sur cette locomotive, commandée dès 1936 à la Société Suisse pour la construction de locomotives par les chemins de fer du Nord, avaient pour objectifs de réduire la consommation tout en augmentant la puissance massique. La société de Winterthur  avait déjà exploré la voie de la haute pression en 1928 en construisant un engin de ce type dont les essais avaient montré que, par rapport à une locomotive classique, on pouvait obtenir une économie de 30%, tout en fournissant un travail mécanique supérieur de 40%. Voici une photo de cet engin avec un moteur unique dans l’appendice avant et un faux essieu pour transmettre le mouvement aux essieux moteurs via des bielles.

RGCF décembre 1928 site Gallica.bnf.fr/BnF,

Séduits par ces résultats prometteurs, les chemins de fer du Nord décidaient, dès 1930, de reproduire cette technologie sur la base d’une machine Pacific. Les études montraient rapidement que le moteur unique utilisé dans l’expérience de 1928 n’était pas adapté pour des puissances au-delà de 2800 chevaux compte tenu notamment  de la largeur limitée que l’on devait donner aux roues dentées transmettant l’effort.

Confrontée à cette problématique, la société de Winterthur décida de fractionner la puissance en recourant à des moteurs individuels de moindre puissance qui pouvaient s’affranchir de la contrainte s’appliquant au moteur unique.

Convaincus par cette solution, les chemins de fer du Nord commandaient le 9 mars 1936 à trois constructeurs français (Société Alsacienne de constructions mécaniques, Compagnie de Fives-Lille et Schneider)  la fabrication de cette locomotive sous les procédés et directives de la société de Winterthur.

La Société Alsacienne  livrait en 1939, pour essais, la 232 P, mais ceux-ci furent rapidement interrompus compte tenu du déclenchement des hostilités. Ce n’est qu’en 1943 que les pièces nécessaires étaient disponibles et que sa mise en service a pu être prononcée.

Avant de décrire cette locomotive prototype, signalons une autre machine à haute pression qui avait vu le jour sur le PLM et dont le concepteur/fabricant était la société allemande Schmidt-Henschel. Il s’agissait de la 241 B dont la photo est montrée ci-dessous. Cet engin, resté à l’état de prototype, avait démontré, lors des essais, qu’il était capable de procurer des économies de l’ordre de 20%. Des incidents (avaries des tubes-chaudières) et des difficultés liées à la complexité des mécanismes n’ont pas permis de donner une suite favorable à sa production en série.

RGCF janvier 1932 site Gallica.bnf.fr/BnF

 

La 232 P

Description Générale

Les caractéristiques principales sont reprises dans le tableau joint.

RGCF Septembre 1943 site Gallica.bnf.fr

On voit dans cette description la présence d’une double chaudière (Haute Pression à tube d’eau et Basse Pression à tube à fumées). La justification de cette coexistence de système de chauffe résidait principalement dans le rôle d’épurateur d’eau d’alimentation que jouait la chaudière BP. En effet, outre sa fonction d’alimentation des auxiliaires, cette chaudière, que l’on peut qualifier d’intermédiaire, réchauffait l’eau en provenance du tender à 210° et la portait à la pression de 20Hpz. Cette étape permettait aux sels incrustants de se décanter en amont de la chaudière HP et évitait ainsi d’entartrer les parois des tubes d’eau. Un autre procédé (phosphate trisodique) visant à épurer l’eau était utilisé en complément dans la chaudière BP. Cette précaution extrême en  vue de fournir une eau purifiée de toutes ses impuretés découlait des expériences précédentes qui avaient mis en lumière l’importance de la propreté des tubes dans le bon fonctionnement des chaudières à tubes d’eau pour la production de vapeur à haute pression.

Avant de détailler le fonctionnement des différents mécanismes, commençons par une description plus générale.

Le schéma ci-après donne des détails complémentaires par rapport au tableau des caractéristiques présentés ci-dessus.

RGCF mars 1942 site Gallica.bnf.fr/BnF

De type Hudson (2-3-2)  la 232P avait une longueur de 15,07 mètres sans le tender et de 25 mètres avec ce dernier. Sa masse était de 126 tonnes et son poids adhérent de 65t. L’empattement rigide se limitait à 4,10 mètres et les roues motrices avaient un diamètre de 155 cm.

Sur la vue ci-dessous (carénage non monté) on peut distinguer sur le flanc de la locomotive les 3 moteurs individuels qui se trouvaient de chaque côté de l'engin.

Livre Locomotion moderne 1950 collection personnelle

Description Technique

Pour comprendre le fonctionnement atypique de cette locomotive à vapeur, le mieux est de commencer par montrer un schéma simplifié, à visée didactique, puis de le commenter.

RGCF Septembre 1943 site Gallica.bnf.fr/

Commentaires :

Le fonctionnement peut s’expliquer au moyen de la description des deux circuits : celui de l’eau et celui des gaz chauds.

- celui de l’eau prend le cheminement suivant. L’arrivée de l’eau du tender, représentée à droite du schéma par la flèche « eau du tender », se fait directement dans la chaudière BP (marque n°2) au moyen de pompe et injecteur. A la température de 215° et à la pression correspondante de 20 Hpz, l’eau épurée de ses sels  est transférée par la pompe HP (n°6) dans les tubes économiseurs (n°3) afin de subir une nouvelle élévation de température avant d’être  injectée dans la chaudière HP (n°1). C’est là que l’eau s’échauffe à 277° et produit de la vapeur à 60Hpz qui transite par le surchauffeur (n°4) avant d’actionner les moteurs (n°7) puis de s’échapper (n°9).

 Si vous observez bien le schéma, vous voyez qu’un autre circuit mène la partie de l’eau qui s’est vaporisée dans la chaudière BP vers un surchauffeur (n°5) qui alimente en vapeur les auxiliaires (comme par exemple la turbopompe alimentant les circuits d’huile à l’arrêt, le ramoneur de surchauffeur et d’économiseur, le robinet by-pass etc.).

- le circuit des gaz chauds est le suivant. La combustion du charbon sur la grille du foyer (n°10) génère des gaz chauds qui vaporisent l’eau de la chaudière HP (n°1) puis traversent la surchauffeur (n°4) avant de pénétrer dans la chaudière BP (chaudière classique à tubes à fumée) où ils réchauffent également l’économiseur HP (n°3) et le surchauffeur  (n°5) avant de s’échapper par l’appareil de tirage (n°9).

Ces circuits sont matérialisés sur le schéma suivant qui est un peu plus détaillé que le premier.

RGCF Septembre 1943 site Gallica.bnf.fr/

Les Moteurs

Chaque essieu moteur disposait de deux moteurs à 3 cylindres horizontaux de 150mm x 255mm. Ils avaient une vitesse de rotation de 1000 tours/minute. Le rapport d’engrenage était de 1,976 ce qui se traduisait par un nombre de tours de roue à la minute de 1000/1,976 = 506. Les roues ayant un diamètre de 1,55 et une circonférence de 1,55 x p = 4,87, la vitesse théorique maximum pouvait atteindre  (4,87 x 506 x 60)/1000 = environ 148 km/h.

La puissance développée s’établissait à environ 500 ch par moteur. La puissance maximum au banc avait atteint 700 ch.

RGCF Septembre 1943 site Gallica.bnf.fr/

La transmission, du type winterthur, attaquait les essieux par engrenages et roue dentée. Le dispositif élastique compensant le déplacement relatif du châssis et de l’essieu est visible sur cette vue.

RGCF Septembre 1943 site Gallica.bnf.fr/

Conduite de la locomotive

L’attention de l’équipe de conduite semblait être beaucoup plus sollicitée dans les différentes tâches que requérait la locomotive en marche. Le fonctionnement à deux chaudières complexifiait les actions sur les mécanismes et multipliait les contrôles à effectuer. Des transferts entre chaudières HP et BP par le « by-pas » étaient parfois nécessaires en fonction de la pression. L’alimentation de la chaudière HP devait se faire par l’une ou l’autre des pompes ou par les deux. La commande de ramonage des tubes à fumée de la chaudière BP devait s’effectuer régulièrement de même que celle du surchauffeur HP lorsque la température descendait en dessous de 400°. Tout ce que je viens de décrire est loin de représenter toutes les actions et vérifications que l’équipe devait effectuer. Comme un dessin vaut mieux qu’un long discours, il est donc préférable, pour se rendre compte de la complexité de cette locomotive, de montrer l’arrière de l’abri de la locomotive où l’on voit toute la panoplie des appareils de manœuvre et de contrôle.

RGCF Septembre 1943 site Gallica.bnf.fr/

Que penser de cette machine ?

Le fait qu’elle était conçue pour explorer des solutions nouvelles justifie pleinement les études menées et la fabrication qui a suivi. Comme tous les prototypes de cette période, ils sont arrivés au pire moment et les efforts de reconstruction d’après guerre primaient sur tout le reste sans parler des nouveaux modes de traction (électricité, diesel) qui donnaient un coup de vieux à cette technologie d’un autre siècle. Même si elle n’a pas eu d’avenir pour les raisons évoquées plus haut, regardons quels étaient les objectifs poursuivis en tentant de développer la technique de la haute pression.

L’objectif premier était d’augmenter le rendement c'est-à-dire d’obtenir une puissance plus élevée à consommation égale. Le tableau suivant donne la correspondance entre la valeur du timbre en Hpz et le rendement qui lui est associé (dans le cas de la vapeur surchauffée à 400° sans recours au condenseur).

RGCF Septembre 1943 site Gallica.bnf.fr/

On observe qu’entre le timbre habituel (20Hpz) et la haute pression à 60, le rendement croit de 30 % (0,20 x1,3 =0,26). C’est d’ailleurs entre ces deux valeurs que la progression est la plus marquée. La Haute Pression laissait donc entrevoir une amélioration sensible du rendement.

Le deuxième objectif  visait à démontrer la pertinence du moteur individuel et sa grande vitesse de rotation.

Sur ce dernier point, l’avantage résidait dans son encombrement réduit qui procurait une puissance massique beaucoup plus élevée. Les moteurs rapides présentaient aussi l’intérêt de réduire la condensation en fin de période de détente, ce que les thermodynamiciens appelaient « les pertes par effets de paroi »

Sur le premier point, le moteur individuel permettait de supprimer l’accouplement par bielles et de réduire le diamètre des roues ce qui se pouvait se traduire par une réduction de la longueur de la locomotive. Un autre avantage, qui était d’ailleurs considéré comme primordial à l’époque, était la facilité qu’il procurait à l’entretien des machines. Il était en effet possible de démonter et d’échanger un moteur sans immobiliser longuement l’engin.

En Novembre 1947, la RGCF parlait à nouveau de cette machine en disant qu’elle reprenait ses essais interrompus par la guerre et la période de reconstruction. Aucune critique n’était formulée sur les moteurs qui étaient considérés comme fonctionnant bien. La chaudière était par contre décrite comme délicate à conduire en raison de ses deux parties. La RGCF concluait en disant que les économies, même si elles atteignaient les 30%, ne compenseraient pas les inconvénients d’entretien de la chaudière dont les organes étaient d’accès difficile.

Quelques mois après, la 232 P reprenait le chemin du garage en attente de la radiation qui interviendra en 1949.

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