18 Novembre 2021
Image d’ilustration Livre Locomotion moderne 1950 collection personnelle.
Sources : RGCF août 1946 site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF mai 1947 site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF décembre 1947 site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF février 1949 site Gallica.bnf.fr/BnF, Livre Locomotion moderne 1950 collection personnelle, Article de Baumgartner, J.-P. « La locomotive à vapeur compound à trois cylindres » site www.e-periodica.ch/
Locomotive 242 A 1
Le type 242, fréquent aux USA (Northern) pour les locomotives de vitesse, était très peu utilisé en Europe puisque seulement deux machines avaient été livrées à la Reichsbahn par Krupp (type 06) à la fin des années 30. Le PLM avait, quant à lui, mis en service des locomotives de ce type mais il s’agissait de locomotives-tender.
Dans l’article sur la « super mountain » 241 101 des chemins de fer de l’Etat https://cheminot-transport.com/2021/05/la-mountain-241-101.html, j’évoquais, dans la conclusion, la transformation de cette machine en 242 A1 par André Chapelon. Le moment est venu d’en parler et c’est donc l’objet du présent article.
Pourquoi avoir utilisé la 241 101 ?
En 1938, cette machine avait subi de graves avaries de cylindres qui nécessitaient des réparations importantes. De plus, la distribution n’avait pas donné, avec le recul de plusieurs années d’exploitation, une entière satisfaction d’où la nécessité de la modifier.
C’est alors que celui que d’aucuns, dont je fais partie, considèrent comme le plus grand spécialiste français de la vapeur, André Chapelon, a pris l’initiative de la transformer et en a réalisé l’étude avant que la construction en soit confiée aux « Forges et Aciéries de la Marine d’Homécourt » à Saint-Chamond. Et c’est sur ce site que, les 18 et 19 mai 1946, était exposée la magnifique 242 A 1.
Principes retenus dans l’étude de la 242 A 1.
è Le premier problème auquel était confronté A. Chapelon, a concerné l’essieu coudé. En effet, en raison de l’augmentation constante de la puissance développée par les machines compound à 4 cylindres, l’essieu coudé était devenu un des points de fragilité du mécanisme. Il ne paraissait donc pas possible de lui faire supporter un accroissement supplémentaire des efforts avec des machines toujours plus puissantes. L’identification de la cause de ce problème étant connue, à savoir la limitation de l’épaisseur des flasques et la longueur des coussinets de boîte du fait de la présence des deux cylindres intérieurs et donc des deux coudes sur l’essieu, la solution retenue a consisté à réduire le nombre de cylindres. En passant de deux cylindres à 1 cylindre HP, on n'avait plus besoin que d'un essieu à un seul coude ce qui permettait de donner aux flasques une section plus grande et aux fusées toute la longueur nécessaire.
Le dessin comparatif suivant entre une 240 P à deux cylindres intérieurs et la 242 A1 à 1 seul fait bien ressortir l’augmentation de la section des flasques qui étaient passées de 105 mm à 180mm. Cette modification augmentait sensiblement la rigidité grâce au double effet du passage de deux coudes à un seul et de l’augmentation de la section.
Cette décision entraînait de facto l’adoption du système compound à 3 cylindres dont 1 HP intérieur et deux BP extérieurs. Pour rappel, la 241 101 était aussi à 3 cylindres mais à simple expansion.
Dans son exposé, André Chapelon rappelait les précédents cas de compound à 3 cylindres qui n’avaient pas toujours reçu un accueil favorable alors que, le plus souvent, ce type de montage avait montré de très bonnes dispositions à l’image de cette locomotive de 1896 de type 130 (Mogul) à 3 cylindres du réseau du Jura Simplon qui avait été construite à 117 exemplaires. On peut citer aussi la Baldwin prototype de 1926 (n° 60000) de type 251 disposant d’une grille de 7,90m2 et timbrée à 24,6 Hpz qui avait été testée au banc d’Altoona à une puissance indiquée de 4500 chevaux (3600 ch à la jante).
è L’autre principe retenu a consisté à remplacer le système Renaud de distribution par soupapes par des tiroirs Trick pour le cylindre HP et Willoteaux à double admission et double échappement pour les BP.
La raison invoquée par A. Chapelon n’était pas d’ordre de supériorité technique de l’un ou l’autre des dispositifs. Bien au contraire, il pensait à une certaine équivalence entre tiroirs et soupapes. Il considérait même que les soupapes pouvaient, aux cylindres BP, s’avérer supérieures, lors des grandes vitesses de 140km/h et au-delà (en raison de l’inertie puisque la soupape était 15 à 20 fois plus légère et qu’elle se déplaçait de l’ordre de 5 à 8 fois moins). Il citait aussi un autre cas où l’avantage penchait en faveur des soupapes. En effet, lors de l’utilisation de la vapeur surchauffée à 400°, l’incidence de celle-ci sur le graissage des tiroirs se faisait sentir ce qui pouvait entraîner des usures plus rapides des chemises et des segments.
Alors pourquoi ce choix des tiroirs à la place des soupapes ?
Je passe sur certains reproches qui visaient à discréditer l’utilisation des soupapes sur d’autres de ses modèles et qui paraissaient pour le moins injustifiés pour donner les seules raisons qu’A. Chapelon évoquait dans son exposé à savoir :
è Pour tirer le meilleur parti possible de la chaudière timbrée à 20 hpz , la vapeur surchauffée devait être portée à 420° ce qui nécessitait de remplacer le surchauffeur Schmidt à 30 éléments par un du type Houlet à 33 éléments.
è Afin de favoriser de plus fortes allures de combustion, le foyer en cuivre d’origine était remplacé par un foyer en acier ce qui permettait la soudure des tubes sur la plaque tubulaire. De même, pour ne pas réduire la surface de la grille par le débouché du stoker initial, celui-ci avait été remplacé par un nouveau chargeur automatique du type HT.
è Compte tenu de l’augmentation de puissance envisagée, le renforcement du châssis en vue d’accroitre sa rigidité était réalisée par l’incorporation d’entretoises et diverses armatures et tôles. L’alourdissement qui en résultait avait eu pour effet d’augmenter la masse d’une vingtaine de tonnes. A 148 tonnes, la charge par essieu aurait été trop importante en configuration Mountain d’où le type 242 (Northern) mieux adapté à son poids. En conséquence, le bissel arrière avait été remplacé par un bissel à deux essieux.
Caractéristique générales
Les dimensions des différents organes et mécanismes sont reprises dans le tableau qui suit.
Quelques particularités techniques
a) le Foyer
Le foyer débordant, du type américain à tirants rayonnants, comportait deux siphons Nicholson et une chambre de combustion. La grille de 5m2, du type Hulson, était constituée de 7 rangées à 20% de passage d’air à l’avant pour 2 rangées à 10% à l’arrière.
Le stoker était de type HT avec le moteur de celui de la locomotive d’origine mais placé sur la machine.
b) surchauffeur
Le surchauffeur de type Houlet disposait de deux tubes concentriques de grande section et d’un tube de retour. La section importante trouvait sa justification dans le fait qu’il n’y avait qu’un seul cylindre HP et que celui-ci devait recevoir le même débit de vapeur dans un laps de temps identique.
La température de surchauffe qui était de 400° dans la 240P passait à 420° dans la 242A.
c) Echappement
L’échappement triple de type Kylchap avec 3 cheminées montées en parallèle était le premier de ce modèle à être installé sur une locomotive.
d) cylindres
Initialement fabriqués en fonte dans le contexte de la période de guerre, il est apparu au bout de quelques périodes d’essai que des fissures apparaissaient en plusieurs points de la boîte à vapeur. Le remplacement du cylindre HP par un modèle en acier moulé avait donc été effectué.
e) essieux, bogie et bissel.
Les roues des essieux étaient celles de la machine d’origine, seuls les bandages avaient été refaits dans un acier plus dur (85kg/mm2)
Le bogie avait été profondément remanié même si quelques éléments de celui d’origine subsistaient. Les essieux le constituant étaient munis de boîtes à rouleaux Timken. Le rappel d’origine à ressorts avait été remplacé par un rappel par gravité. L’effort de rappel était de 10,1 tonnes pour un déplacement nul et il croissait jusqu’à 11,7 tonnes pour un déplacement de 70mm pour ensuite décroître progressivement jusqu’à 6,75 tonnes pour un déplacement de 115mm.
Le bissel était du type Delta avec des boîtes d’essieux du type SKF. L’effort de rappel était, quant à lui, progressif allant de 2,3 tonnes à 4,6 pour un déplacement maximum de 170mm.
f) traitement d’épuration
La locomotive et son tender étaient équipés du dispositif de traitement chimique des eaux mis au point par Louis Armand, le TIA (Traitement intégral Armand). Une vanne d’extraction permettait, en pleine marche, d’éliminer à intervalles réguliers les eaux saturées de déchets.
Si l’on voulait faire un parallèle osé on pourrait le comparer au « Calgon » de nos machines à laver !
g) Lucarne d’abri
A l’instar de ce qui avait été fait pour la 240 P, un dispositif d’inspiration américaine avait été monté pour faciliter l’observation des signaux rendue parfois difficile par l’encrassement rapide des lucarnes. Celui-ci consistait en un mécanisme qui rendait mobile une partie de la glace autour d’un axe horizontal. Cela avait pour effet d’ouvrir une section de la vitre.
Résultats des essais
La 242 A1 a effectué ses premiers tours de roue les 25, 26 et 27 avril 1946 entre Givors et Saint Etienne en tête d’une rame comportant une voiture atelier et une locomotive 140J marchant à régulateur fermé.
Après 1200 kilomètres de rodage au cours duquel son potentiel avait déjà été entrevu, les premiers tests avec la voiture dynamométrique en tête des trains entre Lyon et Saint Germain des fossés furent entrepris. En voici un résumé.
Ces trains, dont le tonnage variait en temps normal entre 400 et 480 tonnes, avaient été surchargés progressivement pour atteindre un tonnage de 664 tonnes. Malgré cette surcharge pour essais, tous les trains ont pu regagner du temps sur l’horaire de référence. Le meilleur résultat était obtenu sur le train 1042 du 20 juin 1946 chargé à 664 tonnes et où le temps gagné avait été de 47 minutes et 20 secondes.
Concernant les puissances au crochet de tractions ramenées en palier, elles étaient mesurées à 3798 chevaux au train BG du 19 juin et 3800 chevaux à celui du 21 juin.
D’autres marches furent entreprises en juillet qui non seulement confirmaient les précédentes performances mais les amplifiaient dans des proportions de 10 à 15%. C’est ainsi que la puissance maximum mesurée était de 4081 chevaux sur le 1042 du 19 juillet sur le parcours Lyon Saint Germain des fossés et le record s’établissant à 4200 chevaux sur le BG du 18 Juillet.
A. Chapelon en tirait l’analyse suivante compte tenu de la puissance absorbée pour mouvoir la machine et son tender qui n’était bien évidemment pas mesurée par la voiture dynamométrique attelée en tête du train.
D’autres essais ont été menés entre Lyon et Paris puis entre Paris et Dijon avec toujours les mêmes temps de parcours gagnés et les mêmes puissances mesurées. On voit ci-après la 242 A 1 près du Blaisy en train d’avaler la rampe de 8mm/m à 100km/h.
En octobre 1948, après remplacement du cylindre HP en fonte par un en acier moulé(comme indiqué plus haut), une autre phase d’essais qui portait sur les grandes vitesses a été entreprise. Après un rodage de 1000 kilomètres, des marches à vitesses croissantes de 120 à 140km/h ont été effectuées. Seule la voiture dynamométrique était attelée à la 242 A1. Entre les PK 98 et 91, une vitesse moyenne de 142 km/h était réalisé avec une pointe à 150km/h juste avant le PK 91. Aucune anomalie tant au niveau de la voie que de l’engin n’avait été détectée durant ces essais.
Ce sont ensuite des trains lourds (860 tonnes) qui ont été remorqués entre Paris et Dijon. Là encore des records ont été battus, je vous laisse découvrir le compte rendu du RGCF de février 1949.
Vous pouvez lire les détails de ces essais dans le RGCF de février 1949.
Pour terminer avec ces campagnes d'essais, voici la 242 A 1 au banc d'essais de Vitry donnant sa pleine puissance.
Conclusion
C’est donc bien la plus puissante machine française que certains dirigeants de la SNCF ont envoyé à la casse en 1961 sans avoir l’intelligence de penser que cet engin extraordinaire pouvait devenir un trésor du patrimoine national.
Rétrospectivement, certains pensent que le contexte était trop favorable à la traction électrique pour que l’on ait eu l’idée de conserver un vestige du passé ; d’autres avancent une raison moins avouable à savoir la jalousie de quelques personnes qui voulaient effacer l’œuvre pour ne plus entendre parler du génie qui leur faisait de l’ombre.
Quelle qu’en soit la raison, on ne verra plus, de cette magnifique machine, que des photos d’époque. Imaginez la place de choix qu’elle occuperait à la cité du train de Mulhouse si les chalumeaux n’avaient pas accompli cette sale besogne.
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