21 Novembre 2021
Image d’illustration : Tangopaso, Public domain, via Wikimedia Commons
Sources : RGCF juillet 1950 site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF juin 1947 site Gallica.bnf.fr/BnF, Ferrovissime n°25 mars 2010, Livre Locomotion moderne 1950 collection personnelle
Prototypes CC6001 et BBB6002
Que ce soit du temps de la vapeur ou lors de l’avènement de la traction électrique, la section de ligne de Brive à Montauban a toujours posé des problèmes pour la circulation des locomotives. En cause les nombreuses et longues déclivités de 10mm/mètre comportant des courbes et contre-courbes qui s’enchaînent dans ce relief difficile que la ligne traverse.
Même si j’ai déjà évoqué cette problématique dans les articles https://cheminot-transport.com/2021/11/les-pacific-4500-du-po.html ou https://cheminot-transport.com/2021/09/locomotive-2d2-5300.html qui concernaient les époques d’avant-guerre, le sujet mérite d’être actualisé avec des informations qui datent de la fin des années 40.
Etude préalable avant définition du besoin
Sur cette section les trafics marchandises étaient remorqués par des trains dont la charge était voisine de 1200 tonnes. Le poids adhérent d’une locomotive BB était notoirement insuffisant et il en était de même de sa puissance. Le recours à une UM de BB avait été un palliatif qui n’était pas très rationnel eu égard à l’excès de moyens que pouvait présenter cette solution. Si une locomotive avec 4 essieux moteurs était insuffisante alors qu’une UM avec 8 essieux moteurs offrait une puissance surabondante, on pouvait naturellement penser que la solution se trouvait dans la moyenne des deux soit 6 essieux. Comme la ligne admettait un poids par essieu de 20 tonnes, on arrivait à un maximum de poids adhérent d’environ 120 tonnes.
Continuons l’analyse qui avait servi à la définition du besoin et à la rédaction du cahier des charges.
L’effort de traction nécessaire pour remorquer un train de 1200 tonnes à 45 km/h en rampe de 10 mm/mètre est d’environ 20, 4 tonnes. Sur la base d’un coefficient d’adhérence de 17%, on arrive juste au niveau de l’effort de traction recherché : 120 tonnes x 0,17 = 20,4 tonnes. Le poids adhérent était donc limite pour les conditions envisagées et il fallait donc tirer le meilleur parti de celui-ci en réduisant les brusques variations de puissance qui sont sources de décharge des essieux et donc de risque de début de patinage.
En termes de puissance, l’élément dimensionnant correspondait aux longues rampes de 10mm/mètre dont l’une avait plus de 20 kilomètres. Compte tenu de l’effort prolongé pour franchir cette dernière rampe à 45 km/h, la puissance pour le service normal en régime continu devait être celle nécessaire pour franchir la rampe soit au moins 3000 chevaux.
En termes de vitesse, l’objectif de 90 km/h pour les trains de marchandises avait été envisagé au départ mais il a semblé plus pertinent de retenir une vitesse de 105 km/h pour une utilisation possible de l'engin sur les trains de messageries ou même de voyageurs. A cette vitesse, les conditions de stabilité allaient de pair et devaient donc être étudiées dans le détail.
Pour résumer, les performances devaient permettre de remorquer un train de 1200 tonnes à la vitesse de 75 km/h en palier et 45km/h en rampe de 10mm/mètre mais aussi de remorquer un train de voyageurs de 750 tonnes en palier à 105km/h.
Enfin, vu les déclivités nombreuses, le freinage par récupération devait naturellement équiper ces engins.
Toutes ces spécifications techniques adressées aux constructeurs juste avant la guerre imposaient de réfléchir à des solutions nouvelles car aucune des machines circulant à l’étranger n’était en mesure de cocher toutes les cases notamment au niveau de la vitesse.
C’est dans le courant de l’année 1940 que la société « Le Matériel de Traction Electrique » releva le défi et fit part de son projet concernant deux types de locomotives dont une CC. Les événements de mai 1940 (bataille de France) mirent un terme à cette étude et ce n’est que quelques mois après l’armistice que les pouvoirs publics firent pression sur la SNCF pour qu’elle passe des commandes à l’industrie française pour contribuer à la reprise économique.
La commande ne tarda pas pour deux prototypes dont les trains roulants devaient être différents. C’est à la société MTE qui avait déjà commencé à travailler sur ce projet que fut confiée la construction mécanique des deux prototypes, la partie électrique étant confiée à la société « Matériel électrique SW ». Un avant projet pour une CC ayant déjà été élaboré, c’est lui qui vit le jour le premier.
Le prototype CC 6001
D’une longueur de 18,6 mètres, la CC 6001 « Brive Montauban », surnom donné aux deux prototypes, avait une masse de 120 tonnes comme prévu au cahier des charges.
Les bogies à 3 essieux comportaient chacun 3 moteurs à suspension par le nez. Leurs positionnements vers le centre de la locomotive devaient atténuer l’effet du couple de cabrage comme cela a été exposé ci-dessus.
Les bogies étaient accouplés entre eux. Cet attelage comportait un mécanisme d’anti-cabrage (dispositif à réactions élastiques verticales) qui venait en complément de l’effet produit par le positionnement des moteurs comme indiqué ci-dessus. De plus, l’attelage était doté d’un dispositif d’antilacet.
Pour l’inscription plus aisée de la locomotive dans les courbes, un mécanisme de rappel élastique des essieux 1 et 6 permettait un déplacement latéral de + ou – 15 mm.
Partie électrique
a) automatisme
Une des nouveautés que présentait ce prototype était le démarrage automatique à effort de traction constant. Cet automatisme découlait des spécifications données aux constructeurs qui, comme nous l’avons vu, devaient rechercher à tirer le meilleur parti de l’adhérence et de la puissance disponible. Pour arriver à mettre en œuvre cet automatisme, deux conditions devaient être réunies :
- de très nombreux crans de démarrage
- une grande finesse du démarrage qui correspond à l’écart relatif entre l’effort de pointe et l’effort de talon. Pour expliquer cette dernière particularité, le mieux est de voir les données du problème très bien expliquées par le RGCF. Plutôt que d’en faire un résumé qui serait forcément moins clair, je préfère vous donner le texte in extenso.
Concernant les crans de démarrage, ils étaient au nombre de 78 jusqu’au couplage fin parallèle plein champ et 102 jusqu’à fin parallèle champ réduit. On voit qu’un démarrage manuel, qui voudrait tirer tout le parti de la finesse nécessaire, entraînerait un nombre de manœuvres (sans compter les changements de couplage) difficile à demander à un conducteur. Si malgré tout un patinage se produisait, le conducteur avait la possibilité de neutraliser l’automatisme.
Les mêmes automatismes s’appliquaient au changement de couplage aussi bien en augmentation qu’en régression.
Les possibilités de couplage réalisées sur les 6 moteurs de traction étaient les suivants :
- série (6 moteurs en série)
- série parallèle (2 fois 3 moteurs en série)
- parallèle (3 fois 2 moteurs en série)
b) moteurs de traction
Les moteurs, du type SW 2326, étaient fabriqués par la société « Le Matériel électrique SW ».
D’une puissance de 600 chevaux en régime continu (3600 au total), ce type de moteur avait une puissance massique moyennement élevée (6,9k/ch soit 4150kg).
c) appareillages
Les emplacements des différents appareillages sont repris dans le schéma suivant.
Le prototype BBB 6002
Cette locomotive à 3 bogies indépendants de deux essieux moteurs avait été livrée en août 1948. Les essais menés les mois suivants avaient montré que les performances étaient à la hauteur des objectifs fixés et allaient même au-delà en termes de vitesses.
Caractéristiques générales
D’une longueur et d’une masse équivalente à l’autre prototype, la BBB se démarquait par sa capacité à atteindre des vitesses élevées surtout dans cette configuration novatrice de type nouveau. Seuls deux réseaux étrangers (allemand et italien) avaient eu recours à cette configuration à 6 essieux moteurs mais les choix qu’ils avaient retenus au niveau du châssis et des bogies avaient conduit à limiter les vitesses à 50 km/h pour l’un et à 70 km/h pour l’autre.
Pour atteindre des vitesses beaucoup plus élevées, les principes suivants avaient été mis en œuvre sur ce prototype :
- diminution des inerties de rotation,
- augmentation importante du rapport entre les masses suspendues et les masses non suspendues (point déjà évoqué dans l’article sur les locomotives 2C2 du Midi https://cheminot-transport.com/2021/08/les-premieres-locomotives-electriques-pour-trains-rapides-les-2c2-e3100-midi.html ) . Le rapport obtenu était de 1,16 alors qu’il n’était que de 0,50 pour la CC.
- hauteur du centre de gravité (sujet également évoqué dans l’article précité). Cette hauteur est de 1,427 soit plus que celui de la CC et des BB de l’époque.
- amortissement de l’effet de lacet.
Concernant les autres spécifications prévues au cahier des charges, les mesures suivantes avaient été prises pour y répondre ;
- dispositif d’anti cabrage électropneumatique,
- recherche d’une grande finesse du crantage de démarrage,
- nombre important de vitesses économiques
- une puissance en régime continu de 3600 chevaux sous 1350 volts à 50 km/h. La puissance massique des moteurs SW 474 était de 4,7kg par cheval soit une amélioration très sensible par rapport à ceux de la CC. L’allègement des moteurs avait un effet important sur le rapport masse suspendue/masse non suspendue comme indiqué précédemment.
- un dispositif de récupération très efficace obtenue avec fonctionnement des moteurs de tractions en génératrices anti-compound.
Appareillages
Les emplacements des différents appareillages sont repris dans le schéma suivant.
Carrière des prototypes
La CC6001 sera affectée au dépôt de Limoges. Malgré les quelques innovations technologiques décrites ci-dessus, elle sera considérée, dès le départ, comme dépassée, la faute en partie à la guerre qui a retardé son développement. Après avoir remorqué des trains lourds de marchandises entre Limoges et Toulouse, elle finira sa carrière en 1968 sans descendance et visiblement sans laisser de grands regrets.
La BBB 6002 a eu une carrière similaire à la précédente. Peut-être plus réussie que la CC, elle sera victime de sa faible fiabilité. Affectée à Limoges, elle finira sa carrière en 1967.
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