14 Février 2022
Image d’illustration : Archives départementales du Cantal, 52 NUM 889" fonds Jacques BENABEN
Sources : Le Monde colonial illustré janvier 1936 site https://www.retronews.fr/ , Journée Industrielle avril 1936 site https://www.retronews.fr/ ,L'art vivant janvier 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF, L’Homme libre 8 décembre 1935 site https://www.retronews.fr/ , L’action Française 10 décembre 1935 site https://www.retronews.fr/ , Journée industrielle 13 mars 1935 site https://www.retronews.fr/ L’intransigeant 12 février 1950 site https://www.retronews.fr/ , Ferrovissimo n° 12 décembre 2006 collection personnelle, Loco revue Février 1985, Loco Revue 465 Novembre 1984,
AUTORAIL Renault ADP
Alors que les autorails Bugatti s’illustraient en battant les records de vitesse avec leurs 4 puissants moteurs de la Royale développant ensemble 800 chevaux, Renault ne pouvait pas rester à la traîne avec ces autorails ABJ, certes réussis, mais trop limités en puissance avec le moteur Renault 513 et ses 265 chevaux (ou le 517 avec ses 300ch) pour rivaliser avec les très véloces Bugatti.
La réponse passait par un nouveau moteur, de près du double de puissance, capable de développer 500 chevaux tout en gardant les principaux éléments de l’ABJ. Le prototype ADP1 (extrapolé de l’ABJ2 notamment au niveau des radiateurs sous baies vitrées et sous châssis), numéroté ZZy 24161, étrennait ce nouveau moteur Renault type 504 de la plus belle manière puisqu’il battait un record de vitesse sur longue distance le 4 décembre 1935 en parcourant le parcours Paris-Nancy, Nancy-Strasbourg, Strasbourg –Mulhouse et Mulhouse-Paris à la vitesse de 138km/heure pour les 1104km de ce périple. La partie la plus rapide avait été effectuée entre Paris et Nancy où la moyenne avait atteint 140km/h. La vitesse de pointe fut même poussée à 164km/h sur certains tronçons sans que sa stabilité ait été mise en défaut. Un peu vexé, Bugatti réalisa, quelques jours après (le 16 décembre), un Strasbourg- Paris à la vitesse de 144 km/h en abaissant le trajet de Strasbourg à Paris de 4 minutes (3h30mn).
Renault ne chercha pas à relever ce nouveau défi mais continua ces essais sur le trajet Paris Dijon en vue d’une éventuelle future desserte rapide de Paris à Lyon.
L’Etat l’essaya en service commercial sur l’aller retour La Rochelle- Tours et, visiblement satisfait de sa prestation, passa commande de 5 unités concurremment avec les chemins de fer de l’Est qui avaient été, semble t-il, séduits par sa performance sur Strasbourg et en avaient commandé trois.
La livraison n’intervint qu’en 1938 alors que la SNCF s’était substituée aux anciens réseaux pour la gestion du chemin de fer. Immatriculés ZZR 4011 à 4015, ils seront rejoints par ceux initialement prévus à l’Est qui, par souci de cohérence d’affectation du parc, viendront renforcer l’effectif du dépôt de Caen.
Avant de parler des autres affectations et des parcours sur lesquels les ADP ont été engagés, voyons les caractéristiques principales de cet engin dont la filiation avec les ABJ, mis en service deux ans avant, est bien visible.
Construit par les usines Renault de Billancourt, l’ADP était constitué d’une caisse formée par une charpente tubulaire et revêtue d’un alliage d’aluminium. Il reposait sur deux types de bogies selon qu’il s’agissait d’un porteur (Y141) ou d’un moteur (Y140).
D’une longueur, tampons compris, de près de 26,1 mètres pour une caisse de 25,1 mètres, l’ADP avait une masse à vide de 38 tonnes pour un poids en charge d’environ 43 tonnes. Equipé le plus souvent en deux classes et offrant entre 52 (configuration 1ière 12 ou 16 selon les versions et seconde 40) et jusqu’à 64 places en fonction des aménagements (ou des époques) et de la présence ou non d’un compartiment postal, l’ADP avait sa vitesse limite fixée à 120 km/h (au départ elle était de 140km/h puis 125km/h par la suite). Peut-être était-ce pour cela que les constructeurs lui avait donné cet avant tout en rondeur avec les feux de signalisation carénés (voir la photo de tête d’article) pour rechercher une meilleure forme aérodynamique propice aux grandes vitesses. N’oublions pas que dans les années 30, la vitesse de 140km/h était 20km/h plus rapide que la limitation qui s’appliquait aux trains rapides et express depuis l’époque de Napoléon III. Les autorails on bénéficié les premiers de la levée de cette restriction compte tenu de leurs capacités de freinage qui, malgré une vitesse plus grande, leur permettaient de rester dans les limites de la distance de couverture de 1000 mètres qui s’appliquaient en ces temps là aussi bien à la couverture des trains que des obstacles.
Le système de freinage était constitué du frein à air JMR (Jourdain Monneret) et d’un frein à vis pour l’immobilisation.
Comme sur les ABJ, les radiateurs ont constitué une particularité marquante des ADP. Les positionnements successifs semblaient témoigner d’un certain tâtonnement avant que la disposition la plus adaptée au meilleur compromis en termes de refroidissement soit trouvée. Cela a commencé avec le prototype dont j’ai déjà décrit l’emplacement des radiateurs en début d’article, cela s’est poursuivi par les ADP destinés initialement à l’Etat avec le radiateur qui était placé en toiture surplombé d’une cage grillagée. Puis ceux livrés à Aurillac avec un radiateur toujours en toiture mais recouvert d’un carénage ouvert aux extrémités comme on le voit sur la photo ci-dessous prise en 1960 à Aurillac. Ils ont été, par la suite, rehaussés, allongés ou modifiés sensiblement comme pour l’X 4983 qui a bénéficié de radiateurs à ventilation forcée lors de l’essai du V12 MGO en substitution du V16.
L’autre particularité de l’ADP, qui le faisait se démarquer cette fois de l’ABJ, était le moteur Renault de type 504. Ce V16 en V de 500 chevaux à 1500 tours/mn, à huile lourde comme l’on disait à l’époque, avait une cylindrée de 55 litres (alésage 156 mm et course de 180mm).
Les photos ci-dessous, prises à chacune de ses extrémités, montrent bien la taille impressionnante de ce nouveau moteur dont les premiers essais au banc auront lieu dans le milieu de l’année 1935.
Doté d’équipements les plus modernes comme le vilebrequin à 9 paliers de 115 kilos en acier CR Ni Mo (Chrome, Nickel, Molybdène) ou comme les 4 soupapes par cylindre ou bien encore comme le recours à des alliage d’aluminium pour les pistons, bâti cylindre et carter inférieur, ce moteur puissant était du même type que celui que l’on retrouvait en double sur le magnifique autorail ABL https://cheminot-transport.com/2021/05/le-renault-abl-a-3-elements.html qui disposait d’une puissance cumulée de 1000 chevaux. Toutefois, ce moteur a toujours péché par un manque de fiabilité et les nombreuses tentatives de remotorisations durant sa carrière illustrent bien la difficulté à lui trouver un moteur idoine. Du V12 Renault suralimenté aux premiers prototypes du MGO destiné aux RGP ou aux X2800, rarement un autorail aura autant servi de banc d’essais pour les moteurs comme cet ADP.
Il était équipé d'une transmission mécanique et disposait de commandes électromécaniques. Le pupitre de conduite était semblable à celui déjà décrit pour les ABJ https://cheminot-transport.com/2021/04/l-autorail-renault-abj-1-et-2.html de même que les principaux équipements dont la boîte à 4 rapports.
Enfin, notons que les premiers exemplaires étaient pourvus d’un attelage automatique Willison avant que celui-ci soit remplacé par les attelages à vis plus classiques.
Exploitation des ADP
La composition maximale autorisée était de 6 caisses. On pouvait le jumeler avec d’autres autorails (VH, x3800 et même X2800). Il y avait même, au début, des équipements en UM qui ont été déposés à la fin des années 40. La composition réglementaire pouvait aller de deux remorques sur les engins du dépôt de Caen qui étaient appelés à circuler sur Cherbourg , Le Mans, Lison, Dol, Coutances, jusqu’à 3 remorques pour les engins du dépôt d’Aurillac. Les liaisons desservies par ce dernier dépôt desservaient les villes de Capdenac, Figeac, Rodez, Séverac, Bort, Riom Neussargues, Brive, Périgueux, Bordeaux, Albi et Toulouse.
On pouvait également les voir remorquer soit 1 wagon soit 2 voitures à essieux selon les documents d’époque.
La livrée à partir des années 50 n’avait rien d’original par rapport aux autres autorails. On retrouvait un crème 407 pour le haut et un rouge vermillon 605 pour le bas avec des inscriptions jaune jonquille. Dans les premières années d’exploitation, c’est la livrée dans anciennes régions qui prévalaient. Ceux du PO Midi avaient, par exemple, un haut gris clair et un bas bleu clair avec un bandeau bleu foncé de séparation. Le prototype se démarquait aussi des suivants par une caisse rouge foncé dans son intégralité avec une toiture gris clair.
Quant à la numérotation, elle a évolué en plusieurs étapes. La dernière a eu lieu en 1958. Rattrapés par la numérotation des Picasso qui allaient franchir la barre des 4000 en raison de leurs succès, les ADP ont été renumérotés en X 4961 à 69 et X4981 à 89. Ils étaient précédemment dans la Série X4011 à 19 ou X 4101 à109.
Aucun exemplaire ne sera conservé après leurs radiations dont les dernières interviendront en 1974
Comme son homologue le Renault ADX, le Renault ADP a été impliqué dans un des plus graves accidents de voie unique au début de l’année 1950. En voici le résumé après cette photo qui montre les deux types d’autorail en gare d’Aurillac.
Le 11 février 1950, l’X 5113 (ADX2) percutait de plein fouet un autorail ADP (X4104) entre Lisle sur Tarn et Gaillac. Un nez à nez qui faisait, selon les journaux d’époque, 23 morts et 40 blessés. Le journal « Paris-presse- L’Intransigeant » du 12 février 1950 donnait quelques explications que je vous rapporte en les complétant par ma connaissance des lieux.
Le train en provenance de Toulouse avait 17mn de retard ce qui avait décidé le régulateur de reporter à Lisle sur Tarn le croisement initialement prévu à Gaillac. Le block manuel de voie unique venait d’être installé depuis quelques mois (fin 1949) ce qui n’en faisait pas une très bonne publicité pour cette installation moderne de sécurité. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucune mention de cet accident meurtrier dans les RGCF des années 50/51 ce qui est assez surprenant vu l’importance de cet accident.
Revenons à l'article du journal qui nous informe que le train de Toulouse aurait été reçu à Lisle sur Tarn sur la voie d'évitement (le journaliste utilise le terme de voie de dérivation !). Le conducteur aurait bien vu, en amont, le signal d'avertissement puisqu’il l'aurait vigilé (information donnée par la bande Flaman). Il avait ensuite réduit sa vitesse à 30km/h au franchissement de l’aiguille puis était passé lentement devant le chef de gare qui ne s'était pas étonné du fait qu'il ne s'arrêtait pas au droit de la gare car il n'avait pas d'arrêt régulier, l'arrêt pouvant se faire en bout de voie. En effet, pour avoir moi-même travaillé au tout début de ma carrière à Lisle sur Tarn, je peux dire que la voie d'évitement du côté de Gaillac est encore assez longue après la gare. Le chef de gare a déclaré qu’il a continué d’observer les feux arrières qui s’éloignaient tout doucement dans le brouillard qui était, à ce moment là, très dense. Puis, lorsqu'il a entendu que le train accélérait, il a compris qu'il n'avait pas vu et donc observé le signal fermé qui devait être un sémaphore puisque le block était déjà en service jusqu'à Tessonnières comme je l’ai dit précédemment. Le chef de gare est allé de suite aux cloches (installation d’annonce) et a lancé le signal d’arrêt général qui commandait aux gardes barrières d'arrêter, par tous les moyens disponibles, les trains qui se dirigeaient vers eux. Le message a dû arriver trop tard car le nez à nez s'est produit au lieu dit Lastours à environ deux kilomètres de la gare. Depuis cet accident, la réglementation impose l’arrêt du train en gare de voie unique après franchissement du signal d’avertissement fermé. Voici les photos de l’accident sur laquelle il est bien difficile de reconnaitre l’ADX et l’ADP (je pense que l’ADX est à droite).