21 Février 2022
Image d’illustration : https://www.histoire-des-ateliers-de-quatre-mares.fr/ publiée avec l’aimable autorisation de Joël Lemaure Groupe des archives de Quatre Mares (GAQM)
Sources : Revue Générale du Chemin de fer 1954, Loco Revue 416 Mai 1980, site histoire des ateliers de Quatre Mares
Locomoteurs Y 9100 et 9200
En même temps que la SNCF lançait les 040DE (futures BB63000) pour la desserte économique des petites lignes dont la charge par essieu ne devait pas excéder 17 tonnes, elle commandait, aux Ateliers de Construction du Nord de la France, un engin moteur d’une puissance intermédiaire entre les locotracteurs et les locomotives, les Y9100 et 9200.
Pour les différencier des catégories inférieures et supérieures en termes de puissance, les Y9100 et 9200 prenaient l’appellation de locomoteurs. Les 9100 étaient mus par un moteur Renault alors que les 9100 étaient équipés d’un moteur Saurer.
Outre les dessertes des lignes secondaires, les engins 040DE et les locomoteurs Y9100 et 9200 étaient aussi conçus pour les manœuvres en gare.
Une des particularités des locomoteurs par rapport aux locotracteurs résidait dans l’habilitation à la conduite. Si les locotracteurs pouvaient être conduits par des agents d’exploitation affectés dans les gares qui avaient le grade de CRLO, les locomoteurs étaient réservés aux conducteurs affectés dans les dépôts, qu’ils soient conducteur de route ou conducteur de manœuvre en fonction de l’utilisation des engins.
J’ai déjà publié un article sur d’autres locomoteurs à savoir les 030DC1 et 2 https://cheminot-transport.com/2021/04/les-prototypes-030dc1-et-030dc2-des-ateliers-des-quatre-mares.html
1) caractéristiques générales
D’une longueur de 9,36 mètres pour un empattement de 3,38 m, les Y9100/9200 avaient une masse maximum de 34 tonnes avec un lest de 500 kilos et un réservoir de 500 litres de combustible.
Le moteur V12 Diesel Renault de l’Y 9100 était du type 565 suralimenté par turbo soufflante Rateau. Avec un alésage de 140mm et une course de 179,5mm, la cylindrée totale des 12 cylindres s’établissait à 49,6 litres. Ce moteur développait 420 chevaux à 1500 tours/mn pour une consommation de 180g/ch/h soit environ 76 litres à l’heure. Le Renault type 565 était une évolution du fameux moteur 517 équipée d’un turbo compresseur.
Le moteur V12 Diesel Saurer du type SBD n’était pas doté de la suralimentation. Avec un alésage de 160mm et une course de 190mm, la cylindrée totale des 12 cylindres s’établissait à 72,5 litres. Le moteur Saurer développait près de 500 chevaux à 1500 tours/mn pour une consommation de 170g/ch/heure soit environ 85 litres à l’heure.
Cependant, les deux moteurs avaient leurs puissances limitées à 400 chevaux pour garantir une fiabilité optimum.
Le choix de la transmission avait fait l’objet d’un certain nombre de réflexions qui avaient exclu assez rapidement la transmission mécanique, certes plus économique mais moins adaptée aux puissances de 400 chevaux. La transmission électrique avait aussi été écartée car son poids se serait approché de 8000 kilos ce qui ne permettait plus de rester dans la limite des 17 tonnes par essieux (sauf à en ajouter un ce qui n’aurait pas été très adapté en termes de manœuvres sur les voies de gare). Le choix s’était finalement porté sur une transmission « hydraulique » à boîte Voith L24 à deux convertisseurs qui équipait déjà certaines locomotives de manœuvre de la SNCF mais dans le type L37 . A noter que contrairement à ce que le laisserait penser le terme hydraulique (ou hydromécanique), le fluide n’était pas de l’eau mais bien sûr de l’huile. Si l’on détaille les composants de cette transmission dont le poids total restait contenu à moins de 4000 kilos, on trouvait d’abord un accouplement élastique de marque Citroën entre le moteur et la boîte puis la boîte Voith puis le bloc inverseur-changeur de régime-réducteur (voir explication ci-dessous) et enfin les chaînes qui attaquaient les deux essieux.
L’étude des transmissions faite en amont avait montré que les performances en termes d’effort à la jante entre une transmission électrique et celle finalement retenue était identique au dessus de 20 km/h alors qu’elle restait à l’avantage de l’électrique en deçà. Pour combler cette lacune, les Y9100 et 200 avaient été équipés d’un changeur de régime manœuvrable seulement à l’arrêt. Grâce à ce dispositif, en mode « petit régime » les efforts à la jante étaient aussi élevés et même un peu plus que ceux qui auraient été obtenus par la transmission électrique.
Effort de traction à la jante en petit régime de 8500 kilos (limité par l’adhérence sinon il aurait pu monter à 18 tonnes)
Effort de traction à la jante en grand régime de 7300 kilos.
La vitesse maximum en petit régime ne dépassait pas 23 km/h alors qu’elle pouvait atteindre 50km/h en grand régime.
Lorsque ces engins devaient être incorporés dans des trains de marchandises pour l’acheminement en véhicule, les chaînes devaient être déposées afin qu’ils puissent rouler à 80 km/h.
2) Description de la cabine et des organes de commande
La cabine de conduite avait un plancher surélevé pour faciliter la visibilité. Le pupitre de commande était semblable à celui des 040DE (BB 63000).
Le bloc pupitre comportait :
- un plan incliné dans lequel prenaient place les appareils de mesure et de contrôle (indicateur de vitesse, compte-tours, thermomètres d’eau, manomètres d’air du frein direct mais aussi du turbo, ampèremètre, thermomètre d’huile de la boîte, différents interrupteurs et la manette de changement de marche (voir ci-dessous)
- une table horizontale avec les organes de commande montés de part et d’autres sur les faces latérales.
Ces organes, à l’exception du robinet de frein automatique, étaient doublés afin de permettre une conduite des deux côtés. La commande de l’accélérateur et du frein direct était obtenue par le même levier. Les deux secteurs (traction et frein direct) étaient séparés par un angle de 30° formant la partie neutre.
Le levier de commande de l’inverseur était monté sur le même axe que celui de l’accélérateur.
Le changement de régime était commandé par un levier placé au milieu du pupitre.
Les différents verrouillages et enclenchements interdisaient d’une part d’accélérer tant que le levier de commande de l’inverseur n’était pas en position AV ou AR et d’autre part, d’inverser le sens de marche tant que le levier d’accélération n’était pas dans le secteur freinage dans sa position extrême.
3) Agencement des dispositifs mécaniques abrités par les capots avant et arrière.
A l’extrémité opposée du grand capot jusqu’à la cabine on trouvait :
- le groupe de ventilation composé d’un ventilateur, de 8 radiateurs d’eau ainsi que de 4 radiateurs d’huile pour la transmission,
- le moteur diesel,
- la transmission hydromécanique ou hydraulique selon les appellations.
Le petit capot comportait quant à lui :
- les batteries d’accumulateurs,
- un coffre à outils,
- un coffre pour le conducteur,
4) Freinage et performances.
Les Y9100 et 9200 étaient équipés du frein automatique Westinghouse à triple valve et du frein direct à air comprimé Le robinet du frein automatique de type 6bis équipait un seul poste de conduite contrairement au frein direct dont la commande était placée des deux côtés avec le levier d’accélérateur (Cf. explications ci-dessus). Le dispositif de freinage était complété par un frein à main d’immobilisation dont le volant était situé sur la face du côté du petit capot. Chaque roue était freinée par deux sabots.
L’air comprimé nécessaire au fonctionnement du système de freinage était fourni par un compresseur Spiros débitant 1800 litres sous 8hpz à 1000 tours/mn. Les réservoirs principaux d’air pouvaient contenir 600 litres.
Le taux de freinage correspondait à 75% du poids adhérent.
Ces locomoteurs pouvant remorquer des trains sur des sections de ligne, la vitesse de 50 km/h avait été retenue.
Les charges des trains de marchandises pouvant être remorquées en palier s’élevaient à 760 tonnes pour une vitesse de 25km/h et à 195 tonnes à 50 km/h.
En rampe de 10mm/mètre, la charge remorquée pouvait atteindre 330 tonnes à 15km/h.
5) Livrées
Deux livrées ont été apposées sur ces engins : celle d’origine et celle coïncidant avec la renumérotation en 1961. Celle d’origine sera citée en premier et les modifications apportées, le cas échant, en 1961 seront précisées à la suite :
La couleur principale de la partie caisse (capots, cabine) était le vert 306, il migrera vers un vert SNCF 301 en deuxième livrée.
Les longerons, tampons et mains courantes recevaient le noir extérieur qui deviendra gris par la suite.
La traverse de tête passait d’un très seyant rouge 601 à un jaune Jonquille plus classique.
Quant aux bandes décoratives elles restaient dans un ton de jaune.
6) Carrière
Les Y9100 ont été construits à 50 exemplaires en comptant le prototype, Y9002, qui a été mis en service en juin1953. Si les ANF (Ateliers de construction du Nord de la France) avaient été les premiers à sortir des nouveaux engins, les ateliers de Quatre Mares en ont produit 18 (9100 et 9200 confondus) entre 1954 et 1956 dont le premier exemplaire figure en photo de couverture, l’Y9125. A noter que le loco revue 416 de 1980 en attribue 24 aux ATQM au lieu de 18 (6 en 9100 et 18 en 9200 ce qui explique peut-être l’erreur de décompte). Les autres exemplaires de 9100 et 9200 se sont partagés entre les ANF et SACM.
On voit ci-dessous la chaîne de montage aux ATQM.
En 1961, les Y 9100 ont pris la numérotation des Y51101 à 51150, le prototype 9002, qui entre temps avait été rebaptisé Y9124, devenant Y51124.
Les Y9100 ont été, dès le début, affectés sur un grand nombre de dépôts de 5 anciennes régions SNCF (Nord 6, Ouest 6, Sud-Ouest 30, Sud-Est 4 et Méditerranée 4) selon la source Loco Revue 416.
Au 1er Janvier 1980, il ne restait que 37 Y9100 répartis dans les dépôts du SO (PSO 6, Les Aubrais 4, Bordeaux 7 et Toulouse 5) et du SE (Nevers 6 Vénissieux 1, Chambéry 1, Marseille Blancarde 4 et Nîmes 3), toujours selon la même source.
Les Y9200 ont été construits à 38 exemplaires par les Ateliers de Quatre Mares et par les ANF entre les années 1954 et 1960. Comme les Y9100, ils ont changé de numérotation en 1961 pour devenir les Y51201 à 238.
Trois anciennes régions SNCF ont été affectataires de ces engins dans les années 60 (Est 20, Nord 8, et Ouest 10)
En 1980 sur les 23 qui restaient à l’effectif, quatre régions les ont reçues en dotation : l’Est, l’Ouest, le Sud-Ouest et le Sud Est.
Les radiations se sont poursuivies jusqu’en 1985.
Certains exemplaires sont conservés comme cet Y 51147 appartenant aux trains des Mouettes https://www.traindesmouettes.fr/