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Cheminot Transport

Explosion de la chaudière de la 141 C- 623

Image d’illustration : Photo provenant du rapport original de G. Chan. Transmise par Tatig Tendjoukian et publiée avec son aimable autorisation. 

 

Sources : Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF , Bulletin PLM mars 1937, site Gallica.bnf.fr/BnF, Bulletin PLM 11/1935, site Gallica.bnf.fr/BnF, La Machine Locomotive 1894 site Gallica.bnf.fr/BnF, Le Petit Journal 3 août 1935 site Gallica.bnf.fr/BnF, Le Populaire 3 août 1935 site Gallica.bnf.fr/BnF, La Croix de l’Aveyron 11 août 1935 site Gallica.bnf.fr/BnF, Le Journal 3 août 1935  site https://www.retronews.fr/,  Lyon républicain 3 et 4 août 1935  site https://www.retronews.fr/,  Le Phare de la Loire 3 août 1935  site https://www.retronews.fr/, Revue technique de l'exposition universelle de Chicago 1893 site Gallica.bnf.fr/BnF 

 

Explosion de la chaudière de la 141.C-623

Photo provenant du rapport original de G. Chan. Transmise par Tatig Tendjoukian et publiée avec son aimable autorisation. 

Commençons par les faits tels que j’ai pu les reconstituer en croisant une douzaine d’articles de différents médias.

Nous sommes le 1 août au soir, l’équipe de conduite titulaire de la 141.C- 623 aurait dû être constituée du mécanicien Gache et du chauffeur Joseph Christin. Pour une raison de service qui n’est pas précisé, c’est le mécanicien Aimé Doumenc qui est appelé à remplacer le titulaire. En fait, dans un autre article, on apprend que la machine qui devait assurer ce train dans son roulement était indisponible pour réparations et c’est donc une autre machine avec, pour équipe, son mécanicien titulaire et le chauffeur habituel de Gache, joseph Christin.. Les habitudes de travail n’étaient donc pas de même nature qu’avec l’équipe composée à 100% des titulaires habituels. Cette particularité n’a pas été relevée dans le rapport où l’on s’est plus attaché à identifier les causes techniques de l’explosion que l’enchainement des facteurs humains qui y ont conduit.

Le train porte le numéro 658, il s’agit d’un train international qui relie Rome à Paris via Modane. Sa composition est de 619 tonnes.

Au départ de Culoz, le train doit affronter une longue rampe sur près de 25 kilomètres. Au sommet de celle-ci qu’il franchit à 50 km/h, et après avoir traversé la gare de La Burbanche, le train entame une longue descente jusqu’à la gare de Tenay-Hauteville où il reprend une vitesse estimée entre 80 et 90km/h. (voir le schéma de ligne ci-dessous).

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

La gare de Tenay est franchie, l’orage gronde et le bruit de la foudre tient en éveil un grand nombre de voyageurs. A minuit cinq le 2 août, le train aborde une courbe à droite et c’est dans celle-ci, au PK 68,319, que se produit une très violente explosion qui arrache l’herbe des talus des deux côtés de la plateforme et qui ripe la voie adjacente de 16 cm. La chaudière est projetée à 156 mètres à gauche de la voie (à 13 mètres de l’axe), le corps du chauffeur à 16 mètres et celui du mécanicien à 66 mètres. 

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

L’explosion entraîne la rupture de la tuyauterie du frein ce qui provoque un freinage d’urgence et l’arrêt du train 449 mètres plus loin, aucun véhicule n’est déraillé. Les voyageurs arriveront sans encombre à Paris avec seulement 3 heures de retard.

 

Le Journal 3 août 1935  site https://www.retronews.fr/

L’accident fait deux victimes : le mécanicien, Aimé Doumenc, 44 ans père d’une jeune fille de 16 ans, et le chauffeur, Joseph-Marie Christin, 35 ans papa de deux enfants de 5 et 9 ans.

Bulletin PLM 11/1935, site Gallica.bnf.fr/BnF,

 

Que s’est-il passé pour qu’une telle explosion se produise ?

Bulletin PLM 11/1935, site Gallica.bnf.fr/BnF,

Avant de présenter l’analyse et les conclusions de G. CHAN, ingénieur du PLM, qui occupera plus tard d’éminentes fonctions à la SNCF en créant et dirigeant la Division des Etudes Locomotives, voyons ce que nous apprennent les statistiques sur de tels incidents. Sont-ils fréquents ou exceptionnels ?

En France, les commentaires d’époque parlaient d’un incident rare en raison des mesures prises depuis ceux qui s’étaient produits à Paris Saint Lazare le 4 juillet 1904 ou à La Rochelle quelques années plus tard. Ces mesures de précaution avaient conduit à placer un fusible en cuivre au niveau du ciel du foyer lui aussi en cuivre.

Aux Etats-Unis les accidents étaient beaucoup plus fréquents comme le montrent ces statistiques sur 10 années qui font ressortir une vingtaine d’explosions de chaudière de locomotive par an. Cependant, les accidents de ce type étaient encore plus nombreux dans les bateaux ou dans les installations à terre puisque les explosions touchant les locomotives ne concernaient que 10% du total.

Revue technique de l'exposition universelle de Chicago 1893 site Gallica.bnf.fr/BnF 

Plusieurs photos d’explosions de chaudière sont visibles sur internet, j’en ai trouvé une, sur un document ancien, qui s’est produite en Norvège en 1890. On voit une locomotive qui a été projetée sur celle qui la précédait alors qu’elles étaient en double traction.

La Machine Locomotive 1894 site Gallica.bnf.fr/BnF

 

A) constations effectuées

Les premières constations effectuées sur le terrain ont porté sur la chaudière et la surprise fut grande de constater à quel point l’explosion avait été si violente pour projeter à une telle distance une masse d’environ 35 tonnes.

Commençons donc par décrire la trajectoire qu’a suivie la chaudière à partir du point d’explosion.  Notons tout d’abord qu’elle aurait pu être projetée sur la voie ou sur la voie contiguë et que, dans ces conditions, les conséquences auraient pu être dramatiques.

Là où les journaux d’époque y voyaient  une coïncidence heureuse, j’y vois plutôt l’explication physique d’un effet centrifuge. Rappelons que l’accident s’est produit dans une courbe à droite ce qui implique une force centrifuge vers la gauche.

Voici, avant de le détailler,  le schéma représentant les bonds et rebonds de la chaudière.

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

Le « bond » initial a pu être mesuré avec précision puisque d’une part, le point d’explosion était facilement repérable de par les traces effectuées sur le talus et sur la voie et d’autre part, le cratère creusé par le premier impact était aisément identifiable. Cette distance était de 83 mètres. Monsieur Chan en a profité pour estimer la hauteur de la parabole en utilisant une formule qui me rappelle celle que l’on devait utiliser pour calculer, en cours de physique, la trajectoire du lancer de poids. L’apogée du centre de gravité de la chaudière en rotation a été estimée à 18 mètres soit l’équivalent d’un immeuble de 6 étages. La chaudière a d’ailleurs franchi, sans la détériorer, la ligne télégraphique qui longeait la voie. Voici le premier impact.

Photo provenant du rapport original de G. Chan. Transmise par Tatig Tendjoukian et publiée avec son aimable autorisation. 

Le sol du talus étant relativement meuble (G. Chan le qualifie d’élastique) le bond suivant est plutôt court par rapport au précédent. Il a été mesuré à 22 mètres. Le troisième, quant à lui, franchit 34 mètres soit 50% de plus que le second. Le sol du deuxième point d’impact n’ayant pas la même consistance, cela peut expliquer en partie cette singularité. Monsieur Chan apporte une précision supplémentaire à savoir :

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

Le dernier rebond de la chaudière sera de 17 mètres avant qu’elle ne vienne s’immobiliser dans un champ à 13 mètres latéralement de la voie après un parcours longitudinal de 156 mètres et de près de 200 mètres  dans les airs.

Photo provenant du rapport original de G. Chan. Transmise par Tatig Tendjoukian et publiée avec son aimable autorisation. 

Voici une autre vue d’époque avec les curieux accourus après l’accident.

Le Journal 3 août 1935  site https://www.retronews.fr/

L’examen de la chaudière laissait apparaître une déchirure du ciel  du foyer. La surface d’ouverture du ciel, après l’explosion mesurait environ 1,6m2. On voit, sur la photo qui suit, le ciel du foyer éventré (E).

Photo provenant du rapport original de G. Chan. Transmise par Tatig Tendjoukian et publiée avec son aimable autorisation. 
Photo provenant du rapport original de G. Chan. Transmise par Tatig Tendjoukian et publiée avec son aimable autorisation. 
Photo provenant du rapport original de G. Chan. Transmise par Tatig Tendjoukian et publiée avec son aimable autorisation. 

L’aspect du cuivre du foyer avait toutes les caractéristiques d’un métal porté au rouge. Cette apparence  se prolongeait  jusqu’à  25 cm plus bas sur les flancs eux aussi en cuivre. On pouvait en déduire que cette zone avait été exposée à une température de 700° ce qui avait fait perdre sa résistance au cuivre.

Avant de rompre le ciel du foyer s’était déformé et c’est la partie avant de celui-ci qui présentait le plus de marques de cette déformation.

Enfin, sur les 3 plombs fusibles deux avaient fondu, le troisième n’avait pas été retrouvé.

B) Explications données par les enquêteurs.

Il n’est pas inutile de rappeler schématiquement la constitution du foyer en coupe. On voit qu’en situation normale l’eau recouvre entièrement le foyer

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

Lorsque la locomotive roule sur du plat, l’eau se répartit de façon égale dans la chaudière. Le niveau réglementaire d’eau au dessus du ciel est repris sur le dessin ci-dessous. A noter la pente du ciel qui descend  de l’avant vers l’arrière à raison de 30mm par mètre. Rappelons aussi que les différents niveaux d’eau étaient indiqués par des appareils de type Klinger.

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

Lorsque la locomotive aborde une partie en déclivités, les changements de profil ont un effet sur le niveau de l’eau. En effet lorsque la machine à vapeur se trouve dans une pente, l’eau de la chaudière se déplace vers l’avant ce qui peut contribuer à découvrir le foyer si le niveau d’eau n’est pas suffisant.

Le livre « La Machine Locomotive » d’Edouard Sauvage publié en 1894 indique qu’un passage entre une pente à 35 mm/mètre et une rampe de même valeur fait varier l’eau d’une hauteur de 20 cm à l’arrière. Cette mesure avait été calculée sur la longueur des chaudières utilisées à la fin des années 90. Or, en 1935, les machines étaient encore plus longues et l’amplitude indiquée ci-dessus était encore à majorer.

La conséquence de l’absence de l’eau sur la face externe du ciel du foyer se traduit par l’échauffement rapide et très élevé de ce dernier. En effet, l’eau, lorsqu’elle est présente au dessus du ciel, empêche la face au contact du feu de s’échauffer exagérément en raison de sa capacité à absorber la chaleur. Lorsque l’eau vient à être remplacée par la vapeur, on n’est plus dans le même cas de figure. Le métal s’affaiblit progressivement et lorsqu’il est porté au rouge, il n’a plus aucune solidité.

Georges Chan  précise que le cuivre, qui a une résistance de 27kg/mm2 à la température de 0° et encore de 22 kg/mm2 à la température de 200°, température habituelle à laquelle il est soumis dans le foyer, voit sa résistance chuter rapidement dès l’élévation de la température (voir le graphique ci-dessous). Elle n’est plus qu’à 2kg /mm2 à partir de 650°.

Georges Chan, estimait, à partir d’autres calculs notamment sur le timbre qui ne devait pas être à 16kg / cm2 du fait que l’on se trouvait après une longue rampe mais aussi sur la résistance des tirants en acier qui n’avaient pas cédé, que la température avait atteint au minimum 700° et peut-être même 800°.

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

C’est ce que l’on appelle « le coup de feu » qui a été retenu dès le début comme hypothèse la plus probable.

On peut se demander pourquoi, dans ce cas là, le chauffeur et le mécanicien n’ont pas réagi à la fusion des fusibles de sûreté dont il a été question précédemment. S’ils s’en sont rendus compte, ont-ils eu le temps d’appliquer les mesures prévues en pareil cas à savoir : jeter le feu sur la voie (grille jette feu) ou l’étouffer en le couvrant avec du menu charbon.

Pour tenter de savoir si l’équipe avait eu un délai suffisant pour agir, Georges Chan a donc calculé, à partir des éléments constatés, combien de temps le ciel du foyer avait été découvert avant que le processus ne s’emballe et conduise à l’explosion. Compte tenu des traces laissées sur les flancs comme indiqué plus haut, le niveau d’eau lors de l’explosion devait correspondre au schéma ci-après.

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

Il y avait donc, par rapport au niveau réglementaire, une insuffisance d’eau de 3200 litres calculée à partir de la surface du foyer moins la surface du ciel et moins l'équivalent en eau du volume d’eau des tubes soit :

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

A partir de cette information, il est possible de calculer à quel moment le ciel du foyer s’est trouvé dégarni d’eau et donc quelle a été la durée pendant laquelle le cuivre s’est trouvé exposé à une forte température. On va voir que l’équipe de conduite avait amplement le temps de procéder à l’application des mesures de sécurité réglementaires qui auraient pu éviter ce dramatique accident.

En prenant le cas le plus favorable qui suppose qu’aucune alimentation en eau n’ait été faite depuis le haut  de la rampe de la Burbanche et que le régulateur ait été fermé peu après le dos d’âne, on peut en déduire qu’aucune vaporisation d’eau ne s’est produite depuis le sommet et donc que le niveau d’eau au moment de l’explosion était identique à celui contenu dans la chaudière en haut de la Burbanche. Le schéma ci-dessus reproduit le niveau d’eau existant avant le sommet en plaçant la chaudière dans la configuration d’une rampe à 12mm/mètre (et non 12% comme c’est indiqué à tort en haut du schéma).

Revue Générale des chemins de fer février 1937 site Gallica.bnf.fr/BnF 

La hauteur entre la ligne DD’ et le dessus du ciel étant de 115 mm, il manquait 1400 litres en haut de la rampe pour couvrir le ciel  (115x12) auquel on peut rajouter les 150mm qui manquait par rapport au niveau réglementaire (150 x12= 1800)  pour retrouver les 3200 litres du calcul précédent.

Si l’on trouve le temps nécessaire pour consommer 1400 litres, on n’aura plus qu’à ajouter le temps pris pour les 6 kilomètres de descente jusqu’à l’explosion et on aura déterminé le temps total pendant lequel le ciel s’est trouvé dégarni et donc le temps que disposait l’équipe pour mettre en œuvre les mesures de sécurité décrites plus haut.

La puissance nécessaire à une 141C remorquant un train de 619 tonnes à 50km/h en rampe moyenne de 8% ressortait à 1980 chevaux. Les paramètres pour le calcul intégraient la résistance à l’avancement de la machine et du tender (10kg/tonne) la résistance à l’avancement des voitures (5kg la tonne), la résistance liée à la déclivité (8kg la tonne) et la vitesse moyenne.

La consommation d’eau étant connue à savoir 6kg par ch/heure, on pouvait calculer de combien elle était par minute : 1980 x 6 / 60 = 198 kg soit environ 200 kg par minute.

C’est donc 7 minutes (1400/200) avant le sommet que le ciel a été découvert. En ajoutant les 4 minutes nécessaires  pour parcourir la pente jusqu’au point d’explosion on arrive à un temps total de 11 minutes. A cela il faut déduire le temps nécessaire au plomb pour fondre (environ 1mn30) avant que les agents en soient informés. Le délai pendant lequel les interventions de sécurité auraient pu être réalisées était donc d’au moins 9 minutes.

L’enquête n’a pas pu déterminer pour quelles raisons l’équipe de conduite est restée sans réagir. Est-ce les conditions climatiques épouvantables avec l’orage et les coups de tonnerre incessants qui ont perturbé à ce point la vigilance de ces hommes qui allaient y laisser leurs vies ?

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