9 Mai 2022
Image d’illustration :Alf van Beem, CC0, via Wikimedia Commons
Sources : Bulletin PLM 1931 septembre Site Gallica site Gallica.bnf.fr/BnF, Bulletin PLM juillet 1930 Site Gallica site Gallica.bnf.fr/BnF, RGCF février 1931 site Gallica.bnf.fr/BnF, Loco revue 294 avril 1969, Ferrovissime n°65 novembre 2013
Locomotive 161 BE 1 à 10 de type 1AB+BA1
La ligne de Culoz à Modane, avec ses rampes jusqu’à 30mm/mètre à partir de Saint Jean de Maurienne, avait amené le PLM à concevoir des machines spécifiques pour acheminer les trafics voyageurs et marchandises. Une fois l’électrification réalisée, la très puissante 262 AE avait été mise en service pour la remorque des trains de voyageurs. Cette machine, en service commercial dès juillet 1929, a été décrite dans https://cheminot-transport.com/2021/09/la-262-ae-du-plm-future-2cc2-3400-de-la-sncf.html
Une fois réglé le problème de la traction des trains de voyageurs, il fallait profiter de l’électrification pour renouveler le parc des locomotives affectées au trafic des marchandises.
Le programme de construction fixait les spécifications suivantes aux constructeurs sélectionnés sans qu’il soit prévu de passer par l’étape des prototypes. Toutefois, la série de 10 exemplaires de chaque type devait être lancée qu’une fois que chacune des 3 sociétés retenues (Groupement Thomson-Schneider-Jeumont, Groupement Société de Constructions Electriques de France et Société Alsacienne de Constructions Mécaniques, Groupement Compagnie Electromécanique et Compagnie de Fives-Lille) aurait livré le premier exemplaire, l’aurait testé et mis au point.
Le premier lot concernant la 161 BE 1 à 10 était attribué au premier groupement cité ci-dessus, le deuxième pour la 161 CE 1 à 10 revenait au deuxième groupement et le troisième pour la 161 DE 1 à 10 au dernier groupement.
Détail du programme de construction
- le type de locomotives retenues devait avoir 6 essieux moteurs et deux essieux porteurs aux extrémités.
- les moteurs électriques, à suspension par le nez, devaient être utilisés avec les couplages suivants : 6 moteurs en série, 3 moteurs en série sur deux circuits en parallèle et 2 en série sur 3 circuits en parallèle. De plus, pour chacun de ces couplages, il fallait deux crans d’excitation réduite des inducteurs (shuntage) afin d’obtenir 9 régimes de marche économiques.
- les locomotives devaient être équipées du freinage électrique par récupération qui devait permettre de retenir une rame de 400 tonnes dans des déclivités de 30mm/m à une vitesse de 20 à 25km/h. Le PLM insistait sur ce point en précisant que, outre l’intérêt de ce freinage, lorsque les moteurs fonctionnaient en génératrices, ils produisaient une énergie électrique renvoyée au conducteur de prise de courant et que cette puissance électrique, qui pouvait dépasser 2000 chevaux, était utilisée pour la circulation des autres trains d’où les économies d’énergie que l’on pouvait en tirer.
- concernant la puissance, le tableau ci-après détaillait les efforts à atteindre au crochet de traction en fonction de la vitesse et des régimes. La vitesse maximum de ces locomotives étant par ailleurs fixée à 80 km/h afin qu’elles puissent être utilisées, si besoin, sur certains trains de voyageurs.
- le captage du courant devait se faire par frotteurs mais aussi par pantographes. Si le recours au troisième rail avait été retenu pour la simplicité de pose, de surveillance et d’entretien, il paraissait préférable d’équiper les voies de service des gares par un fil aérien en raison des risques et de la gêne qu’aurait pu présenter le rail conducteur vis-à-vis du personnel. A noter que la tension en 1500 volts, qui avait été retenue comme norme par la SNCF en 1920, constituait une limite pour le troisième rail.
Après avoir détaillé la 161 CE n° 1 à 10 dans https://cheminot-transport.com/2021/12/locomotive-161-ce-1-a-10-futures-1cc1-3701-a-10.html , voyons à présent la 161 BE n°1 à 10 dont les exemplaires ont été fabriqués par le Groupement Thomson-Schneider-Jeumont.
Description générale.
De type 1AB+BA1, cette locomotive était composée de deux unités accouplées par l’arrière à l’aide d’un attelage rigide à rotule sphérique et dont les mécanismes tant électriques que pneumatiques étaient reliés entre eux par des câbles électriques et par des raccords en caoutchouc. Un soufflet assurait la communication entre les deux demi-locomotives. La caisse de celles-ci reposait à l’arrière sur un truck, dit principal, doté de deux essieux moteurs et à l’avant sur un truck, dit directeur, muni d’un essieu moteur et d’un autre porteur.
Le schéma suivant donne les caractéristiques principales de la 161 BE1.
Longue de 20,58 mètres cette impressionnante machine avait un masse de 128 tonnes pour un poids adhérent de près de 104 tonnes. La charge par essieu restant proche de 17 tonnes.
Le diamètre des essieux moteurs était de 1,25 m alors que celui des essieux porteurs se limitait à 0,915 mètre.
Le châssis de la caisse, qui reposait à l’avant sur un pivot sphérique, avait un déplacement possible de 140mm de part et d’autre de l’axe. Le rappel était assuré par des plans inclinés dont l’effort pouvait atteindre 2700 kg.
A chaque extrémité avant des demi-locomotives on trouvait une plateforme et une cabine de conduite. Outre les habituels dispositifs de contrôle et de commande, la machine était dotée d’un manipulateur placé contre la face avant de la cabine vers la gauche dans le sens de la marche. La figure qui suit représente le manipulateur de la 161 CE1. Celui de la 161BE1 était similaire avec quelques différences dans les crans de la manette d’accélération/récupération.
Celui –ci comportait les 3 manettes suivantes :
- La manette de prise de courant comportait 4 crans, 1 cran 0 correspondant à la coupure des circuits, un cran F pour l’alimentation par frotteurs, un cran P pour la prise de courant par pantographe et enfin un cran FP pour assurer la transition d’un mode à l’autre. Cette manette était amovible, il n’y en avait qu’une seule par locomotive. Le retrait donnait l’assurance au mécanicien que les circuits étaient coupés et que toutes les autres manettes étaient en position de repos.
- La manette de régime commandait le sens de marche et les différents couplages des moteurs en récupération ainsi que le niveau de shuntage des inducteurs.
Le 0 correspondait à la position de repos. Les positions AV et AR donnaient le sens de marche avec l’excitation des moteurs à plein champ. Les crans S1 et S2 correspondaient aux marches avec un pourcentage de shuntage des inducteurs respectivement de 27% et de 42%. La position R1 était celle de la marche en récupération avec les induits moteurs en couplage série, R2 correspondait à la marche en récupération avec le couplage série parallèle et R3 avec le couplage parallèle.
- La manette d’accélération/récupération utilisée aussi bien pour la marche en traction que pour la marche en récupération.
- En marche en traction, les 10 premières positions permettaient l’élimination progressive des résistances jusqu’à la position S de la marche normale en série. Suivaient 7 positions d’élimination des résistances jusqu’au passage de série à série Parallèle (SP). Enfin 6 positions pour l’élimination de résistance pour la transition du couplage de SP à parallèle P.
- En marche en récupération, les sept premières positions non numérotées qui marquaient le début du freinage par récupération puis 8 positions numérotées qui correspondaient à des vitesses de marche et à des efforts de retenus variables.
Il existait des enclenchements entre les différentes manettes afin d’éviter toute fausse manœuvre.
Appareils de prise de courant
La prise de courant pouvait se faire de deux manières :
- de façon classique à la caténaire par l’intermédiaire de pantographes,
- mais aussi au rail conducteur grâce aux frotteurs.
Moteurs de traction
Au nombre de 6, les moteurs de traction, fournis par la société Alsthom, étaient du type TH-562 à excitation série et suspension par le nez sur une traverse transversale du truck équipée de ressorts à boudins.
L’essieu était attaqué par un train d’engrenages constitué d’une roue de 68 dents et d’un pignon de 18.
Neuf régimes de marche pouvaient être obtenus. En effet, pour chacun des couplages série (6 moteurs en série), série-parallèle (trois moteurs en série sur 2 circuits en parallèle) et parallèle (deux moteurs en série sur 3 circuits en parallèle) on pouvait disposer deux crans de marche supplémentaire avec shuntage des inducteurs (27 ou 42% comme vu plus haut).
La puissance développée était d’environ 1900 chevaux en régime continu. Les efforts de traction en fonction des couplages et de la vitesse sont repris dans le schéma ci-après. En plus du régime unihoraire il y avait un régime « 5 minutes » avec intensité à 640 ampères.
Carrière/Préservation
Produites à 10 exemplaires, les 161 BE1 à 10 ont été renumérotées 1ABBA1 3601 à 10 par la SNCF. Ces machines, comme les 161 CE1, se sont montrées bien adaptées à la mission pour laquelle elles avaient été conçues, à savoir la traction des trains de marchandises sur les lignes de la Maurienne.
Entre Chambéry et Saint-Jean de Maurienne où les déclivités sont limitées à 15mm/mètre, la charge remorquée était fixée à 900 tonnes et même 1100 tonnes sur les sections de ligne où les déclivités ne dépassaient pas 8mm/mètre. Par contre, entre Saint-Jean de Maurienne et Modane, une pousse était nécessaire pour franchir avec 600 tonnes les rampes de 26mm/mètre ou 500t dans la partie de voie à 30mm/mètre entre Saint Michel et Modane.
Jusqu’à l’arrivée des machines plus modernes, ces vénérables machines assureront pendant plus de 40 ans un service apprécié sauf peut-être des mécaniciens car cela secouait fort dans ces machines au passage des aiguilles et la station debout n’était pas conseillée sous peine d’avoir les épaules endolories à force de cogner contre les parois.
Ces locomotives ont été radiées au début des années 70 mais un exemplaire, le 161 BE 3, est conservé à la cité du train de Mulhouse.