8 Juin 2022
Image d’illustration : Le génie Civil 23 septembre 1939 site Gallica.bnf.fr/BnF
Sources : Le génie Civil 23 septembre 1939 site Gallica.bnf.fr/BnF , Le génie civil 17 juin 1939 site Gallica.bnf.fr/BnF
Locomotive Classe J du KCS
Pour des raisons propres à la taille du pays, les Etats-Unis ont dû se doter, tout au long de leur histoire ferroviaire, de matériels et de réseaux adaptés aux dimensions hors normes de leur géographie et à la puissance de leur économie.
Cela a été surtout vrai pour le transport des marchandises, le transport des voyageurs ayant plus profité à l’aérien dès l’après guerre compte tenu des distances à parcourir.
Pour illustrer par des données statistiques la différence entre les transports par fer aux USA par rapport à ceux de l’Europe, il suffit de donner le parcours moyen d’un transport par wagon en 1936 qui était de 150 km en Europe pour près de 4 fois plus (570km) en Amérique. Ce même constat vaudrait aussi pour le tonnage transporté qui était sans commune mesure avec celui traité en France.
Face à un trafic très dense et sans cesse croissant, les nombreux réseaux de chemin de fer se devaient d’une part, d’augmenter le débit et d’autre part, de baisser le coût de revient pour proposer des tarifs concurrentiels. Pour répondre à cette double problématique, les chemins de fer ont fait appel à des machines toujours plus puissantes et au rendement sans cesse amélioré. Concernant ce dernier point, on peut citer l’évolution de la consommation de charbon pour tracter 1000 tonnes de marchandises sur 1 km. En 1920, elle était de 54 kg alors qu’en 1936 elle n’était plus que de 37kg soit une baisse de plus de 30%.
Quant à la puissance et au gigantisme de ces machines à vapeur d’avant guerre, la description ainsi que la photo suivante vont en faire la démonstration.
Remarquez la taille de cet homme debout sur la file du rail par rapport à la hauteur de la machine qui mesurait pratiquement 5 mètres de haut comme on le verra un peu plus loin sur un schéma.
Une autre illustration de la démesure de ces machines à vapeur nous est fournie par cette photo de l’embiellage d’une locomotive (4- 8-4) de l’Union Pacific Railroad où la taille de l’ouvrier nous donne une idée des dimensions des mécanismes.
Locomotive de la classe J du KCS (Kansas City Southern Railway)
Cette locomotive sortait dans le milieu des années 30 des ateliers de Lima Locomotive Works à Lima dans l’Etat de l’Ohio. Cette entreprise ne nous est pas inconnue en France puisqu’elle a fabriqué une partie des 1340 locomotives 141 R que notre pays avait commandé à l’industrie américaine. (Voir https://cheminot-transport.com/2021/12/locomotive-141-r.html ).
Les caractéristiques de cet engin et un schéma sont présentés ci-après.
En France, on la classerait dans la catégorie des 1 E 2 mais la notation Whyte devait lui attribuer un 2-10-4. Livrée à raison de 10 exemplaires dont 5 chauffés au charbon et 5 chauffés au mazout, cette locomotive faisait partie d’une commande émanant de 3 réseaux (T&P, C&O et KCS) pour 3 types d’engins 1 E 2 (la classe I.I.C, la Classe T1 et la Classe J, objet du présent article) qui différaient sur certains points mais qui avaient en commun leurs fortes puissances pour la traction des trains de marchandises.
D‘une longueur de 20 mètres pour un poids en ordre de marche de 230 tonnes, cette énorme machine n’était pas la plus grande des trois. En effet, la classe T1 avait une masse de 257 tonnes pour un poids avec tender de 445 tonnes ! Elle était aussi plus haute puisqu’elle dépassait les 5 mètres. Voici cette machine de la classe T1 avec son tender.
Revenons à la classe J qui avait un poids adhérent de 158,7t ce qui, malgré les cinq essieux couplés à roues de 1,78m, représentait quand même 31,7 tonnes par essieu moteur soit plus de 50% au dessus de ce qui était autorisé sur les meilleures lignes du réseau français.
Tout dans cette machine était dans des dimensions inhabituelles en Europe :
- la chaudière était timbrée à 22 bars, on était plutôt à 20 chez nous,
- la grille, alimentée par un chargeur mécanique sur cinq zones distinctes, avait une surface de 10 m2 alors qu’en France les grilles dépassaient rarement les 5 m2. A noter que la classe T1 en avait une encore plus grande puisqu’elle mesurait 11m2.
- la surface de chauffe de 432 m2 était composée de 73 tubes d’eau de 57mm de diamètre et de 183 tubes de fumée de 95 mm.
- les éléments surchauffeurs avaient une surface de 194 m2 ce qui, avec les autres parties de chauffe, correspondaient à une surface totale de 673 m2. Les locomotives Garratt double Pacific, que j’ai décrites dans https://cheminot-transport.com/2022/03/locomotive-garratt-231-132-sur-le-reseau-plm-algerien.html, en totalisaient « seulement » 350 !
- le tender était monté sur deux bogies à 3 essieux avec des roues de 1,06 mètre. Sa capacité était à la mesure de la classe J : 78 m3 d’eau et 22,7 tonnes de charbon (ou 17 tonnes de mazout selon la chauffe). Le poids total en marche atteignait 157 t pour celui transportant du mazout et 163 tonnes pour l’autre soit 27 t par essieu. Celui de la T1 était encore plus capacitaire, il avait une masse totale de 188 tonnes.
- enfin, l’effort de traction culminait à plus de 42 000 kilos sans le booster qui n’était pas installé en sortie d’usine mais qui pouvait être ajouté par la suite. La T1, qui en était dotée, développait un effort à la jante de plus de 49000 kilos.
Le souci du confort de l’équipe de conduite était plus pris en compte outre-Atlantique qu’en France. Quant on voit les abris que proposait le réseau Nord, on ne peut que plaindre nos mécaniciens et chauffeurs très exposés aux intempéries. Sur la classe J, la cabine était à antichambre, solution particulièrement favorable pour le bien-être du personnel en hiver.
Lors des essais dynamométriques réalisés dans l’Arkansas avec des rampes de 15mm/mètre, la puissance maximum avait été mesurée à 4825ch à la jante et 4475ch au crochet à une vitesse de 56 km/h à la tête d’un train de 165 wagons d’un poids unitaire de 22,65 tonnes soit un total de 3737 tonnes.
Malgré leurs qualités intrinsèques évidentes, les classes J ne resteront en service qu’un peu moins de vingt ans.