3 Juin 2022
1Image d’illustration : Photo Jean-Louis Tosque. Publiée avec son aimable autorisation.
Sources : Revue générale des chemins de fer avril 1947 site Gallica.bnf.fr/BnF , Loco Revue 641 Novembre 2000, Loco revue 642 Décembre 2000
Locomotive BB 0401, future 8001, prototype des 8100
Le plan massif d’électrification des chemins de fer, lancé dans les années 40, prévoyait que les locomotives de type BB constitueraient l’ossature du parc des engins de traction appelés à circuler sur ces lignes.
Compte tenu des enjeux que représentaient les centaines de commande envisagées, l’étude d’une nouvelle locomotive BB dotée des dernières améliorations s’avérait nécessaire.
Voici les pistes sur lesquelles des voies de progrès semblaient réalisables :
- amélioration des caractéristiques en vue d’une utilisation plus polyvalente,
- réduction des dépenses de maintenance et des temps d’immobilisation,
- recherche d’une standardisation des pièces afin de faciliter la production en série.
Démarrée au sortir de la guerre, la locomotive BB 0401 commençait ses essais en 1947 après sa livraison par les usines d’Alsthom.
Caractéristiques
Le schéma suivant présente les principales dimensions de cet engin.
Longue de près de 13 mètres, cette locomotive à adhérence totale avait une masse de 80 tonnes en ordre de marche. Un dispositif de lest amovible était prévu afin de porter son poids à 92 tonnes pour s’adapter à la décision de la SNCF d’augmenter la charge par essieu de 20 à 23 tonnes. Cette limite devait être autorisée sur la presque totalité des lignes électrifiées et à électrifier.
L’augmentation du poids adhérent couplée à l’accroissement du tonnage des trains suite au développement du trafic dans la période d’après guerre avaient conduit Alsthom à étudier de nouveaux moteurs pour offrir une puissance adaptée aux charges attendues.
Dotées des technologies les plus modernes, ces moteurs de nouvelle génération offraient un surcroît de puissance conséquent (de 475 à 600ch) tout en conservant le même poids et le même encombrement.
Aux 2400 chevaux que fournissaient les quatre moteurs, correspondait un effort de traction de 14700 kilos.
Ainsi dotée, la BB0401 offrait ce tableau des charges/vitesses au régime continu en fonction de la nature du trafic. On peut observer la polyvalence de cet engin qui pouvait assurer une palette de trains allant des voyageurs aux marchandises en passant par les messageries et ce dans une plage de 60 à 115km/h.
Par rapport à la série 300 qui l’avait précédée, la BB 0401 offrait une vitesse de 10km/h supérieure et surtout une souplesse d’utilisation grâce notamment à une réduction de champ de 76% contre seulement 60% pour les autres machines. Le rapport de vitesses à champ minimum et maximum passait de 1,65 à 2,32. La souplesse d’utilisation était aussi obtenue par les dispositions retenues dans l’appareillage électrique. En effet, l’augmentation des crans de démarrage sur résistances (40) réduisait sensiblement les variations d’effort. De même, les 9 crans de shuntage sur les deux couplages contribuaient à cette souplesse en apportant 20 niveaux de progression au lieu de 12 sur les BB précédentes.
Les valeurs indiquées dans le tableau ci-dessus sont à comparer à celles obtenues avec la série 325 à 355 dont les résultats étaient les suivants :
Série325 à355 |
Déclivités |
|||
Marchandises |
0 |
2 |
2,8 |
5 |
1300 t |
74km/h |
59,5km/h |
55km/h |
43,5km/h |
Concrètement, il en résultait que sur la ligne Paris Lyon, avec sa rampe de 8mm/mètre franchissant le seuil de Bourgogne, une BB 0401 pouvait remorquer un train de 1050 tonnes sans avoir recours à la double traction comme c’était le cas pour la série des 0325. Avec le lest, un essai avait été réalisé avec la BB 8136 qui avait démarré une rame de 1200 tonnes en rampe de 8mm/mètre et en courbe de 700 mètres.
On retrouvait ce même écart de performance sur les trains de voyageurs. En effet, l’effort de traction à 105 km/h était pratiquement le double soit 5500 kilos versus 2800.
Améliorations apportées sur la partie maintenance.
Les BB précédentes avaient été produites à près de 600 exemplaires répartis en 13 séries dont la puissance avait été portée progressivement de 1000 à 2000 chevaux en passant par 1600 ch. Simultanément à cette augmentation de puissance, des efforts avaient été faits en vue de diminuer les coûts de maintenance ce qui avait permis de porter le pas de maintenance à 140 000km. Fort des expériences acquises sur les BB des générations précédentes, la SNCF avait demandé à Alsthom de privilégier une conception modulaire et de travailler sur la facilité d’accès et de remplacement des pièces afin de réduire les temps d’immobilisation pour entretien.
Améliorations apportées à la partie mécanique.
Le châssis des bogies1 avait fait l’objet d’un renforcement grâce à l’utilisation de longerons tubulaires soudés électriquement.
D’autre part, des biellettes montées sur silentblocs avaient remplacé les glissières des boîtes d’essieu. Le recours à cette technique avait permis de supprimer les chocs entre boîte et châssis.
Le freinage était assuré sur chaque roue par deux doubles sabots et par une timonerie qui actionnait le mécanisme sur les deux roues d’un même côté du bogie. L’augmentation très importante des surfaces frottantes des sabots réduisait les interventions et donc les coûts d’entretien.
1 les deux bogies étaient attelés et supportaient les organes de choc et de traction. La deuxième tranche ne sera pas équipée de bogies attelés.
Améliorations apportées à la partie électrique.
L’induit des moteurs de traction était monté sur roulement lubrifié. La carcasse des moteurs était liée au châssis des bogies par une bielle dotée de silentblocs afin de neutraliser les chocs latéraux lors du franchissement des courbes. A cette même fin, les paliers d’essieux possédaient un jeu latéral 10mm de part et d’autre.
Les appareillages avaient été groupés par nature dans des blocs interchangeables qui pouvaient être rapidement déconnectés pour remplacement. Cette opération se réalisait après retrait des 3 capots amovibles du toit de la locomotive (voir schéma ci-dessous).
Un montage spécifique des systèmes de ventilation avait permis d’augmenter la protection contre les poussières sur les surfaces des isolants et des contacts basse tension. Ceci réduisait sensiblement les opérations d’entretien courant consacrées au dépoussiérage. A cet effet, les auvents et les persiennes des faces latérales avaient été supprimés et remplacés par de longues chicanes sur la toiture.
Enfin, vu l’importance du nombre de machines à commander, des dispositions avaient été prises en vue de faciliter la construction en série. Les ateliers assurant la production avaient été conçus en vue d’assurer un montage cadencé et non à la chaîne ce qui visait à rendre plus efficient le process de fabrication.
Carrière
Le prototype BB0401 qui, comme indiqué en début d’article, préfigurait l’importante série des 171 BB8100 allait être renuméroté rapidement en BB 8001.
La première tranche était lancée après les essais du prototype et livrée entre 1948 et 1952 dans la numérotation 8101 à 8236. Elle sera suivie dès l’année suivante d’une deuxième tranche complémentaire qui portera l’effectif à 171 soit la numérotation 8237 à 8271.
Dans les années 50, la 8100 est la véritable bonne à tout faire. Aussi bien utilisée sur les trains de messageries que de marchandises ou même sur des trains de voyageurs express et omnibus, la BB8100 sera considérée comme une véritable bête de somme, facile à conduire et à entretenir. Ce n’est qu’à l’arrivée des fabuleuses 9200 dans les années 60 que les 8100 seront cantonnées aux trains de marchandises et de messageries.
D’apparence tout à fait classique, son côté utilitaire sera apparent jusque dans la livrée qui se limitera à revêtir la caisse d’une robe vert sombre uniforme. La seule décoration qui lui sera concédée concernera le cerclage rouge de ses hublots au nombre de 4 sur ses faces latérales. Hublots que l’on retrouvera aussi sur les parebrises.
Pas d’enjoliveurs ni de chrome à arborer, ce n’est pas dans les apparences que l’on attendait qu’elle brille mais bien dans son service au quotidien et c’est ce qu’elle fera pendant une cinquantaine d’années.
Trois réseaux ont été affectataires de ces vaillantes locomotives :
- le Sud-Ouest (dépôts de PSO, Les Aubrais et Tours) dès les 13 premières livraisons à PSO jusqu’au début des années 70. En 1955, 33 machines dont le prototype 8001 étaient affectées au Sud-ouest.
- l’Ouest où 8 unités seront affectées au dépôt de Montrouge où elles assureront des Paris- Le Mans et des Trappes Tolbiac dans les années 1953/58.
- et bien sûr le Sud Est où elles arpenteront de nombreuses lignes jusque à celles de la Maurienne. En 1955 le Sud-est à travers ses dépôts de Villeneuve, Lyon Mouche et Dijon en accueillait 131.
A la fin des années 50 la totalité de la série est équipée avec le lest de 12 tonnes ce qui, à travers une augmentation des charges admises, accroit le potentiel d’utilisation de ces engins.
Jusqu’au milieu des années 60, on retrouve encore quelques 8100 en tête des trains express mais elles doivent rapidement laisser la place aux 8500 qui, de par leur vitesse à 140km/h, sont plus adaptées aux trains de voyageurs. C’est l’occasion de donner une seconde chance aux 8100 en les équipant pour circuler en UM pour la traction des lourds trains de marchandises comme les trains d’hydrocarbure de 3000 tonnes. Au milieu des années 70, grâce à la possibilité d’utilisation en UM, elles seront même utilisées en Maurienne dès que le fil de contact aura remplacé le troisième rail. Il y aura jusqu’à 60 BB 8100 au dépôt de Chambéry qui œuvreront en UM et même parfois en combinant l’UM en tête et un UM en queue pour la pousse.
A partir de 1987 la livrée dite « béton », grise à bandes oranges, équipe un peu plus d’une centaine de ces machines.
A la même époque, les premières radiations surviennent et une partie des engins est recyclée à la manœuvre et transformée en BB 80000. Ce n’est que dans les années 2000 que la série s’éteint à l’exception des 8100 utilisées pour le dégivrage de la caténaire.
Deux BB8100 ont été préservées, la 8177 et la 8238.