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Cheminot Transport

Record du Monde de vitesses en 1955 à 331km/h

Image d'illustration: 29 mars 1955 la BB 9004 et sa rame prêt au départ. Site DocRail

Sources : Revue Générale du Chemin de Fer mai 1955,  Site DocRail que je remercie pour son autorisation de reproduire ses photos historiques https://docrail.fr/le-record-du-monde-de-vitesse-du-28-et-29-mars-1955/  , SNCF Direction de la Stratégie Sardo, que je remercie également pour son autorisation de reproduire ses photos historiques https://openarchives.sncf.com/   ;   BB9004, CC7107, 331km/h, une page d'histoire 28 & 29 mars 1955. Article de Charles Billy https://bpcv.free.fr/page0.html

 

Historique du record du Monde de 1955

En France, au  20ième siècle, la course au record du monde de vitesse  commence  avec l’avènement des autorails dans les années 30. Grâce à leurs capacités de freinage hors du commun pour des engins ferroviaires, ils pouvaient s’affranchir des règles de limitations de vitesse qui avaient été  imposées aux trains rapides et express depuis Napoléon III en raison de la distance d’arrêt qui devait rester inférieure à la distance de couverture (1000 mètres à l’époque).  Pour être tout à fait précis, il faut rappeler que dès 1927, une expérience dérogatoire avait été tentée avec une locomotive électrique 2C2 E3100 Midi qui avait remorqué le Sud Express entre Bayonne et Bordeaux avec des pointes à 135 km/h. Cette machine avait même été poussée à 140km/h lors d’essais avec un train de 350 tonnes.

Mais revenons aux autorails des années 30 dont la mise en service sur les lignes secondaires provoquait une rupture salutaire par rapport à l’exploitation déficitaire et peu performante des trains omnibus tractés par des locomotives à vapeur. En fait, les réseaux de chemin de fer cherchaient à lutter contre l’automobile, ce nouveau moyen de locomotion qui trouvait un début de pertinence sur les petits et moyens parcours, là où les omnibus des lignes secondaires n’offraient pas un service très performant. Il fallait donc s’inspirer des points forts du concurrent, légèreté, souplesse et puissance massique élevée, pour développer un avantage concurrentiel dont ils n’avaient pas eu besoin jusqu’alors du fait de leurs situations de quasi monopole.

Beaucoup d’entrepreneurs se lançaient dans l’aventure  dont des constructeurs automobiles célèbres comme Renault, Berliet et la célèbre marque sportive Bugatti. C’est cette dernière qui devait se montrer la plus performante en vitesse pure même si Renault avait tenté de lui damer le pion sur les parcours à longue distance.

Un mois après sa sortie d’usine, l’autorail Bugatti, bodybuildé de ses 4 moteurs de Bugatti Royale, atteignait 172km/h entre Connerré- Beillé et Le Mans sur une longue portion de ligne droite de 12 kilomètres dont les déclivités ne dépassaient pas 2mm/mètre. Rappelons que chacun des moteurs avait une puissance de 200ch qui pouvait être portée à 220ch pour les essais (le RGCF de janvier 1936 parlait même de 250 ch soit 1000 chevaux au total). Ce record pulvérisait celui détenu par l’Allemagne avec 160km/h.

Jean Bugatti, célèbre pilote automobile et fils d’Ettore, était au commande de l’engin. Un grand champion comme lui ne pouvait se contenter de cette performance car seul le mur symbolique des 200 km/h pouvait constituer un objectif à la hauteur de ce grand sportif. Une deuxième campagne d’essais au même endroit fut conduite au dernier trimestre de 1934. Malgré un fort vent latéral, les 193km/h étaient atteints le 24 octobre. Les 200km/h, tant convoités par le champion automobile, n’ayant pu être dépassés en raison de mauvaises conditions météorologiques. J’ai décrit plus en détails cet autorail et ces records dans https://cheminot-transport.com/2021/02/l-autorail-bugatti-ou-le-levrier-sur-rails.html

Au début des années 50, en vue de l’électrification de l’artère Paris Lyon et de sa vitesse portée à 140km/h, de nouveaux types de machines voyaient le jour grâce aux progrès technologiques accomplis notamment au niveau de la puissance massique des moteurs. Le relèvement de la charge par essieu de 18 à 20 tonnes permettait aussi de contester l’hégémonie des locomotives 2D2 qui, avec leurs masses de plus de 130 tonnes, avaient besoin de la configuration à 4 essieux moteurs et 4 essieux porteurs.

C’est ainsi que de nouveaux prototypes de types CC et BB furent commandés en vue d’essais comparatifs vers le début des années 50. Les premiers livrés ont été les CC 7001 et 7002 qui devaient donner naissance à l’importante série des CC7100. Et c’est justement une de celles-ci, la CC 7121 à la tête d’un train à composition réduite, qui battait le record du monde de vitesse sur rail à 243km/h entre Dijon et Beaune le 21 février 1954.

CC 7121 et la rame d’essais en gare de BEAUNE en février 1954 Publiée avec l’aimable autorisation de Doc Rail.

La même, quelques années plus tard.

Photo Jean-Louis Tosque. Publiée avec son aimable autorisation.

La même encore en tête d'un train d emarchandises.

CC7121 en tête d'un train de marchandises Photo Jean-Louis Tosque

 De cette tentative, il ressortait clairement que la vitesse obtenue était loin de constituer un cap infranchissable puisque la stabilité avait été parfaite tout au long de l’essai et seuls les rapports d’engrenages utilisés n’avaient pas permis d’aller au-delà.

Ce record ouvrait donc la voie à une tentative beaucoup plus ambitieuse qui allait nécessiter des préparations spécifiques tant au niveau de l’engin que de l’infrastructure.

A ce moment là, deux nouveaux prototypes, les  BB 9003 et 9004, venaient d’être testés avec succès par la SNCF dans différentes configurations de marche et les résultats étaient tels que le type BB semblait constituer le meilleur compromis coût/performances.

SARDO - Centre National des Archives Historiques (CNAH) du Groupe SNCF ; site http://openarchives.sncf.com/, cote open archives: tr_sardo_237_1 Publiée avec l’aimable autorisation de SNCF Sardo

 Dans le prolongement de la campagne d’essais des BB9003 et 4 , il fut envisagé de porter le record de vitesse à un niveau qui marquerait les esprits et qui ne serait pas prêt d’être battu. Il faudra d’ailleurs attendre 26 ans avant qu’il ne tombe sous les assauts d’une nouvelle catégorie de train, le TGV.

On décida toutefois de ne pas pénaliser la série des CC construite par Alsthom en la faisant participer  à cette tentative en retenant la CC7107 comme compétitrice au même titre que la BB9004.

SARDO - Centre National des Archives Historiques (CNAH) du Groupe SNCF ; site http://openarchives.sncf.com/, cote open archives: tr_sardo_236_1 Publiée avec l’aimable autorisation de SNCF Sardo

La voici quelques dizaine d'années après à la tête d'un train complet de trémies.

Photo Jean-Louis Tosque

Préparatifs en vue du record.

Les mesures effectuées lors du précédent record de 1954 servirent à déterminer un certain nombre de paramètres dans les réglages de la voie, des caténaires et des engins moteurs.

=> L’infrastructure voie et caténaires

Concernant les efforts exercés transversalement sur la voie, les enseignements tirés du record de 1954 montraient que l’on restait très éloigné des limites communément admises déterminées par la formule 0,4P dans laquelle P correspond à la charge verticale d’un essieu, soit pour une CC7100 : 17,8t x 0,4 = 7,12t.

 Or, à 240km/h l’effort transversal exercé par le 3ième essieu ne s’était élevé qu’à 3,6t. Les mesures effectuées aux vitesses croissantes de 160, 180,220 et 240km/h avaient fait apparaitre une progression linéaire de l’effort alors que les estimations antérieures laissaient à penser que les efforts pouvaient augmenter proportionnellement avec le carré de la vitesse. En appliquant la règle de proportionnalité ainsi déterminée, on pouvait estimer quelle serait la contrainte exercée sur la voie à la vitesse de 330km/h soit 5,25t, ce qui était encore très loin de la limite des 7,12t.

Bien entendu toutes ces projections théoriques supposaient que la voie bénéficierait d’un dressage parfait et que les organes de roulement seraient usinés avec une grande précision.

Si la voie, comme nous venons de le voir, devait autoriser des vitesses élevées, il fallait aussi que les performances des engins et de l’alimentation électrique soient à la hauteur.

Là encore, les essais de Dijon donnaient des indications très utiles. On savait qu’une intensité totale par engin de 4000A et une tension prise au pantographe de 2000 volts permettraient d’atteindre voire de dépasser la vitesse de 320km/h admise par la voie.

 => Choix de la ligne pour le record.

A ce stade, une nouvelle question apparut  dont la réponse ne pouvait être apportée par les conclusions du précédent record : quelle distance serait nécessaire pour arriver ou dépasser l’objectif de vitesse envisagé ?

Sur la base d’hypothèses d’accélération, une distance de 25kms à laquelle il fallait ajouter les 5kms de décélération fut retenue. La seule section de ligne, à l’époque, qui offrait les caractéristiques requises se trouvait dans les Landes entre Lamothe et Labouheyre. Outre la longueur nécessaire, cette voie avait été renouvelée 6 ans auparavant et elle était armée de rails U36 de 50kg le mètre  avec un travelage de 1722 traverses par kilomètre. A noter que le sens le plus favorable était celui de Lamothe à Morcenx car la courbe de fin de parcours à Labouheyre pouvait être franchie à 220 km/h compte tenu de l’augmentation sensible des dévers réalisée pour l’occasion.

Le seul handicap de cette portion de voie avait trait à l’alimentation électrique. En effet, contrairement à la caténaire de type lourd de la ligne de Paris à Lyon (2 fils de contact, supports espacés de 63 mètres, porteur principal de 116mm2), la caténaire entre Bordeaux et Dax ne disposait pas des mêmes caractéristiques de résistance (1 seul fil de contact, supports espacés de 90 m, porteur principal de 79mm2). Des essais préalables s’avéraient donc nécessaires avant de valider ce choix. C’est ce qui fut fait en Juin 1954 avec l’utilisation de la même rame qui venait d’établir le record du monde mais avec la locomotive CC7122. Les marches réalisées à allures croissantes montrèrent le peu d’effet de la vitesse sur la qualité du contact pantographe/caténaire.

CC 7122 en gare de Morcenx début de la zone d’essais de captage avec le nouveau pantographe type G à semelles légères. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail

Une autre série d’essais fut nécessaire, en décembre de la même année, pour tenter de s’approcher des conditions du record envisagé en termes d’alimentation de la caténaire. L’objectif étant d’atteindre une tension au pantographe de 1650 volts et le captage d’une intensité de 4000A. A cette fin, une sous-station mobile avait été ajoutée à Ychoux et l’on avait eu recours à un train à composition plus étoffée (11 voitures et 724 tonnes). Les locomotives CC7107 et CC7113 étaient utilisées en double traction. Les relevés effectués montrèrent la faisabilité des objectifs d’alimentation électrique visés.

Double traction CC 7107, CC 7113 en tête d’une rame de 17 voitures pour étude de captage de fortes intensités. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail

Notons que pour les tentatives de mars 1955, trois sous-stations mobiles (Ychoux, Lugos et Lamothe) furent ajoutées aux sous-stations existantes dans la zone la plus sollicitée. Simultanément, l’alimentation haute tension fournie par EDF fut portée à 75kV au lieu des 60kV habituels.

 Afin de définir un nouveau  modèle de pantographe apte à bien se comporter aux grandes vitesses, on eut recours à un travail d’étude en soufflerie. L’ONERA fut missionnée pour l’éprouver jusqu’à 410km/h.

Une fois le choix de la ligne décidé et les paramètres relatifs à la voie et à l’alimentation électrique  testés, il ne restait plus qu’à s’atteler aux modifications à apporter d’une part, aux locomotives en ce qui concerne les rapports d’engrenage et, d’autre part, aux améliorations aérodynamiques de la totalité de la rame.

=> Commençons par l’aérodynamisme.

Là encore, grâce au précédent record de Dijon, on avait pu affiner la formule de résistance à l’avancement applicable à la rame utilisée qui, rappelons-le, devait comporter la même composition lors des essais dans les Landes.

La formule correspondait à l’expression suivante,  a + b x V2 dans laquelle :

 a avait été fixé à 500kg,

b correspondait au coefficient 0,06 et

V2 au carré de la vitesse.

Soit pour une vitesse de 243km/h : 500 + 0,06 x 2432 = un effort à la jante de 4 043kilos.

Afin de déterminer les perfectionnements susceptibles d’être apportées à la locomotive et à la rame, une maquette au 1/20ième avait été testée à l’institut aéronautique de ST Cyr. Elle reproduisait, à l’identique, la rame de Dijon mais avec des voitures DEV 46 à jupes plus basses. Une fois toutes les améliorations prises en compte, à savoir la suppression des marchepieds, des aérateurs, des poignées de montée plus l’ajout d’un carénage à l’arrière et des soufflets entre les véhicules, le coefficient b n’était plus que de 0,39. La valeur finale retenue fut un peu plus élevée (0,45) pour tenir compte de l’écart qui existe entre une maquette, forcément plus simplifiée, et la réalité.

On peut mesurer l’apport significatif de ces aménagements aérodynamiques en comparant les résultats avec les deux coefficients à la vitesse de 331km/h :

500 + 0.06 x 3312 = 7074

500 + 0.045 x 3312 = 5430

On constate que l’effort de traction à la jante était beaucoup moins élevé dans la nouvelle configuration.

Voici quelques-unes de ces modifications à travers ces quelques photos appartenant à DocRail qui m’a très aimablement autorisé à les reproduire.

CC 7107 après ajout du carénage en atelier et avant peinture. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail

 

Carénage de la CC 7107 et soufflet extérieur avec la première voiture. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail

 

Après modification des rapports d’engrenages et changement des essieux mise sur bogies de la caisse aux ateliers du Creusot. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail
Appendice arrière de la dernière voiture avec son poste de pilotage pour refoulement de la rame. Publiée avec l’aimable autorisation de Doc Rail

=> Continuons avec les engrenages.

On sait que les 243km/h obtenus l’année précédente avaient constitué le maximum que pouvait réaliser la CC7121 dans sa configuration de série. En effet le régime de rotation des moteurs ne permettait pas d’aller au-delà avec les engrenages utilisés. Il fut donc décidé de les modifier en partant du principe que les moteurs devraient tourner au même régime  pour le record que lorsqu’ils étaient utilisés à la vitesse maximum pour le service commercial.

Les calculs effectués montraient que les rapports d’engrenage les plus adaptés devaient se traduire par une raison de 1,03 pour la CC 7107 et par une raison de 0,79 pour la BB9004.

(La raison (r) d'un engrenage est égale au rapport de la vitesse de la roue menée sur la vitesse de rotation de la roue qui mène et au rapport inverse du nombre de dents « roue qui mène/roue menée »)

Pour des raisons techniques ces rapports ne purent qu’être approchés mais non atteints (dans une moindre mesure pour la BB9004)

Ainsi, pour la CC7107,  la raison (r)  initiale de 2,606 était passée à 1,145 soit 63 /55, alors que pour la BB 9004, le train d’engrenages de 2,517 qui se décomposait originellement avec le produit de 73/36 x 36/29 (soit 2,0277 x 1,2414) était transformé en un train d’engrenages dont la raison était égale au produit des deux nouveaux rapports 64/61 x 34/42 (soit 1,0492x0,8095) = 0,849.

Avec ces nouveaux rapports, la vitesse théorique permise aurait été de 540km/h au régime maximum des moteurs.

Les tentatives de record du Monde de vitesse

SARDO - Centre National des Archives Historiques (CNAH) du Groupe SNCF ; site http://openarchives.sncf.com/cote 5291 cote open archives: tr_sardo_1498. Publiée avec l’aimable autorisation de SNCF Sardo

Ce qui frappe au premier abord, à la lecture des comptes rendus des essais, est la volonté des dirigeants d’atteindre une vitesse record, si possible à la première tentative. On imaginerait mieux une montée graduelle en vitesse afin d’explorer progressivement et en toute sécurité les nombreux aléas auxquels les mécanismes et l’infrastructure allaient être confrontés. Et c’est justement les incertitudes sur la capacité de ces derniers à supporter les contraintes répétée auxquels ils auraient été confrontés en multipliant les marches qui avaient conduit les dirigeants à se comporter audacieusement. La seule exception avait concerné la BB9004 qui, en raison du fait qu’elle n’avait jamais franchi auparavant le seuil des 200km/h, avait eu droit à une marche exploratoire à plus de 270km/h comme nous le verrons plus avant.

Pour homologuer sans contestation possible ce record, des appareils de mesures avaient été placés aux endroits où la vitesse serait maximale. Il s’agissait d’une combinaison d’instruments comme des chronomètres, des pédales sur la voie et des appareils photographiques. D’autres enregistreurs étaient installés sur la rame pour mesurer différents paramètres liés à la tension au pantographe, à l’intensité au moteur et à la puissance développée. Enfin d’autres appareillages étaient positionnés dans les sous stations.

=> L’organisation des essais.

La section de ligne de Facture à Morcenx était ouverte au service commercial et il était donc hors de question de la réquisitionner pour réaliser une prouesse technique, fût-ce un record du Monde.

C’est donc au niveau du graphique qu’apparaissait la première contrainte. En effet, non seulement il fallait trouver la plage horaire libre de toute circulation sur la voie concernée mais aussi sur la voie contigüe pour éviter la formation de tourbillons violents qui auraient généré de fortes pressions notamment sur les vitres lors des croisements. Ne voulant faire courir aucun risque aux voyageurs des trains du service commercial, l’inscription au graphique des marches à haute vitesse n’a pas été une mince affaire compte tenu de ce qui précède..

Une fois trouvée la plage idoine, il fallait que ces circulations hors normes se fassent dans les meilleures conditions de sécurité. Comme on ne pouvait pas s’appuyer sur le fonctionnement normal du block automatique PD dont le fonctionnement était gravement perturbé par l’intensité très élevée appelée par les engins de traction, des mesures spéciales et dérogatoires de sécurité avaient été décidées. Tous les 800 mètres, un agent assurant une fonction de veille et d’information était en relation avec les dirigeants grâce à la prise téléphonique de pleine voie à laquelle il était relié. D’autre part, dans chaque gare, la surveillance de la voie était effectuée par un agent tandis que deux autres se trouvaient en permanence à l’écoute des circuits régulation et omnibus. Enfin, tous les passages à niveau étaient gardés par deux agents qui en interdisaient le franchissement.

Le pilotage général était confié à un chef de sécurité, positionné à la sous station de Licaugas, qui était en relation téléphonique avec tous les agents du terrain et en relation radio avec l’équipe de conduite. A noter également la dotation des agents de surveillance en torches (vraisemblablement l’équivalent de nos torches à flamme rouge bien connues à la SNCF et que l’on voir aussi épisodiquement dans les manifs !).

Quelques essais préliminaires furent réalisés  entre le 17 et 25 mars par la CC7113 afin d’apporter les derniers ajustements à la voie et aux caténaires.

Base des essais. Préparation de la BB 9004 avec mise en place des nouveaux archets FAIVELEY spécifiques pour le record sur le pantographe AR. La CC 7113 avec sa rame de DEV assure les marches de détection de défauts de caténaires pour correction. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail

 Mais c’est à partir du 25 mars que la CC7107 entrait en lice avec sa rame carénée. Le samedi 26 mars, c’était au tour de la BB9004 de s’essayer à la grande vitesse. Comme nous l’avons vu précédemment, cette locomotive qui n’avait jamais été poussée à plus de 200km/h, nécessitait une validation de certaines de ses caractéristiques pour les vitesses envisagées. Ce fut fait ce jour là et d’une belle manière puisqu’elle battit le précédent record en atteignant 276km/h. Les enseignements tirés de ce test grandeur nature conduisirent à effectuer quelques modifications tant sur les amortisseurs transversaux que verticaux.

=> 28 mars 1955

Le départ de Facture eut lieu à 13h25 pour cette première tentative largement médiatisée.

Le début de la marche s’effectuait avec le pantographe avant levé pour économiser celui d’arrière qui devait prendre le relais à 110km/h. Après Lamothe,  au franchissement d’un sectionnement, un arc se produisit au moment du décollement du pantographe ce qui détériora les bandes de frottement. Au fur et à mesure de la montée en vitesse, le captage du courant fut perturbé par l’aggravation des détériorations causées par l’incident initial. Peu de temps après, alors que la vitesse était de 320 km/h, une corne du pantographe tombait sur la voie après avoir touché un anti-balançant. A cet instant, les semelles de frottement se déformaient sous l’effet de la chaleur. A 330km/h les semelles se détachaient et des débris d’archet étaient projetés sur la toiture ce qui entraîna la commande en urgence d’abaissement du pantographe.

La stabilité de la rame fut parfaite tout au long de l’essai et la décélération fut suffisante sans  que l’on ait eu recours au freinage à grande vitesse. L’ouverture des fenêtres de la rame ayant contribué à augmenter la résistance à l’avancement.

Après le record, fin de parcours pantographes abaissés pour la CC 7107. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail.

Comparaison avec la marche théorique

Notons tout d’abord que la marche théorique prévoyait d’atteindre une vitesse de 340km/h à Ychoux. Si le rapport d’engrenage avait pu être ramené à la valeur optimale de 1,03, c’est la vitesse de 350km/h qui aurait été visée. La superposition de la courbe de la marche théorique par rapport à la marche réelle donne une vitesse identique  (330km/h) à Licougas, là où l’effort de traction a été coupé par abaissement du pantographe suite à la destruction des semelles. Signalons que la marche théorique avec le rapport d’engrenage idéal (1,03) aurait permis à la CC7107 d’atteindre à ce point là environ 338km/h et aurait fait de cette locomotive d’Alsthom la seule détentrice du record du monde.

D’autre part, on peut observer sur la bande que les disjonctions des sous-stations aux PK 44, 48,5 et 54 firent perdre près de 3 kilomètres d’accélération qui ont été en partie rattrapés par une meilleure montée en vitesse que celle initialement calculée.

J’en tire comme conclusion, contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là (Wikipédia par exemple) que la CC 7107 a bien atteint les 330km/h malgré d’une part, les dysfonctionnements de l’alimentation électrique que n’a pas eu à subir la BB9004 et d’autre part, un rapport d’engrenage moins proche de la valeur optimale que celui adopté sur sa concurrente.

Notons enfin que la puissance maximale mesurée a dépassé les 8 000kW soit environ 11 000cv pour une puissance à la jante de près de 10 000cv.

=> 29 mars 1955

Profitant des enseignements tirés du record de la veille, des modifications furent apportées au pantographe. Les bandes de frottement en cuivre furent remplacées par des barres en acier. D’autre part, pour diminuer l’échauffement de la caténaire, il fut décidé de graisser le fil de contact et d’adapter le pantographe avant pour une utilisation à grande vitesse de manière à pouvoir se substituer à celui d’arrière en cas d’avarie de ce dernier. Cette mesure permit en outre de conserver le captage du courant par le pantographe avant jusqu’à 180km/h au lieu de 110km/h comme cela avait été le cas pour la CC7107.

A 7h35, la rame d’essai, tractée par la BB9004, quittait la gare de Facture. Le premier incident se produisit à 200km/h lorsqu’une corne de pantographe se détacha au franchissement d’un anti-balançant. A 250km/h, le captage se dégradait et les semelles se portaient au rouge. A 290km/h ces mêmes semelles finissaient par lâcher. Pour ne pas perdre le bénéfice de cette ultime tentative, il fut décidé de remettre en service le pantographe avant ce qui permit d’égaler puis de dépasser de 1 km/h la vitesse de la CC7107.

Observations sur la marche de la BB9004

La marche théorique prévoyait, compte tenu des rapports d’engrenage, de la puissance développée et de la distance disponible, une courbe dont l’apogée se situait à 350km/h.

La BB9004 a bénéficié d’une alimentation plus fiable et plus régulière que celle de la veille. A 300km/h, la marche réelle commençait à se superposer avec la marche théorique ce qui laissait espérer une vitesse de plus de 340km/h en fin de course. En début d’essai la courbe réelle était en retrait par rapport à la courbe théorique en raison d’un problème technique affectant l’arbre à cames de commande des contacteurs. Cette défectuosité avait pour conséquence le maintien au dernier cran de shuntage.

La défaillance du pantographe arrière aux abords des 300km/h et le relèvement concomitant du pantographe avant avaient fait perdre une trentaine de secondes de traction ce qui avait fait baisser la vitesse à 280km/h. Pour maintenir une chance d’atteindre le record de la veille, les dirigeants des essais avaient autorisé à dépasser la valeur des 4000A. Grâce au 5100A enregistrés en pointe, le record a pu être établi à 331km/h au PK 71,700.

La puissance maximale enregistrée a été de 8 500kW soit environ 11 500 cv pour une puissance à la jante d’un peu plus de 10 000cv.

Record du 29 mars 1955. Le pantographe arrière ayant été détruit aux environ de 290 km/h, le changement de pantographe réussi, la BB 9004 et sa rame file vers les 330 km/h. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail.

=> Constations effectuées à la fin des essais.

Les images de déformations de la voie après les essais  ont fait l’objet de nombreux commentaires. Voyons ce qu’il en était vraiment.

Tout d’abord, observons les mesures d’accélération transversale à différentes vitesses pour les deux types de machine.

photocopie RGCF mai 1955

On voit que la stabilité de la CC7107 a été parfaite quelle que soit la vitesse. On ne peut pas en dire autant pour la BB9004 dont la stabilité n’a pas été bonne, même à des vitesses pas très élevées. Il ne faut cependant pas faire une analyse erronée de ces données car l’amplitude des mouvements est toujours restée dans les normes. A la plus forte amplitude (0,27g) l’effort sur la voie n’a pas dépassé 5,2t ce qui n’était pas suffisant à lui seul pour expliquer les déformations constatées. Les explications données, après analyse, montrent que les gauchissements de la voie se sont produits au moment et après le passage du dernier bogie de la rame dont le lacet a été provoqué, et sans doute amplifié, par le lacet initial de la BB9004.

La déformation de la voie sur 500 mètres  a été constatée à partir du PK 73 soit au moment de la coupure de l’effort de traction.

L’article du RGCF, sous la plume de F. Nouvion,  minimise cet incident en précisant :

« Quoi qu’il en soit, la BB9004 s’est comportée d’une manière tout à fait satisfaisante aux vitesses de l’ordre de 280-300km/h, vitesse considérablement supérieure à celles réalisées en service, ce qui justifie le choix de la SNCF de ce type de machine plus léger et moins cher que le type CC »

Lorsque l’on regarde les enregistrements ci-dessus, tirés du même article, on a du mal à vérifier ces dires. En effet, la stabilité n’était pas très bonne dès 172km/h surtout comparée à la CC7107. La dernière ligne donne peut-être l’explication à cette volonté de minimiser cet incident : le choix de la SNCF était déjà fait pour le type BB et il n’était donc pas question d’entacher cette performance par une critique sur un léger défaut de stabilité qui n’était pas dans l’absolu rédhibitoire mais présentait seulement, en comparaison avec le comportement de la CC, de moins bons résultats.

Quoi qu’il en soit, les BB9004 ont donné naissance aux formidables BB9200 qui ont su démontrer leurs qualités en tractant le train Capitole à 200km/h en vitesse commerciale.

N’oublions pas que le type CC n’a pas été abandonné pour autant puisqu’à la fin des années 60 les célèbres CC 6500 ont vu le jour et ont rapidement été les reines de la vitesse et de la puissance en tractant la plupart des trains rapides.

Pour conclure cette rétrospective, je vous invite à visualiser le document cinématographique réalisé par la SNCF lors de ces essais.

https://openarchives.sncf.com/archive/0-1004

Vous pouvez aussi compléter vos connaissances ferroviaires en consultant le site très documenté de DocRail https://docrail.fr/

 

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J
Merci pour cet article très doccumenté et compréhensible même par un semi-connaisseur comme moi. Et heureux de vous retrouver. JPN56
Répondre
D
Merci à vous JPN56. J'ai cherché mais je n'ai pas trouvé celui qui se cache sous ces initiales. Vous pouvez m'envoyer un message en messagerie privé (le blog le permet) pour me rappeler là où nous nous sommes croisés.<br /> DH