2 Mai 2023
Sources : Bulletin de la société archéologique et Historique de l’Orléanais https://gallica.bnf.fr/, Album Champin https://gallica.bnf.fr/, Le Chemin de Fer de Paris Orléans itinéraire descriptif historique et pittoresque https://gallica.bnf.fr/, Histoire du Chemin de fer de la Compagnie d’Orléans https://gallica.bnf.fr/, Inauguration du Chemin de Fer de Paris à Orléans https://gallica.bnf.fr/, Bulletin de la société industrielle de Mulhouse https://gallica.bnf.fr/, Carte générale du Chemin de fer de Paris Orléans par Etampes https://gallica.bnf.fr, Carte Chemin de fer d'Orléans première carte typographique https://gallica.bnf.fr/, Journal La Presse 3 Mai 1843 https://gallica.bnf.fr/, Le Rail en France les 80 premières lignes Département du Tarn Archives départementales cote BIB A 6054
Inauguration de la ligne de Paris à Orléans le 2 mai 1843
C’est dans le cadre du projet de cette relation ferroviaire que la Compagnie du Chemin de Fer de Paris à Orléans a été créée le 11 août 1837. La construction de cette ligne, dont le projet était en germe depuis le début des années 30, n’avait pas pu être engagée auparavant en raison d’incertitudes économiques et d’instabilités politiques qui ne contribuaient pas à créer le climat de confiance nécessaire à un tel projet. D’autre part, un plan des transports devait au préalable être défini pour mettre un peu de rationalité et d’ordre dans le bouillonnement d’idées qui caractérisait ce que l’on a appelé alors : la révolution industrielle.
L’ampleur de cette entreprise ainsi que les financements qui allaient avec avaient conduit les entrepreneurs à proposer à l’Etat de phaser le programme en deux tronçons :
Le terminus de Corbeil disposait d’un imposant débarcadère dont on voit la représentation ci-dessous.
Pour ce deuxième tronçon, deux projets de parcours étaient en lice :
C’est ce dernier qui fut finalement retenu mais sans les embranchements envisagés du moins au début de l’exploitation.
L’ouverture du premier tronçon eut lieu le 20 septembre 1840. La desserte était assurée à la fréquence d’un train toutes les deux heures pour une amplitude journalière de circulation de 12 heures. Fréquence qui fut portée à 8 circulations dans chaque sens en 1843 dans une amplitude de 14 h. L’horaire démarrait à l’heure ronde de 7h à 21h dans le sens Corbeil Paris et à raison d’un train toutes les deux heures. Dans le sens Paris Corbeil, l’horaire du convoi le plus matinal partait à 7h35. Le trajet était effectué en 1 heure et les trains desservaient 7 stations intermédiaires : Choisy, Villeneuve le roi, Ablon Athis, Châtillon, Ris et Evry. Le prix des places était progressif en tenant compte du kilométrage effectué et de la classe utilisée. Par exemple le trajet Paris Choisy coûtait 1 Fr en 1ère classe, 0,80 en seconde et 0,50 en troisième. Celui de Paris à Corbeil revenait respectivement à 3 frs, 2,4 frs et 1,5fr. Le prix pour les gares intermédiaires correspondait au prorata des distances. Des prix spécifiques étaient appliqués au transport des marchandises, des voitures postes et des chevaux (8 frs pour ces derniers).
Le million de voyageurs transportés était atteint en moins de 15 mois ce qui conforta la compagnie dans son projet d’assurer la prolongation de la ligne jusqu’à Orléans.
Pour assurer la traction des trains, la compagnie commanda des locomotives à deux constructeurs. L’un était anglais car ce pays avait déjà une expérience avérée dans la construction de locomotives et l’autre français. Il s’agissait de l’entreprise Stehelin et Huber de Bitschwiller.
De type 1A1 pour la remorque des trains de voyageurs, ces engins avaient des roues motrices de 1,82 m et avaient déjà été livrées en 1838 pour le chemin de fer de Paris à Saint Germain. Plus puissantes que les anglaises, ces locomotives vaporisaient 848 litres d’eau par heure et brûlait 14kilos de charbon par kilomètre parcouru.
Pour le trafic des marchandises, 8 locomotives furent commandées, elles avaient des roues accouplées afin d’augmenter la masse adhérente.
Les tenders, dotés de 6 roues, avaient une capacité de 4000 litres d’eau.
Les voitures à voyageurs, au nombre de 240, étaient de 3 classes distinctes :
A cela s’ajoutaient 18 wagons à bagages, 12 wagons écuries pour le transport des chevaux et 50 trucks pour le transport des voitures et diligences. Je décrirai un peu plus loin à quoi servaient ces trucks qui constituaient les prémices du transport combiné et de l’intermodalité.
Enfin 300 wagons étaient dédiés aux transports des marchandises.
Description de la ligne
Avec les moyens de l’époque, une ligne de plus de 100 kilomètres représentait un défi que les ouvriers et ingénieurs ont pu mener à bien dans un temps record de moins de deux ans.
Voici quelques chiffres qui donnent une idée des travaux qui ont été réalisés :
L’infrastructure supportait des rails de 4,5 mètres de long à double champignon symétrique pesant 29 kilos au mètre.
Voyons maintenant les gares et embarcadères justifiés par le trafic.
Commençons par celui de Paris qui était de loin le plus important.
Long de 215 mètres pour une largeur de 26,5m et une hauteur de 14,5 mètres, l’embarcadère était composé de 3 nefs. La nef centrale comprenait deux voies de service alors que les deux nefs d’extrémités étaient dédiées au départ et à l’arrivée. Des quais permettaient aux voyageurs d’avoir un accès de plain-pied avec les voitures.
La première gare du parcours était située à Choisy le Roi, bourgade de 3000 habitants distante de Paris de 9 kilomètres. A noter que cette station, bien que située physiquement sur la ligne de Paris à Orléans, n’était pas desservie par des trains de cette relation. Les voyageurs devaient emprunter les trains pour Juvisy où ils y effectuaient un changement. Il en était de même pour les gares de Villeneuve le Roi, Ablon et Athis Mons qui ne faisaient partie que des arrêts pour les trains se rendant à Corbeil.
C’est donc à Juvisy située à 19 kilomètres de Paris que se situait la première gare desservie par les trains de Paris à Orléans.
A la sortie de la gare, les trains franchissaient le pont des Belles Fontaines qui supporte aujourd’hui la nationale 7 et qui franchit toujours la ligne C.
La station suivante avait été construite à Epinay sur Orge. C’était le point kilométrique 24. On voit l’emplacement sur cette carte de 1842
Puis suivait Saint Michel sur Orge au km 28. L’auteur du livre « Itinéraire descriptif historique et pittoresque de la ligne de chemin de fer de Paris à Orléans » ne trouve rien de remarquable à noter dans ce village si ce n’est la gare et le puit artésien de 100 mètres de profondeur qui y a été creusé afin de recompléter l’eau des tenders grâce à une pompe mue par une machine à vapeur. N’oublions pas que l’on se trouvait à mi-chemin entre Paris et Etampes, gare où s’effectuait un changement de machine.
Laissant la tour de Montlhéry sur la droite que l’on voit très bien du train ce qui était aussi le cas à l’époque, la ligne atteignait Brétigny à 30 kilomètres de l’embarcadère.
C’est à partir de Brétigny que les premières difficultés du tracé se présentaient puisque la ligne devait s’élever jusqu’à une altitude de 90 mètres par l’intermédiaire de deux rampes de 3 et 3,5mm/mètre sur 6 km pour atteindre Marolles au kilomètre 36.
Lardy et Etrechy une fois franchies, le train arrivait à Etampes au kilomètre 56
La difficulté majeure du parcours se situait au départ de cette gare où une rampe de 6,5km à la déclivité de 8mm/mètre mettait à rude épreuve les locomotives de l’époque. Cette déclivité, bien connue des cheminots du Sud-Ouest, porte le nom de rampe de Guillerval et constitue, à son sommet, le point culminant de la ligne.
A partir d’Angerville, neuvième station de la ligne, une grande ligne droite de plus de 20 km parcourait la Beauce et traversait Toury et Artenay, dixième et onzième station de la ligne situées respectivement aux Pk 88 et 101.
Le même auteur, qui ne trouvait rien de remarquable à Saint Michel sur Orge, estimait « qu’il avait suffi de deux ou trois coups de pioche pour niveler le terrain » en faisant référence à cette plaine parfaite qui abritait le grenier de la France (ce qui est toujours le cas).
Puis c’est au kilomètre 108 que l’on atteignait la dernière station intermédiaire au niveau du village de Chevilly.
Une fois la forêt d’Orléans traversée, la ligne abordait le faubourg Bannier puis arrivait au terminus où se trouvait l’embarcadère ou le débarcadère pour ceux qui y arrivaient. On voit sur l’illustration ci-dessous le bâtiment des voyageurs à droite et le dépôt avec les ateliers au centre.
Construit sur la base de celui de Paris, il se démarquait de celui de la capitale par une longueur deux fois plus courte. N’oublions pas que celui de la gare tête de ligne devait aussi assurer le trafic de et vers Corbeil.
Cent quinze mètres de long, 28,5 m de large pour 14 mètres de haut ce bâtiment imposant abritait 4 voies dont deux accessibles par des quais hauts.
La particularité, dont je vous parlé un peu plus haut dans le texte, résidait dans ce que l’on peut appeler les prémices du transport combiné et de l’intermodalité.
En effet à côté des voies sous halle, il existait, tant à Paris qu’à Orléans, des voies dédiées au chargement et déchargement des caisses de diligence ou des chaises de poste (petit véhicule hippomobile individuel). Ces caisses de véhicules étaient séparées du châssis avant d’être placées sur des trucks. A l’arrivée l’opération inverse était effectuée grâce à un portique de levage comme on peut le voir ci-dessous. La manœuvre ne durait que 3 minutes selon les dires des textes d’époque. Les diligences, une fois reconstituées, assuraient la correspondance en étoile au départ d’Orléans.
Terminons la description de cette gare par sa cour marchandises qui s’étendait sur 4 hectares et qui était équipée d’une halle et des quais.
Inauguration de la ligne
Une première marche d’essai fut organisée le 23 avril 1843 par les ingénieurs et dirigeants de la compagnie afin de s’assurer que toutes les conditions de sécurité étaient réunies. A l’aller la marche s’effectua à allure ralentie avec arrêt à toutes les stations pour une inspection dans les moindres détails. Parti à 6h30 de Paris le convoi arriva à Orléans à Midi.
Au retour on força la marche pour tester la résistance de la ligne. D’Orléans à Chevilly, la vitesse moyenne réalisée atteignit les 12 lieux à l’heure soit 48 km/h.
Ce fut un succès complet qui ouvrait la voie à l’inspection gouvernementale qui eut lieu les 26 et 27 avril. Celle-ci concluait à la conformité de la ligne du point de vue de la sécurité.
Le deux mai 1843, l’inauguration de la ligne était organisée par les administrateurs de la compagnie à l’intention des journalistes, artistes, notables, ministres et membres de la famille royale avec à sa tête le Duc de Nemours et celui de Montpensier.
Quatre convois furent formés dont le dernier à partir était le train spécial accueillant les princes, ministres, administrateurs et dirigeants de la compagnie.
Les trois premiers convois comportant respectivement 20, 15 et 17 voitures partirent à 30 minutes d’intervalle à partir de 6h30. Chacun des trains était occupé par environ 400 voyageurs. Pour tracter ces longs et lourds trains, une double traction de locomotives avait été prévue.
Le départ de ces convois fut salué par la musique du 23ième régiment de ligne et par celle du 5ième des Dragons.
Le train spécial, dont la locomotive était pavoisée de drapeaux, s’élança vers 8h30 et arriva à Orléans à 12h30 après un arrêt d’une heure à Etampes pour changement de machines, graissage des roues et complément des tenders en eau. Deux approvisionnements en eau avaient été réalisés à St Michel sur Orge et à Toury. Les quatre trains avaient effectué le parcours en 4 heures, arrêts compris. Par rapport à la diligence qui mettait 10 heures, le gain était très appréciable et surtout, permettait d’effectuer un aller-retour dans la journée grâce aux horaires adaptés. En effet tant dans le sens Paris Orléans que retour, les heures de départ étaient fixées à 7h, midi et 5heures du soir pour une durée de trajet de 3h40mn. On pouvait ainsi aller déjeuner sur la place du Martroi, saluer la statue de Jeanne d’Arc et rentrer tranquillement à Paris pour une arrivée à 21h.
C’est d’ailleurs le périple qu’ont effectué les invités du train spécial qui sont rentrés le soir même à Paris après les discours officiels à Orléans, la bénédiction du train et de la voie par l’Evêque du lieu et le traditionnel banquet avec les non moins traditionnels toasts portés en l’honneur des personnalités présentes.
Le 5 mai la ligne était mise en exploitation. Le prix des places était proportionnellement identique à celui du trajet de Paris à Corbeil soit trois fois plus cher environ.
Le succès fut immédiat et quelques années plus tard, en 1847, la ligne d’Orléans était une des plus fréquentées de France, dépassée seulement par le chemin de fer du Nord.