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Cheminot Transport

La résistance des trains à l'avancement. Evolution des carénages.

Image d'illustration Ferropedia PLM_221_B_11-14.jpg, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons

Sources : Bulletin Société Industrielle de Mulhouse 1/1891, Revue Générale des chemins de fer et Tramway janvier 1898, Livre de Deharme et Pulin 1895 « Matériel Roulant, Résistance des trains Traction, Revue Générale des Chemins de fer juillet 1884, Bulletin Officiel de la Direction des recherches scientifiques et industrielles avril 1921, Recherches et Inventions 1 novembre 1923 et 15 Novembre 1923, Compte rendu de l’académie des Sciences juillet 1923, Revue Générale des Chemins de fer avril 1883, Revue Générale des Chemins de fer octobre 1883, Revue Générale des Chemins de fer janvier 1890, Revue Générale des Chemins de fer mars 1900, Revue Générale des Chemins de fer avril 1897, Revue Générale des chemins de fer avril 1884, Meccano Magazine juin 1937, Revue Générale des chemins de fer et Tramway janvier 1924, Revue Générale des Chemins de fer octobre 1936, Revue Générale des Chemins de fer juillet 1932, Revue Générale des Chemins de fer décembre 1936, Revue Générale des Chemins de fer mai 1941, Bulletin PLM juillet 1935, Bulletin PLM mai 1935, Revue Générale du Chemin de fer décembre 1935, Revue Générale des Chemins de fer novembre 1933, Le Génie Civil 13 août 1938, La Vie du Rail Notre Métier 24 avril 1950, La Vie du Rail Notre Métier 29 juillet 1953 Le tout sur site Gallica https://gallica.bnf.fr/ , La Lumière électrique volume 34, 35, 36, 37  https://cnum.cnam.fr/

La résistance des trains à l’avancement. Les Carénages.

 

Les recherches sur la résistance des trains à l’avancement ont d’abord été sous-tendues par le souci des exploitants de réaliser des économies dans la marche des trains. Une diminution de la résistance à l’avancement était corrélée d’une part, à une baisse de l’effort de traction nécessaire d’où une consommation moindre d’énergie et d’autre part, à une possibilité d’augmenter le tonnage des trains à effort de traction constant d’où un mode d’exploitation plus économique. Les vitesses faibles pratiquées par les chemins de fer à leurs débuts n’avaient guère amené les décideurs à se pencher sur le problème de la résistance de l’air. Mais au fur et à mesure de l’accroissement des vitesses commerciales qui caractérisait cette époque, les réseaux de chemin de fer se rendaient bien compte que la résistance de l’air à l’avancement augmentait bien plus vite que les autres paramètres.

Dès la fin du 19ième siècle, la prise en compte de l’aérodynamisme dans la conception des nouveaux engins moteurs était une piste qu’aucun ingénieur ne se devait d’écarter. Les solutions retenues découlaient pour partie de l’intuition mais étaient aussi enrichies de quelques études et simulations.

C’est ainsi que l’ingénieur français Jean-Jacques Heilmann, né à Pau le 5/11/1853, présentait en 1891 le projet d’un train électrique aux formes profilées. Comme on peut le voir ci-dessous, la vue de profil fait penser à un TGV du 19ième siècle, en avance de 90 ans sur celui qui verra le jour en 1981 sur Paris Lyon. Cependant, la vue du dessus montre une pointe très effilée à l’avant que les expériences aérodynamiques ultérieures ne valideront mais lui préfèreront des formes plus arrondies.

Bulletin Société Industrielle de Mulhouse 1/1891 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

D’autres variantes de la face avant avait également été étudiées, les voici.

Bulletin Société Industrielle de Mulhouse 1/1891 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Je me permets une courte digression en disant quelques mots sur ce projet. L’idée initiale d’Heilmann était de produire de l’électricité sur le train lui-même en l’équipant d’une machine à vapeur dont le moteur ferait tourner une dynamo nécessaire à l’alimentation d’autres dynamos disposées sur les essieux qui, sous l’action du courant fourni, tourneraient en entraînant les roues. Il proposait, en quelque sorte, de créer la première automotrice électrique. Le concept était intéressant mais les coûts engendrés par la modification de toutes les voitures rendaient son projet irréaliste économiquement. Il décida alors de changer de stratégie en proposant une version moins révolutionnaire mais plus pragmatique : remplacer la locomotive à vapeur par une machine électrique dont la source d’énergie serait fournie par le biais d’une machine à vapeur entraînant des dynamos. Au lieu d’équiper toutes les voitures d’un moteur électrique, seuls les 8 essieux de la motrice seraient moteurs. J’ai décrit cet engin ici https://cheminot-transport.com/2021/05/la-locomotive-heilmann-8001.html

Archives Nationale du Monde du travail cote 2005 60 37

Toujours dans les profils avant très effilés, on retrouvait, à peu près à la même époque (1898), cette locomotive 220 des chemins de fer de l’Etat dotée d’un avant acéré et d’un abri (cabine) dans une configuration identique

Sardo Centre National des Archives Historiques (CNAH)du groupe SNCF https://openarcives.sncf.com/ cote tr_sardo_225

Cette 220 de la série C21 60 du PLM avait des caractéristiques similaires avec son coupe-vent et son abri profilé. Elle avait été mise en service en 1894.

Bulletin PLM site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Enfin, et toujours au 19ième siècle, on pouvait observer les mêmes principes de recherches aérodynamiques sur cette locomotive (cab forward) que l’on devait à un ingénieur français, Henry Thuile, et que j’ai décrite ici https://cheminot-transport.com/2021/12/la-locomotive-thuile.html

Unknown author, public domain via Wikimedia Commons

A l’époque on ne parlait pas de carénage mais de proue effilée. Dans la revue générale des chemins de fer et tramways de janvier 1898, des essais en ligne avaient été menés par les chemins de fer du Nord et ils étaient arrivés au constat qu’une proue pouvait faire économiser 40% des chevaux nécessaires pour vaincre la résistance de l’air.

Revue Générale des chemins de fer et Tramways site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Ce sont les mêmes valeurs qui avaient été indiquées dans le livre de Deharme et Pulin dont je parlerai plus avant. En fonction des formes de la proue, étaient indiqués les coefficients de réduction suivants.

Livre Deharme et Pulin Matériel Roulant, Résistance des trains 1895 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Quel était l’état des recherches il y a 100 à 150 ans ?

Les plus anciennes études et recherches expérimentales que j’ai retrouvées sur la résistance des trains à l’avancement datent du début de la seconde partie du 19ième siècle.

Le livre de Deharme et Pulin de 1895 intitulé « Matériel Roulant, Résistance des trains, Traction » est une remarquable synthèse des études menées dans les 40 années qui avaient précédé. Il est aussi très intéressant dans la mesure où il donne des éléments de comparaison avec la route. Là où les auteurs estimaient que l’effort de traction en alignement et en palier sur la voie ferrée n’était que de 1,5kg par tonne à très faible vitesse, ils le chiffraient à au moins 20kg dans les conditions les plus favorables de la chaussée et jusqu’à 80 à 100kg dans les conditions les moins favorables. En rampe de 1% (on parle plutôt en ‰ pour les voies ferrées) l’effort de traction additionnel était évalué à 10kg par tonne que ce soit pour la route ou pour le fer (valeur de la composante de la gravité dirigée parallèlement à l’inclinaison). Dans le cas de la route, 10kg de plus par rapport aux 20 à 100kg ne représentaient pas une contrainte démesurée alors que pour le fer, 10kg correspondaient à un facteur 6 d’augmentation d’où des profils moins accidentés retenus pour le chemin de fer que pour le réseau routier. La norme de 1kg d’effort de traction par tonne pour une déclivité de 1mm/mètre est celle qui a été retenue par la suite. Deharme et Pulin justifiaient cette norme de la façon suivante :

Livre Deharme et Pulin Matériel Roulant, Résistance des trains 1895 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Pour une déclivité de 1 mètre pour 100 mètres, la résistance additionnelle (P1) correspond à P x sinα soit P x1/100 d’où pour 1 tonne la résistance de 10kg avec une déclivité de 10 ‰. Enfin pour les résistances en courbe Deharme et Pulin faisaient intervenir les deux paramètres principaux que sont le rayon de courbe et l’écartement des rails tout en précisant que d’autres éléments entraient en ligne de compte comme la force centrifuge, les forces transversales agissant sur les tendeurs d’attelage et les tampons etc. A titre d’exemple voici les résultats d’essais menés en courbe par la Compagnie d’Orléans en 1866 sur un train de marchandises de 35 wagons remorqués à 25km/h

Livre Deharme et Pulin Matériel Roulant, Résistance des trains 1895 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

 Concernant la résistance de l’air dont les effets étaient identifiés comme agissant à l’avant, sur les parois latérales (notamment pour les parties saillantes), dans le corps du train (parties transversales) et à l’arrière (dépression avec effets tourbillonnaires), la formule retenue  pour la résistance sur la face avant correspondait à : un coefficient invariable pour une valeur donnée de la pression atmosphérique x Surface frontale (estimée en moyenne à 6m2) X vitesse en mètre par seconde au carré ; formule symbolisée par q SV2  (la vitesse devant être majorée en cas de vent contraire)

Mais les réflexions qui me semblent être les plus abouties sont celles qu’Hippolyte Parodi a développées dans la revue « La lumière électrique » en 1916. H. Parodi est un ingénieur bien connu dans le domaine ferroviaire et à qui l’on doit, pour une bonne part, l’électrification du réseau de chemin de fer.

Dans la première partie de cette étude, H. Parodi détaille les méthodes de mesure utilisées pour déterminer les efforts résistants à une vitesse donnée. Il en cite trois de la plus simple à la plus élaborée.

  • Méthode d’accélération ou de « retardation » qui consiste à mesurer un mobile (wagon, locomotive ou train) abandonné à lui-même sur une ligne en pente en alignement droit suivie d’un palier ou d’une rampe. Rapportées au temps, les mesures de variations de vitesse sous l’action des deux forces (pesanteur et résistance au roulement) permettent de calculer l’effort moteur et d’obtenir par différence la résistance au roulement (ces expériences sont décrites dans le RGCF de Juillet 1884)
  • Méthode du wagon dynamomètre. C’est la plus connue et autrefois la plus appliquée. Elle permet, en fonction du placement du wagon, de déterminer l’effort de traction grâce aux différents appareils de mesure dont est doté ce véhicule.
  • Méthode des laboratoires d’essais. Elle consiste à relier le crochet de la locomotive à un dynamomètre fixe, les roues de l’engin moteur tournant sur des galets montés sur des axes soumis à des couples variables au moyen de freins hydrauliques. A noter que la méthode du banc d’essais ne prend pas en compte la résistance de l’air ni le frottement des essieux porteurs.
Livre Locomotion moderne 1952 collection personnelle

L’étude se poursuit sur une trentaine de pages avec des dizaines de formules prenant en compte tous les paramètres envisageables. Ceux qui sont intéressés peuvent consulter l’étude dans les archives du CNUM, document « La lumière électrique Vol 34, 35, 36, 37 ». Vous pouvez cliquer sur ce lien pour voir la première partie vol 34. Les autres volumes sont à consulter en suivant. https://cnum.cnam.fr/pgi/fpage.php?P84.87/176/100/348/0/0 

Citons seulement les catégories de résistances qu’Hippolyte Parodi avait identifiées.

Résistance au roulement

Celle-ci est due au fait que le métal constituant la roue et le rail se déforme au contact l’un de l’autre sous l’effet de la charge. Notons que si les deux métaux étaient parfaitement incompressibles, il n’y aurait pas de résistance au roulement.

Représenté de façon schématique en accentuant l’enfoncement, la rotation ne se produira pas autour du point A mais autour du point B, là où commence l’enfoncement dont la hauteur maximale est représentée par le segment AC.

https://cnum.cnam.fr/ Etude H. Parodi parue dans La Lumière Electrique vol34

Si la flexion des rails joue un rôle important, le fléchissement élastique des traverses et du ballast semblait également devoir être pris en compte dans les calculs. Il en concluait, à juste raison, que la constitution de la voie (poids des rails, espacement des traverses, nature du ballast) et l’entretien de celle-ci (bourrage périodique des traverses) avait une influence sur la résistance au roulement.

A cela, s’ajoute bien évidemment le profil et le tracé de la ligne qui ont une forte incidence sur la résistance au roulement. En plus des rampes, les effets se font aussi sentir dans les courbes à faible rayon lorsque les boudins des roues viennent en appui et donc en frottement sur l’intérieur des rails. Les dispositifs « graisseur de rail » ont non seulement un effet anti usure des parties au contact mais, également, contribuent à réduire les résistances dues aux frottements. 

Autres résistances :

Hippolyte Parodi citait et étudiait les effets des résistances dues au frottements internes, aux frottements dans les fusées, au frottement de roulements et aux frottements dus aux mouvements secondaires. La lubrification et le graissage réduisent sensiblement les valeurs des coefficients de frottement. On verra un peu plus loin la force, exprimée en effort de traction, nécessaire pour vaincre ces différentes résistances.

Mais la partie la plus importante de son étude avait trait à la résistance de l’air. Là encore il déterminait avec des formules savantes quelle pouvait être la valeur de celle-ci, qu’elle soit frontale, latérale sur les parois du train ou en arrière. Il avait même recours, en tant qu’ancien officier d’artillerie de réserve, a des explications sur la balistique et notamment des effets que pouvaient avoir les formes des projectiles.

Sur cette résistance de l’air qui semblait être celle que l’on avait le plus de mal à mesurer avec précision, Charles Maurain, directeur adjoint des recherches scientifiques et industrielles, publiait en 4/1921 dans le Bulletin officiel de cette direction une synthèse des connaissances dans ce domaine qu’il enrichissait par son analyse plus complète de la composante du frottement de l’air sur les parois latérales.

Il notait, ce qui parait à prime abord évident, que le frottement de l’air sur la surface est d’autant plus faible que la surface du corps est bien polie. Le frottement correspondant alors à celui de l’air sur une gaine d’air adhérente au corps. Le résultat des mesures était transcrit par cette formule : F= 0,00032xSxU1,85 dans laquelle F correspondait à la résistance en kilogrammes-poids sur la Surface en mètres carrés pour une vitesse U relative exprimée en mètres par seconde avec une puissance inférieure au carré (1,85). Comparée à la résistance globale de l’air dont les multiples expériences (accélération en pente ou wagon dynamomètre) avaient permis d’en déterminer approximativement les valeurs (par déduction de la résistance totale), C. Maurain évaluait à 1/3 de ra (résistance de l’air) l’effet du frottement latéral.

Le tableau est basé sur un train de 7 voitures avec une motrice (rm = résistance de roulement et mécanique)

Bulletin Officiel de la Direction des recherches scientifiques et industrielles avril 1921 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

C. Maurain concluait son étude en souhaitant que des mesures sur maquettes soient réalisées en soufflerie afin d’affiner les données en vue d’en tirer des enseignements sur les modifications à apporter au matériel (carénage notamment).

L’expérimentation en soufflerie.

En 1923 des expérimentations ont été effectuées sur des maquettes au 1/20 de matériel des chemins de fer de l’Etat dont une locomotive Pacific 231, 1 tender et des voitures et fourgons. Ces essais ont eu lieu à la soufflerie de l’institut aérotechnique de Saint Cyr. Les modèles ont été construits en noyer avec l’apport de pièces métalliques. Cet ensemble mesurait 270 cm de longueur.

Recherches et inventions novembre 1923 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

En plus de cette représentation fidèle du matériel utilisé habituellement sur les trains express du réseau de l’Etat, il avait également recours, en vue de comparaison, à un modèle de train témoin constitué de quatre pièces de bois en forme de prisme de même gabarit et de même longueur avec un avant et un arrière arrondi de manière à optimiser l’aérodynamisme. Ces pièces pouvaient être soit juxtaposées, soit espacées de façon à pouvoir mesurer l’effet des césures créées. Il y avait aussi la possibilité d’effectuer des combinaisons de configurations en ajoutant des embouts arrondis entre les pièces. Les résultats devaient donner des indications en vue des modifications à apporter au matériel.

Les essais ont été menés au moyen d’une installation en forme de tunnel comportant un ajutage convergent suivi d’une chambre d’expérience de 6 mètres de long et de 2 mètres de diamètre et se terminant par un ajutage divergent au bout duquel se trouvait une hélice dont la fonction était de produire une aspiration de l’air. Les modèles étaient suspendus par des fils d’acier et maintenus dans le prolongement des uns et des autres par des tendeurs. Des instruments de mesure indiquaient les différents paramètres.

En vue de transposer les résultats sur les matériels en vraie grandeur, l’étude a retenu le coefficient k qui correspondait à la résistance R exprimée par les appareils de mesure en grammes sur la vitesse en mètre/seconde au carré V2. (kk = R/V2 est la valeur la plus pratique pour les comparaisons car elle varie peu avec la vitesse comme on peut le voir sur ce graphique https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58016699/f23.item.zoom).

Les principaux coefficients son repris ci-dessous.

Compte rendu hebdomadaire académie des sciences juillet 1923 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

On observe que le train témoin, aux formes optimisées (qualifié de fictif dans l’extrait ci-dessus), obtient des résultats 72% meilleurs que le train d’essai : 1-(0,57/2,045). Bien sûr, cette valeur d’amélioration était toute théorique car impossible à réaliser en pratique, mais cela donnait quand même une idée sur la marge de progression à réaliser. Les résultats détaillés sont ici https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58016699/f18.item.zoom

Pour transposer ces résultats aux matériels en vraie grandeur, comme les maquettes étaient au 1/20, il fallait tout d’abord multiplier par 202 soit 400. On a vu que k=R/V2 donc R =k X V2 qui était exprimé en « grammes-poids ». Les résultats devant être donnés en kilogramme on divisait 400/1000 =0,4.

La formule de résistance transposée était donc R = 0,4 x k x V2

Pour calculer la puissance nécessaire pour contrer cette force, il faut évaluer le travail en kilogrammètres (0,4 x k x V3) puis diviser par 75 pour avoir la traduction en chevaux (ou par 102 pour les kW). On a donc   (0,4 x k x V3)/75 0,00533kV3. D’où pour le train tel qu’il était représenté en maquette (1 loc+1tender+1voiture+1fourgon) = 0,00533 x 2,045 x V3 (pour V=20m/s soit 72km/h on a 0,00533 x 2,045 x20x20x20 = 87,2cv pour vaincre la résistance de l’air seule (non compris les autres résistances). On peut bien évidemment augmenter la composition du train en ajoutant les coefficients correspondant aux types de matériel.

Voici un tableau récapitulatif

Recherches et inventions novembre 1923 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

De relativement marginale à faible vitesse, la résistance de l’air commence à être significative à 20m/s et devient extrêmement importante aux vitesses élevées : à 144km/h pour un train de 10 voitures +1 fougon + sa locomotive et son tender, 1805 cv étaient nécessaires. Je ferai un calcul un peu plus loin sur le train aérodynamique du PLM.

CH. Maurain a calculé par la suite l’effet du coupe-vent et du fuselage arrière en appliquant les coefficients correspondants. Je ne m’attarde pas là-dessus car les coupe-vent utilisés pour l’essai n’étaient pas du tout optimisés d’où un gain faible d’une centaine de chevaux à 90km/h.

A la conclusion de son étude aérodynamique, CH. Maurain préconisait de concentrer les efforts de recherche pour le développement des nouveaux matériels sur des carters à apposer sur les formes saillantes des locomotives et sur le recouvrement du haut du tender par un toit afin de limiter les tourbillons qui se produisent dans l’espace vide au-dessus de celui-ci et qui augmentent la résistance de l’air de la locomotive. Il évoquait également les parois latérales des voitures qui devaient être aussi lisses que possible et il préconisait de réduire les lacunes entre les différents éléments du train.

A noter que l’on retrouvait la plupart de ces préconisations une trentaine d’années avant dans ce brevet américain d’un train caréné en 1893 (carénage avant, latéral, arrière et réduction des lacunes).

Bulletin PLM juillet 1935 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

En 1925 le carénage avant est amélioré et prend la forme du paraboloïde de Prandtl sur cette 241 A du PLM.

Bulletin PLM site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Mais c’est dans les années 30 puis 40 que l’on verra de véritables carénages équiper les locomotives.

Commençons par cette Super-Pacific Nord dont la maquette au 1/10 avait été testée en 1935 à l’institut aérotechnique de St Cyr. Comme l’avait auparavant constaté CH. Maurain, de nombreux tourbillons avaient été observés au voisinage des parties saillantes avec comme corollaire des dépressions préjudiciables à l’aérodynamisme.

Les formes principales de la carène avaient été réalisées aux ateliers de machines de La Chapelle. Afin de ne pas gêner les visites et les observations des différents mécanismes, des trappes avaient été aménagées en différents points. La disposition particulière des pare-fumées contribuait à réduire sensiblement la résistance à l’avancement.

Revue Générale des chemins de fer 12 1936 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Le dessus de la locomotive disposait de capots pour masquer en partie les protubérances comme la cheminée, les dômes vapeur et sablières.

Revue Générale des chemins de fer 12 1936 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Enfin le tendeur était aussi équipé d’un carénage qui montait au niveau de l’abri de la locomotive afin d’éviter le vide au-dessus de celui-ci qui, comme le disait CH. Maurain, était générateur de tourbillons.

Revue Générale des chemins de fer 12 1936 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

La 3.1280 devait être la première d’une série à être transformée mais en fait elle a été la seule à revêtir cet ambitieux carénage qui avait un petit air américain avec des décorations inhabituelles sur les chemins de fer français. Sa première circulation officielle a eu lieu le 11 octobre 1936 pour l’inauguration du service des ferry-boat de Dunkerque à Douvres. Mais c’est le 19 Juillet 1938 que sonna l’heure de gloire de la 3.1280 lorsque, parée de ses plus beaux atours, la Super-Pacific, peinte en bleu roi, ornée de filets d’or et arborant des drapeaux français et anglais, a remorqué le train du souverain britannique Georges VI en voyage officiel à Paris. Pour l’anecdote, le train était composé de voitures pullman, d’une luxueuse voiture salon et d’un wagon restaurant où a été servi un repas gastronomique que je vous laisse apprécier :  Cantaloup (variété de melon) frappé au Xérès, Suprême de soles grillées à l’anglaise sauce béarnaise, Poularde de Bresse ambassadrice flanquée de cailles, Chaud-froid de filet de bœuf Régence, Salade Trianon, Ananas glacé aux fraises des bois, petits fours et corbeilles de fruits.

Sachez aussi que la conduite de la locomotive n’a pas été assurée par des mécaniciens ordinaires mais par deux Inspecteurs Divisionnaires, un du réseau du Nord et l’autre du réseau de l’Ouest.

L’aérodynamique des autorails

Si la problématique de la pénétration dans l’air est la même pour les autorails que pour les locomotives, elle se pose avec beaucoup plus d’acuité pour les premiers nommés. En effet, si une surface frontale d’un autorail est à peu près la même que celle d’une locomotive, les conséquences ne sont pas du tout semblables. Faisons un calcul simple : prenons un train de 500 tonnes à la vitesse de 100km/h. La résistance de l’air sur la face avant sera pour une locomotive, en utilisant les coefficients de CH. Maurain, de 0,4x k x V2 (en m/sec) soit avec un coef de 1,38 (loc isolée) 0,4 x 1,38 x 27,52 = 417 kilos soit 0,83kg la tonne.

Pour un autorail aux formes non optimisées d’une quarantaine de tonnes, prenons le coefficient du wagon isolé (0,985). On aura 0,4 x 0,985 x27,52 = 298 kilos soit 298/40 = 7,4 kg la tonne. La part de la résistance de l’air sera proportionnellement plus importante d’où l’importance d’optimiser ce paramètre.

C’est pourquoi, dès 1931, la Compagnie des chemins de fer du Midi a eu recours au tunnel aérodynamique de l’aviation d’Issy-les-Moulineaux pour faire des essais d’aérodynamisme sur des maquettes d’autorail en testant différentes formes et profils. Ci-dessous le schéma du tunnel d’Issy dont le principe de fonctionnement est identique à celui que nous avons vu précédemment.

Revue Générale des chemins de fer 7 1932 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Les essais ont porté sur 4 formes de maquettes placées dans un courants d’air se déplaçant à 28mètres /sec (101km/h).

Revue Générale des chemins de fer 7 1932 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Les 3 premières avaient des extrémités symétriques comme la plupart des autorails utilisés habituellement en raison du besoin de réversibilité pour faciliter l’exploitation. La quatrième (D) avait des formes optimisées pour les vitesses de 130km/h et au-dessus mais n’était pas réversible.

La maquette A, qui était à l’échelle 3/100, s’est avérée mal adaptée par rapport à la résistance des fils de suspension ce qui a faussé les résultats. Les tests se sont donc poursuivis uniquement sur les trois autres maquettes à l’échelle 65/1000 soit un peu plus du double de la maquette A

Les résultats ont été les suivants :

Revue Générale des chemins de fer 7 1932 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

La maquette B qui était assez proche des formes de l’autorail Bugatti offrait une résistance de 144kg à 100km/h et de 312 à 150km/h. Cet autorail a été décrit ici : https://cheminot-transport.com/2021/02/l-autorail-bugatti-ou-le-levrier-sur-rails.html

agence Meurice 1933 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Je ne m’attarde pas sur la maquette C qui n’était qu’une hypothèse d’école tant elle se serait avérée malcommode à utiliser si elle avait dû être construite en grandeur réelle.

Quant à la maquette D dont les formes rappelaient le fuselage et le cockpit d’un avion, elle a obtenu les meilleurs résultats avec respectivement 42 et 93 kg à 100 et 150km/h.

On peut penser que les TAR 34 et 36 qui sont sortis quelques années après se sont inspirés des résultats de cette étude. Ils ont été décrits ici : https://cheminot-transport.com/2021/05/les-rames-automotrices-tar-34-et-tar-36.html

Unknown authorUnknown author, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons

Une fois ajoutées les résistances au roulement, on pouvait retrouver les valeurs totales dans le tableau récapitulatif suivant.

Revue Générale des chemins de fer 7 1932 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Dans le tableau ci-dessus, la résistance au roulement a été exprimée pour un autorail léger de 12 tonnes munies de boites à rouleaux ce qui correspond à environ 1,3kg / tonne. A titre de comparaison, la Micheline électrique avait une résistance au roulement de 11kg la tonne. Cela était dû aux pneus mais aussi aux frotteurs de prise et retour courant. Je l’ai décrite ici : https://cheminot-transport.com/2021/06/l-automotrice-electrique-michelin-type-136.html

Le train aérodynamique

On voit qu’après toutes ces études, l’étape la plus attendue était celle où un train adopterait toutes les préconisations en résultant. Ce fut le cas en 1935 lorsque le PLM mis en service son train aérodynamique. Je l’ai décrit en détail ici https://cheminot-transport.com/2021/07/le-train-aerodynamique-du-plm.html

Voici la locomotive 221 A carénée avec ses trappes de visite ouvertes.

Meccano Magazine juin 1937 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Comme la locomotive, le tender revêtait un carénage avec des jupes aux 2/3 des roues.

Meccano Magazine 6 1937 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Les voitures bénéficiaient d’un carénage de la partie inférieure avec portes de visite au droit de chaque roue. Des soufflets en caoutchouc assuraient la continuité aérodynamique de la rame et chacune des extrémités avait reçu une forme profilée comme on peut le voir sur la photo suivante.

Bulletin PLM juillet 1935 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

 

Cette rame avait bien entendu été testée afin de mesurer l’apport du carénage en parallèle à un train plus classique. La comparaison avait été effectuée sur le même parcours et avec le même tonnage. Un autre test avait porté sur le seul apport d’une locomotive carénée en tête d’un train ordinaire. Le premier tableau intègre uniquement l’effet du carénage sur la seule locomotive et son tender.

RGCF 12 1935 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Le gain de puissance selon la formule indiquée ΔP = 95 x 10-6 x V3 est d’environ 280 chevaux. Par curiosité, en employant la même formule mais en calculant pour 200km/h on peut en déduire un gain de 760 chevaux.

Si on intègre le profilage de la rame, la formule n’est pas la même car la résistance de l’air a une action moindre entre les deux rames (carénée et non carénée). Pour la seule rame elle était de ΔP = 68 X10-6 x V3

Le graphique ci-dessous montre que le gain total dépassait 400 chevaux.

RGCF 12 1935 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Présentés en lecture directe sous forme de tableau, les résultats des essais ont été les suivants.

RGCF 12 1935 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Les années 1940

La période de la guerre a marqué un ralentissement bien compréhensible dans la recherche de la performance aérodynamique des trains.

Toutefois de nouveaux carénages ont fait leurs apparitions dès le début des années 40. Je ne vais pas respecter l’ordre chronologique mais plutôt celui qui relève de mes préférences.

Tout d’abord celle que je considère comme la plus esthétiquement réussie, la 232 U1 surnommée « la Divine ». On doit à Marc de Caso cette réalisation comme celle qui suit.

Bruno Corpet (Quoique) scan et restauration tirage ancien (collection personnelle, archive Corpet-Louvet), CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons

Citons ensuite cette 232 R parfaitement carénée. Celle dénommée 232 S était à peu près équivalente.

https://omeka.numistral.fr/s/numistral/item/84074

La locomotive 231 -726 du PO Midi avait aussi fière allure avec ce carénage locomotive + tender.

PO_231_726_carénée old image 1938, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

La suivante a eu son aérodynamisme amélioré en vue de tracter la rame Michelin sur pneumatiques. Il y en a eu plusieurs de ce type qui ont reçu cet aménagement. Ici la 230 K 248.

SNCF_Class_230_K 248 Tangopaso, Public domain, via Wikimedia Commons

Certaines ont reçu un carénage « Huet » comme cette 230 Etat photographiée en 1937. Ce nez proéminent à l’esthétisme discutable était une réponse aérodynamique plutôt atypique.

Sous un autre angle, elle parait un peu moins « éléphantesque ». Encore que !

GAQM avec l'autorisation de Joël Lemaure

Cette 230-590 des chemins de fer de l’Etat reçue en 1937 un carénage assez évolué intégrant le tender en vue de tracter des trains rapides.

RGCF septembre 1940 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Une autre belle réalisation est la 231- 761 que vous pouvez voir dans cette rétrospective sur youtube https://www.youtube.com/watch?v=92x9BnfUQtQ

Terminons par ces deux dernières locomotives qui comme toutes les autres présentées ont été décrites sur mon site  https://cheminot-transport.com/

Locomotive 232 P à haute pression (timbre à 60 Hpz)

Loco-Revue Nr 36H, März 2012, Public domain, via Wikimedia Commons

Locomotive à turbines 232 Q1.

Revue Générale des chemins de fer janvier 1941 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Les années 1950

Quand on voit cette rame allemande de 1953 mue par 4 moteurs Man de 160cv et destinée aux parcours de nuit, on ne peut que constater les progrès de l’aérodynamisme. Qui croirait que ce tain a 70 ans ?

La Vie du Rail Notre Métier 29 juillet 1953 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

Je vais terminer cette rétrospective avec le record du monde de vitesse à 331 km/h de 1955 que j’ai largement décrit ici  https://cheminot-transport.com/2023/02/record-du-monde-de-vitesses-en-1955-a-331km/h.html

Je vais me limiter à montrer quelques vues des aménagements des motrices et des véhicules.

CC 7107 après ajout du carénage en atelier et avant peinture. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail

 

Carénage de la CC 7107 et soufflet extérieur avec la première voiture. Publiée avec l’aimable autorisation de DocRail
Appendice arrière de la dernière voiture avec son poste de pilotage pour refoulement de la rame. Publiée avec l’aimable autorisation de Doc Rail

Conclusion

Si vous avez été suffisamment persévérant pour arriver jusqu’au terme de cet article un peu long, vous méritez que je vous fasse un court résumé récapitulatif en me basant sur un article à fonction didactique paru dans la Vie du Rail Notre Métier d’avril 1950.

La résistance à l’avancement varie avec la vitesse mais aussi avec la catégorie des véhicules.

Ce tableau donne les indications sur l’effort de traction en kg nécessaire pour faire rouler 1 tonne à une vitesse indiquée sur l’axe de l’abscisse. On voit par exemple que pour faire avancer un wagon vide de 12 tonnes (catégorie G40 par exemple) en palier il suffit de 12 x2,5kg =30 kilos. Tout cheminot, qui a un peu d’expérience de terrain, confirmera que ce type de wagon peut être poussé par la seule force de l’homme sous réserve que la voie ne comporte pas de déclivités ni de courbes de faible rayon et, bien évidemment, après avoir purgé le système de frein à air au moyen de la tirette correspondante.

La Vie du Rail Notre Métier avril 1950 site Gallica https://gallica.bnf.fr/

En rampe, la règle est très simple, il faut ajouter autant de kilos par tonne que de mm/mètre que comporte cette déclivité.

Reprenons le cas de notre wagon vide, dans une rampe de 5mm/mètre, l’effort de traction sera de (2,5+5) x12 = 90kg. Il faudra dans ce cas se mettre au minimum à deux pour le faire avancer.

Si en plus de la rampe, on se trouve dans le cas où la gare comporte une courbe de 150 mètres de rayon, cela équivaudra à une rampe fictive de 6mm/mètre. L’effort de traction nécessaire sera dans ce cas-là de : (2,5+5+6) x12 = 162 kg. Le mieux sera alors d’aller chercher le locotracteur !

Dans ces exemples, on ne parle pas de la résistance de l’air qu’il faudrait affronter en présence d’un vent contraire plus ou moins violent. Sachez que j’ai été le témoin, dans une gare où je travaillais, d’un wagon mis en mouvement (on dit en dérive au chemin de fer) par la seule force du vent. Ce wagon avait été purgé et déplacé par le destinataire pour le mettre à quai de déchargement. En pareil cas, il faut le caler par une cale anti dérive ce qu’il n’avait pas fait. J’ai eu donc la surprise de voir passer devant mon bureau un wagon roulant à 7 ou 8 km/h qui se dirigeait droit vers le taquet qui protégeait la voie principale. J’ai eu tout juste le temps de prendre une cale anti dérive et de caler le wagon avant qu’il ne déraille.

Maintenant que vous avez suffisamment de données, vous devez pouvoir me dire si un vent à 10m/seconde (36 km/h) était suffisant pour mettre en marche ce wagon qui se trouvait sur une voie en alignement et en palier.

Je vous donne la réponse que vous avez dû sûrement trouvée.

On prend le coefficient d’un wagon isolé figurant dans les résultats de CH. Maurain sur l’expérience des maquettes qui est de 0,985 (j’aurais pu aussi utiliser une formule utilisant la surface frontale du wagon). Je reprends la formule indiquée plus haut dans le texte : 0,4 x 0,985 x 102 = 39,4 kg. Le vent à 10m/seconde soufflait donc suffisamment fort pour déplacer ce wagon de 12 t puisqu’un effort de traction de 30 kg était suffisant pour le mettre en mouvement comme nous l’avons vu précédemment.

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