30 Mars 2021
image d'illustration extrait modifié photo d' Alf van Beem, CC0, via Wikimedia Commons
Sources RGCF 6/1966, 5/1967, 02/1968, 10/1968, 12/1968, 4/1970, 6/1970, 9/1970, 10/1970, 6/1971, 1/1972 site Retronews.
L’Aquitaine
Le 29 mai 1967, circulait le premier train Aquitaine entre la Vallée de la Garonne et Paris Tolbiac. En fait, il s’appelait « Aquitaine Express » et transportait des fruits et des légumes à la vitesse de 120km/h dans des nouveaux wagons aptes à cette vitesse. Trois trains de messageries circulaient sur la SNCF dans des conditions identiques : Le « Provence Express », le « Fret-Express-Méditerranée » et l’ « Aquitaine Express ».
Ce n’est pas de ce dernier train dont nous allons parler dans ce qui suit, mais de son petit frère né 4 ans après lui qui, à la place des navets et des carottes, transportait confortablement les voyageurs à 200km/h.
Pour réaliser ce saut qualitatif vers les 200, il fallait que des aménagements soient apportés au matériel (locomotives et voitures) mais aussi à la voie et à la signalisation.
1) De nouvelles locomotives et de nouvelles voitures
Lors de son lancement, le nouveau train TEE, l’Aquitaine, ne se contentait pas de demi-mesures. Tout était nouveau : la puissante locomotive CC6500 et les superbes voitures « Grand Confort ».
La CC6500
Seules les grandes lignes de cette locomotive qui m’a fait rêver étant jeune vont être données, le sujet étant, avant tout, consacré à l’Aquitaine.
La CC6500 à courant continu et sa sœur, la CC21000 en version bicourant, appartenaient à la même famille de locomotives. Il en est de même de la CC14500 qui était destinée à la traction sous 25kV mais qui est restée à l’état de projet. Le fait d’aligner ces 3 nombres 6500, 14500 et 21000 me fait penser à la règle que l’on m’avait apprise (nombre de la série à courant continu + celle à courant alternatif = le nombre de la série bicourant) et que je croyais, jusqu’à tout récemment, savamment réfléchie alors qu’elle n’est, en fait, que le fruit du pur hasard. Un article de la revue générale du chemin de fer de février 1968 sur les principes de la numérotation des locomotives nous donne la version officielle.
Comme quoi l’adage bien connu « le hasard fait bien les choses » se trouve dans ce cas là vérifié !
Revenons à la CC 6500 et à ses caractéristiques principales. D’une longueur de 20,19m et d’une masse de 114t, elle développait une puissance de 8000 ch. J’utilise cette unité de puissance à la place du kW car selon les sources cela va de 5750 à 6000 kW en passant par 5800 et 5900 ! Une explication peut être donnée par le fait que la conversion ne se fait pas exactement sur la même base selon les pays (en France 1ch équivaut 736W, alors qu’1 HP équivaut 746 W en Angleterre et aux USA).
Grâce à son double rapport d’engrenage à 100 et à 220km/h, elle était apte à remorquer les trains les plus rapides de l’époque. Aux essais la CC6500 avait même était poussée à 280km/h.
Lors des marches de tests avant la mise en service de l’Aquitaine, la CC6509 a remorqué une rame de 500t sur le trajet Paris Bordeaux en 3h35, soit une moyenne de 163km/h et une vitesse max limitée à 210 km/h.
Les voitures "Grand confort"
Les nouvelles voitures GC ont fait leur apparition sur l’Etendard au mois de mai 1970. Construites par les usines de Dietrich à Reichshoffen et commandées à 90 exemplaires, elles se déclinaient, dans un premier temps, en trois versions de première classe : A8tu (couloir central), A8u (couloir latéral) et A4Dtux (fourgons générateurs +couloir central). La livrée extérieure faisait appel à un mélange de couleur que l’on peut décomposer en 1 couleur rouge encadrée par deux bandes orangées aux niveaux des fenêtres sur un fond gris métallisé de la caisse. Une bande rouge était reprise sur la jupe et le pavillon était gris.
Longue de 25,5m, elles avaient un gabarit réduit dans la partie supérieur qui leur donnait une forme légèrement ovoïde. Cette particularité trouvait sa justification dans la perspective d’un équipement ultérieur avec un dispositif de compensation partiel d’insuffisance de dévers (vérins sous le châssis asservis aux accélérations transversales). L’inclinaison envisagée était de 5° sans que cela engage le gabarit. Je ne connais pas la raison qui a conduit à ne pas retenir cette solution, mais au vu des résultats que j’ai pu lire sur les essais de « pendulation », ceux-ci s’étaient avérés très efficaces pour le franchissement en vitesse des courbes. Le ressenti de voyageurs témoins avait également été recueilli, c’est peut-être à ce niveau qu’un certain inconfort a pu être décelé.
Le profil ovoïde de la partie haute de la caisse se traduisait par une légère inclinaison des parois plus visibles dans les voitures à compartiments. L’intérieur comportait des aménagements de qualité comme les portes vitrées des compartiments, les stores vénitiens à commande électrique, l’inclinaison à deux positions du dossier-assise, des appuie-têtes réglables et des portes d’intercirculation à ouverture automatique au moyen d’un tapis contact, la fermeture se produisant quelques secondes après.
Les portes d’accès avaient les caractéristiques suivantes :
Les voitures à couloir latéral comportaient 48 places. Les 8 compartiments avaient 2,17m de long sur 1,89 de large et le couloir était large de 70 cm
Les voitures à couloir central comportaient 46 places pour les A8tu et 21 places pour les A4Dtux. La répartition des places se faisaient sur huit travées de 2,14 de long, le couloir avait quant à lui 0,60 de large. Les fauteuils possédaient une assise et un dossier offrant de multiples possibilités de réglage et une tablette rabattable permettait la restauration à la place. Deux petits locaux réservés aux agents de la CIWLT assurant le service de restauration se trouvaient à l’extrémité de la voiture (des voitures restaurant et Bar ont également été construites).
Les voitures étaient sonorisées et disposaient de l’air conditionné. L’énergie nécessaire était fournie par un groupe générateur situé dans le fourgon A4Dtux. Le groupe était constitué :
- d’un moteur diesel Poyaud-Grossol à 12 cylindres en V suralimenté développant 485kW soit environ 650 ch.
- d’un alternateur Leroy de 580kVA.
Enfin, les bogies étaient de type Y 28F dérivés des bogies Y 28E qui équipaient les voitures du Mistral. Un frein à air électropneumatique à haute puissance assurait le freinage. Il était complété par un frein électromagnétique qui n’entrait en action que lorsque la pression dans la conduite générale descendait sous 3kg/cm2. Son action prenait fin lorsque la première condition suivante était atteinte : soit une vitesse inférieure à 50km/h, soit une pression dans la conduite générale supérieure à 3,4 kg/cm2.
2) Des adaptations à la voie et à la signalisation.
Sur cette relation où la concurrence avec l’avion était très vive, des améliorations des temps de parcours étaient la seule réponse possible que le train pouvait apporter à la clientèle. D’après des études effectuées auprès d’elle, seul un temps de parcours de l’ordre de 3h30 était de nature à lui faire préférer le train. La Sncf s’était donc lancée dans des travaux importants afin de relever la vitesse sur pratiquement tous les tronçons entre Paris et Bordeaux. Le RGCF de juin 1970 reprenait l’évolution des vitesses limites que j’ai résumée dans le tableau ci-dessous.
Parcours |
Vitesse au 1/01/1967 |
Vitesse après travaux |
Paris à Brétigny |
120 |
140 |
Brétigny à Etampes |
130 |
150+140+150 |
Etampes gare |
120 |
130 |
Etampes Les Aubrais |
140 |
200+160+200 |
Les Aubrais gare |
90 |
110 |
Les Aubrais Blois |
140 |
200 |
Blois Gare |
110 |
120 |
Blois Saint Pierre des Corps |
140 |
150+200+150 |
Saint Pierre des Corps gare |
90 |
100 |
Saint Pierre Châtellerault |
140 |
160+200 |
Châtellerault gare |
140 |
140 |
Châtellerault Poitiers |
140 |
190+200+160 |
Poitiers gare |
120 |
130 |
Poitiers Ruffec |
130 |
160+200+170+200+140 |
PK410 à Angoulême |
140 |
160+200+190+150 |
Angoulême gare |
100 |
130 |
Angoulême à Pk 475 |
140+130 |
200+180+150 |
Pk 475 à Libourne |
140+120+140 |
200+170 |
Libourne gare |
120 |
140 |
Libourne à Pk 576 |
140 |
160+200+180+150 |
Arrivée sur Bordeaux |
90 |
110 |
Compte tenu du tracé de la ligne qui se prêtait bien aux grandes vitesses (contrairement au Capitole dans sa partie sud), seules trois séries de courbes ont dû faire l’objet de travaux d’amélioration (Suèvres, Saint-Saviol, et Champagne au Pk507).
L’autre partie importante des aménagements a concerné la signalisation. La ligne a été équipée du Block automatique lumineux sur la partie manquante de Saint Benoît à Coutras. D’autre part, l’équipement en préannonce (feu vert clignotant) des sections de ligne à vitesse supérieure à 160 a dû être effectué. Ce dispositif était complété en cabine (signalisation d’abri) par une indication acoustique et optique. Un contrôle de vitesse venait parachever l’équipement. Ces différents systèmes, comme ceux relatifs aux aménagements des PN et des zones d’approche, ont été décrits dans l’article sur le Capitole https://cheminot-transport.com/2021/03/lorsque-le-capitole-est-passe-a-200km/h.html .
Enfin, les caténaires ont été adaptées pour résister aux efforts mécaniques subis à 200km/h et pour assurer un meilleur captage du courant aux grandes vitesses
3) Circulation de l’Aquitaine
Au service d’été 1971, l’Aquitaine s’élançait sur cette plateforme modernisée et performante qui lui permettait de relier Paris à Bordeaux en 4 heures soit à 145km/h, meilleure moyenne commerciale française et européenne.
Une fois les travaux complètement achevés, le train TEE Aquitaine gagnait encore une dizaine de minutes sur son parcours portant la moyenne à plus de 150km/h.
L’évolution des temps de parcours et des vitesses commerciales avant la circulation de l’Aquitaine est reprise dans le tableau suivant :
Après une carrière d’un peu mois de vingt ans, l’Aquitaine a dû s’effacer devant le TGV Atlantique et ses 300 puis 320 km/h en vitesse de pointe (2017). En 2h04 aujourd’hui pour les TGV les plus rapides, le temps de parcours du premier Aquitaine a pratiquement été réduit de 50% grâce, en partie, à une infrastructure nouvelle et dédiée à la grande vitesse.