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Cheminot Transport

Description et fonctionnement des triages

Image d'illustration Image par Michael Krämer de Pixabay 

Les Triages

Ces immenses gares de près de 4 kilomètres de long sur  400 à 1000mètres de large faisaient la fierté du chemin de fer des 19 et 20ième siècle (disons jusqu’à la fin des années 1980).

Du plan de voies en déclivités du début jusqu’aux débranchements pilotés par ordinateur, ces infrastructures démesurées ont vécu 100 ans d’expansion continue de trafic aux cours desquels plus d’un milliard de wagons ont été triés. En France, le plus important triage, celui de Woippy,  avait une activité journalière de plus de 4000 wagons dans les années 1970, une des périodes les plus fastes avec les années 60. Aujourd’hui, le même triage en traite moins de 1000 et on ne compte plus le nombre de triages fermées. Il n’en resterait que 5 qui trieraient par la gravité (bosse ou butte de débranchement).

Quelle a donc été l’évolution qui a conduit au déclin du trafic par wagons isolés et partant, à la disparition progressive des triages ?

Le fret ferroviaire a vécu longtemps en situation de quasi monopole avant que le trafic routier ne prenne de l’ampleur et ne devienne, d’abord le concurrent n° 1, avant de passer au stade du principal démolisseur, certains utilisant même le terme de fossoyeur. Lorsque le fret du chemin de fer a dû évoluer dans l’économie générale des transports, il n’a pas su ou pu s’adapter et dès lors, n’a cessé de perdre des parts de marché  ce qui l’a entrainé dans une spirale mortifère.

Si le  fer avait des atouts comme son réseau qui irriguait le territoire et son mode de traction économe en énergie et respectueux de l’environnement, il n’avait pas, vis-à-vis de la route, la souplesse qu’elle offrait et la rapidité qui en découlait. Ajouter à cela des coûts d’exploitation bien supérieurs et l’obligation du financement et de l’entretien de son réseau et de ses infrastructures. La taxe à l’essieu, instituée en 1968 pour les camions de plus de 16t, n’a compensé qu’en partie les distorsions de concurrence existantes.

 Ce nouveau mode de transport alternatif, plus rapide et moins cher, ne pouvait que s’imposer face au mode historique qui ne pouvait s’adapter, sa nature et son mode de fonctionnement ne le lui permettant pas.

Dans un premier temps, le fret ferroviaire a tout de même cherché à s’adapter en baissant ses prix de vente. Bien vite, ce déséquilibre entre le prix de revient et le prix de vente a creusé un déficit d’exploitation entraînant de lourdes pertes. Face à cette situation, il a été décidé de réduire les dépenses sur les parties de trafic les plus déficitaires. Et ce sont les gares des petites lignes desservies par les dessertes terminales qui en ont fait les frais. En fermant ces gares au trafic du wagon isolé, on condamnait aussi les embranchements particuliers (ITE est l’appellation plus moderne : installation terminale embranchée) situés sur les lignes où la desserte n’était plus assurée, sauf si l’ITE avait un trafic important qui lui permettait d’expédier des trains complets, ou trains entiers si l’on veut utiliser une terminologie plus récente.

Simultanément, un nouveau schéma de transport des wagons isolés se voulant plus performant tant sous l’angle économique qu’organisationnel a été mise en place autour d’environ 300 gares principales fret (GPF).  Pour raccourcir les délais, des trains directs entre GPF ont été créés réduisant d’autant les passages dans les triages.

En 2004, un plan de la dernière chance, dit Plan Véron du nom du responsable de sa mise en œuvre, a été tenté pour sauver le fret. Deux ans après, le constat était sans appel, le fret continuait à perdre de l’argent et le sort du wagon isolé était sérieusement et durablement compromis.

Aujourd’hui de nouveaux concepts comme les OPF (opérateurs ferroviaires de proximité) voient le jour afin d’apporter une réponse nouvelle au transport de courte distance et de faible tonnage par le fer.

Au fil des ans, depuis une quarantaine d’années, le nombre de wagons isolés n’a cessé de diminuer et en corolaire l’activité de tri. Là où le triage était le rouage essentiel à l’organisation optimale du trafic, les différentes mesures prises, face au déclin du fret, n’ont eu de cesse que de le marginaliser en le court circuitant (trains entiers, GPF etc.)

Avant qu’il ne disparaisse complètement, présentons cette infrastructure ferroviaire complexe dans laquelle j’ai eu le plaisir de travailler lors des mes stages comme « Chef formation » puis « Chef de PCT ».

Tout d’abord, précisons qu’il a existé deux types de triage spécialisés en fonction de la nature du trafic traité. Le régime ordinaire (RO) pour les wagons acheminés par des trains de marchandises limités autrefois à 80 km/h et le régime accéléré (RA) pour les wagons acheminés par des trains de messageries à 100km/h. D’autres trafics de marchandises plus rapides existent ou ont existé à 120km/h, 140km/, 160km/h et même 200km/h avec emprunt d’une LGV la nuit.

Avant de décrire les caractéristiques d’un triage, rappelons les principes d’acheminement des trains de marchandises comportant des wagons isolés. On parle de wagons isolés par opposition aux wagons des trains entiers destinés à une même destination ou à ceux de l’organisation spéciale, les conteneurs par exemple.

Les wagons isolés étaient expédiés au départ des gares (débords, voies des quais, des halles ou d’emplacements concédés) ou bien des embranchements particuliers (ITE) en gare ou en pleine voie. L’embranchement particulier n’était pas situé dans le domaine public mais sur un terrain de particulier sur le lieu de production de son entreprise.

La collecte des wagons étaient effectués par des trains de desserte assurant une fonction de collecte ou de livraison en fin de parcours. Ces trains avaient une pour mission de regrouper le trafic issu des petites gares vers une gare plus importante ou vers un triage.

Une fois arrivé au triage, les wagons étaient triés et groupés concurremment avec ceux provenant des trains inter triages  de manière à former d’autres trains à destination d’un autre triage.

Arrivés au triage le plus proche de leurs points de livraison, les wagons étaient à nouveau triés et classés par lots de façon à constituer des trains de desserte terminale dont les wagons étaient disposés dans l’ordre des gares rencontrées. Afin de simplifier et d’accélérer le classement des trains de desserte, une méthode dite de « formation simultanée » avait été développée à la fin des années 30. Comme elle nécessite un minimum d’explications et d’exemples pour mieux la comprendre, elle fera l’objet prochainement d’un article dédié.

Description d’un triage type

Un triage est composé de 3 grands chantiers :

- le faisceau de réception

- le faisceau de Débranchement/ Formation

- le faisceau d’attente au départ.

On trouve dans la plupart des cas un dépôt ou annexe et un chantier d’entretien pour les wagons réformés et devant être réparés ;

On peut schématiser le triage et ses liaisons de la façon suivante :

 

Un triage est situé près d’une voie principale à laquelle il est relié pour la réception des trains ainsi que pour le départ.

1) Le faisceau de réception

L’arrivée des trains peut s’effectuer de deux façons :

- soit par entrée directe, la machine de route étant évacuée vers le dépôt (cas de l’entrée Sud dans le schéma ci-dessus) ou vers le faisceau d’attente départ par la voie « circulation machine »

- soit par entrée sur une voie de circulation avec réception dans un des deux tiroirs (cas de l’arrivée Nord). La machine de route est évacuée par les aiguilles de fond du tiroir vers le dépôt à moins qu’elle rejoigne le faisceau d’attente départ par la voie « circulation machine ». On peut aussi utiliser la machine de route pour refouler le train dans le faisceau.

C’est sur le faisceau de réception que les trains sont préparés et démaillés avant débranchement. Le démaillage est l’opération qui consiste à supprimer les liaisons entre les wagons (organes de frein) et à desserrer les tendeurs d’attelage.

2) La bosse ou butte de débranchement

Les triages peuvent disposer d’une ou deux bosses. Dans ce dernier cas, il y en a une à chaque extrémité du faisceau débranchement/formation. La bosse peut comporter une ou deux voies. On peut trouver une butte de hauteur plus haute utilisable en hiver et une plus basse utilisable en été (différence de la résistance au roulement des wagons entre l'été et l'hiver)

Les bosses ou buttes ont des caractéristiques qui tiennent aussi compte des conditions de vent sur le secteur. Cela peut paraitre surprenant pour le néophyte mais un vent contraire aura un fort effet sur les conditions de roulement du wagon débranché à la gravité. La hauteur habituelle de la bosse est d’environ 4 mètres. La déclivité de la pente est au départ plus accentuée (de l’ordre de 50 mm/m sur une trentaine de mètres) pour favoriser la prise de vitesse du wagon et assurer un espacement suffisant avec le suivant. La déclivité s’infléchit par la suite pour être moins importante au niveau de la zone de freinage et des aiguilles.

La moyenne de débranchement des wagons est de 8 à 10 wagons par minute. Elle est plus élevée dans les triages équipés du « tir au but ». Nous en dirons un mot plus avant.

Lorsque la rame à débrancher est refoulée en bosse par la machine de manœuvre, un agent muni d’une perche se tient en amont de la partie en montée et décroche le tendeur du wagon ou de la coupe qui va basculer sous l’effet de la gravité. Dans la phase de montée en butte, les tampons sont comprimés et les attelages préalablement détendus sont pendants d’où une plus grande facilité pour les désaccoupler.

3 Le faisceau débranchement / formation

Son rôle est de permettre le tri des wagons en les répartissant par voies affectées à une destination. Nous verrons dans un autre article que la « formation simultanée » permet en outre le classement des wagons. C’est sur ce faisceau qu’elle s’effectue sur des voies dites de sous-triage.

Le faisceau est composé de plusieurs pinceaux de voies, le nombre total de celles-ci est variable mais en général on retrouve un multiple de 8 : 32, 40, 48 soit 4, 5 ou 6 pinceaux.

Le profil des voies sur les pinceaux est en pente de faible déclivité. De 7 à 8mm/m sur les têtes de faisceau, il n’est plus que de 1 à 2mm/m par la suite (sauf en bout de voie où il peut y avoir une légère contrepente) de façon à éviter des accostages trop brutaux entre wagons. On peut considérer qu’il n’y a pas de choc si l’accostage se fait entre 1 et 3km/h du fait de l’absorption de l’énergie par les tampons.

Les aiguilles sont manœuvrées par des moteurs électriques. Leurs translations est beaucoup plus rapide que celles situées sur les voies principales.

Les freins de voie commandés depuis le poste de débranchement par un freineur sont de type pneumatique. Il faut une certaine dextérité pour maitriser ce poste de travail car une action trop importante peut arrêter le wagon qui risque alors d’être percuté par ceux qui suivent et une action trop faible peut ne pas assez le ralentir. Il faut donc tenir compte de différents paramètres selon que le wagon est bon ou mauvais rouleur.

Pour commander les aiguilles lors des débranchements, plusieurs postes ont été développés. Ceux à manettes ou à boutons poussoirs sur une table géographique, ceux à leviers d’itinéraires puis ceux, plus automatisés, commandés par une bille dans un poste électrique de type RL (Robert Lévi son inventeur dans les années 30) plus communément appelé : poste à billes.

L’originalité de ce poste réside dans la commande des aiguilles par les wagons eux-mêmes au fur et à mesure de leurs avancements. Les voies de chaque wagon ou coupe sont commandées par l’agent de bosse au moyen de boutons poussoirs. L’affichage de cette voie est répété au poste principal de débranchement par l’intermédiaire d’un tableau lumineux appelé DEMM. A partir de ce moment, le combinateur à billes prend en charge le wagon au moyen d’une bille qui va descendre dans un tube au fur et à mesure de l’avancement du wagon. A chaque étage de descente, la bille établit un contact avec un relais qui commande l’aiguille en aval du mouvement. Le premier déclenchement de l’aiguille est en général réalisé par une cellule photoélectrique qui détecte le passage du wagon. Par la suite ce sont les zones isolées d’aiguille qui déclenchent, lors de leurs occupations successives, l’avancement de la bille (par basculement du trébuchet retenant la bille à l’étage supérieur). Pour que l’aiguille qui suit soit manœuvrée, il faut que sa zone ait été au préalable libérée par le wagon précédent. Si ce n’est pas le cas le wagon « rattrapeur » sera dévoyé puisqu’il suivra l’itinéraire du précédent. On en est avisé dans le poste par l’éjection de la bille qui ne peut plus suivre son cheminement initialement prévu.

J’ai eu le plaisir de voir fonctionner ce type de poste sur deux sites où j’ai travaillé : Juvisy et Rungis.

Vous pouvez trouver facilement des photos de postes à billes sur internet comme celle-ci par exemple : http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/postes-d-aiguillage-de-la-gare-de-rennes/56186bb8-3148-4cba-a992-a586aad913ef/illustration/12

Dans le même local que le poste à billes, on trouve la table de commande manuelle des itinéraires utilisable en cas de dysfonctionnement du combinateur. Celle-ci est couramment appelée « queue de paon » en raison de sa forme.

Enfin, le poste du freineur complète l’équipement du poste de débranchement.

C’est dans ce faisceau de débranchement que l’on trouvait les enrayeurs ou sabotiers dans une appellation plus ancienne.  J’en parlerai dans un article spécifique.

A l’autre extrémité de ce faisceau se trouve la partie formation commandée par le chef formation. Les trains sont formés puis visités avant le départ. Certains wagons peuvent être réformés, il convient alors selon la nature de la réforme de les manœuvrer vers le chantier entretien. C’est également sur cette partie qu’est effectuée la vérification du fonctionnement des freins.

Une fois ces opérations terminées, les trains peuvent être amenés au faisceau d’attente départ.

4) Faisceau d’attente départ.

Composé de plusieurs voies dont le nombre varie en fonction de l’importance du triage, le faisceau d’attente au départ reçoit les trains en instance de départ. Les machines de route sont mises en tête côté Nord ou côté Sud  (voir schéma) en fonction du sens de départ du train. Ces locomotives peuvent provenir soit du dépôt, soit d’un train à l’arrivée par réutilisation de la machine ou même directement en HLP depuis un autre dépôt ou gare. L’essai de frein est réalisé sur ce faisceau.

5) Tir au but

L’ultime modernisation des triages a consisté à piloter le débranchement et le freinage des wagons  par ordinateur.

Le freinage est réalisé au moyen de deux « étages » de frein à mâchoires :

- le primaire situé en tête de faisceau qui a pour fonction de réduire par deux la vitesse du wagon pour la porter entre 4 et 5m/s soit entre 15 et 18km/h

- le secondaire situé en tête de chaque voie de classement qui a pour mission de réaliser le tir au but c'est-à-dire de faire accoster le wagon le plus lentement possible sur le wagon situé le plus haut sur la voie de réception. Il existe un dispositif (MVO) qui mesure l’occupation de la voie.

De nombreux paramètres sont pris en compte par l’informatique pour doser les différents étages de frein de telle sorte que les wagons entrent en contact sans choc. Parmi ceux-ci on peut citer :

- le poids du wagon,

- sa vitesse (mesurée à différents endroits)

- la force du vent et sa direction

- la qualité du roulement du wagon (bon ou mauvais rouleur).

Les aiguilles sont commandées automatiquement par les ordinateurs. L’entrée manuelle des voies destinataires des coupes est effectuée par l’agent de bosse qui dispose d’un clavier numérique. Il peut enregistrer à l’avance la totalité des coupes du train et leurs affectations sur les voies correspondantes.

Dans ses triages modernisés, il est en général fait usage de locomotives de manœuvre télécommandées ce qui améliore la précision des vitesses de refoulement en bosse.

 L’informatisation et l’automatisation ont permis de faire progresser les cadences de débranchement et d’augmenter la qualité des débranchements en réduisant les chocs.

Conclusion

Les améliorations successives apportées au fonctionnement des triages n’ont pas été suffisantes pour enrayer le déclin du wagon isolé. Aujourd’hui, seulement quatre triages perpétuent ce mode d’exploitation propre au ferroviaire. Seule une meilleure prise en compte des impacts environnementaux dans les transports, par une politique volontariste en ce domaine, permettrait de sauver ce qu’il reste du fret par chemin de fer, du moins dans les secteurs où il a encore sa pertinence.

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