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Cheminot Transport

Les mécaniciens et les chauffeurs au 19ième et au début du 20ième siècle.

Sources : Règlement concernant les mécaniciens et chauffeurs Compagnie de l'Est; Règlement pour les mécaniciens et chauffeurs compagnie PLM; Les mécaniciens de chemins de fer/ Emile Formstecher 1885:site Gallica Gallica.bnf.fr / BnF   La Science et la Vie 1 juin 1925 site https://www.retronews.fr/,

Les mécaniciens et les chauffeurs

Notre Métier du 06 avril 1948 ANMT fonds Henri Petiet 1993 124 28

Photo tirée de la revue Notre Métier du 06 avril 1948 ANMT fonds Henri Petiet 1993 124 28. Vue à l’exposition les « Gens du rail » présentée aux Archives Nationale du Monde du Travail de Roubaix que je vous invite vivement à visiter (jusqu’au 31 août 2021). Cette jeune et jolie demoiselle était « Miss SNCF ». La légende nous apprend qu’elle se faisait « montrer les rouages et les leviers de commande d’une locomotive »

Les mécaniciens et chauffeurs du 19ième siècle et du début du 20ième

N’hésitons pas à rendre hommage à ces hommes qui, bien qu’exerçant  leurs métiers avec passion, le vivaient dans des conditions ressemblant plus à des travaux forcés qu’à une partie de plaisir.

- Imaginez que vous passez des heures debout avec les trépidations de la machine qui se répercutent dans les jambes et qui persistent encore longtemps après votre arrivée à destination.

- Pensez aux courants d’air qui traversent de part en part ce que l’on appelait « l’abri » de la locomotive alors que cet espace était ouvert à tous les vents.

- Imaginez encore les flots de fumée noire qui laissent sur votre face une pellicule  brune collante qui s’incruste dans la peau ; pensez-aussi aux gouttes de vapeur condensée qui viennent frapper votre visage tels d’incessants  picotements d’aiguille.

- Réfléchissez enfin aux conditions de circulation sous une pluie battante ou sous une bourrasque de neige qui mouillait les vêtements en vous rendant transi de froid. Vous pourriez-dire que le foyer devait les réchauffer et qu’il suffisait de s’en approcher. En effet, si vous préfériez être grillé de la tête au pied, il suffisait de se tenir proche de cette fournaise qu’il fallait maintenir en activité quoi qu’il arrive.

Si j’ai commencé par donner un aperçu des conditions de travail dans lesquelles ces forçats du rail, que d’aucuns appelés les « seigneurs du rail » et d’autres plus justement « les gueules noires », c’est pour poser le cadre dans lequel ils devaient appliquer les règlements qui parfois relevaient du domaine de l’absurde.

Règlement PLM site Gallica Gallica.bnf.fr / BnF 

J’en veux pour preuve le texte du dernier article du règlement des mécaniciens et chauffeurs du PLM qui stipulait au sujet des conversations échangées à bord de la locomotive :

« Ils doivent échanger à voix basse les communications nécessaires au service et s’abstenir de cris et de conversations inutiles »

Quand on sait le bruit qui régnait dans l’abri d’une locomotive et le vent qui étouffait les sons, on peut penser que celui qui a rédigé l’article devait croire que les personnes en question devaient travailler dans l’atmosphère feutrée d’un salon où l’on cause tout  en prenant le thé !

Commençons par les exigences demandées pour exercer ce métier :

Sur l’Est, il était précisait que « les mécaniciens doivent être ajusteur-monteur et capable de réparer leur machine » La voie royale passait par l’apprentissage dans les centres de maintenance et d’entretien des réseaux. On les recrutait parmi les ouvriers d’atelier qui devenaient d’abord chauffeur puis élève mécanicien pour terminer mécanicien en titre. La revue science et vie de juin 1925 nous apprend qu’ils étaient former aux fonctions successives par des conférences (cours) des examens et surtout par l’instruction directe sur le locomotive sous la direction de chefs mécaniciens.

L’autorisation d’exercer ces fonctions était attestée par un « certificat de capacité » qui donnait l’assurance que l’agent en question avait toutes les compétences, tant théoriques que pratiques, pour conduire le train. Ce certificat, qui existait dès le début du chemin de fer dans les années 1830, a perduré jusque dans les années 1970/1980. Il a été remplacé par une « autorisation de fonction » qui a la même utilité.

science et vie juin 1925 site https://www.retronews.fr/

L’organisation du travail.

Le respect de l’heure à la prise de service était l’exigence de base que l’on ne devait pas enfreindre sous peine « d’une pénalité sévère qui, en cas de récidive pourra aller jusqu’au renvoi » art 15 du règlement de l’Est.

Les réseaux de chemins de fer français, contrairement à leurs homologues étrangers, s’efforçaient d’affecter une locomotive à vapeur à un binôme mécanicien/chauffeur sauf dans les périodes de pointe où le parc était plus sollicité. Ce mode de gestion que l’on peut trouver dispendieux de prime abord en raison du capital dormant, la locomotive n’étant utilisée qu’une fraction de son temps, semblait donner satisfaction aux dirigeants compte tenu du soin apporté par le titulaire à sa machine et de la parfaite connaissance de l'engin qu’avait l’équipe.

Une fois la locomotive affectée, les hommes et la machine étaient incorporés dans un roulement qui regroupait les machines de même série auxquelles étaient confiés des trains de voyageurs ou de marchandises selon la typologie de locomotive. Construit sur la base de 30 journées, les roulements prévoyaient que durant le cycle, les mécaniciens et leurs chauffeurs devaient assurer la conduite de 42 circulations représentant une moyenne de 200km journalier et fournir en moyenne 7h45mn de travail effectif par jour . Cette durée avait été réduite sensiblement en 1919, la limite étant fixée à 8h par jour  pendant 6 jours soit 48 heures par semaine. L’amplitude journalière (travail + coupure) ne devant pas dépasser 10 heures.  Les repos, après la période de travail de six jours, devaient durer au minimum 38 heures. Le repos journalier pris au domicile devait être d’au moins 14 heures mais s’il était pris en déplacement, il était réduit à 9 heures.

La mission générale des mécaniciens et des chauffeurs.

Les mécaniciens étaient chargés de la conduite et de l’entretien des machines et des tenders pendant la marche. L’Est mettait également à leur charge la propreté de la locomotive.

Les chauffeurs, sous la surveillance des mécaniciens, étaient chargés du nettoyage de la machine, du graissage, de la manœuvre du frein et de l’alimentation du foyer.

Les mécaniciens et les chauffeurs étaient responsables de tous les faits de leur service.

Il était précisé que pour les manœuvres dans les gares, ils étaient sous les ordres du chef de gare et que pour le service du train ils étaient placés sous la responsabilité du chef de train.

Le chauffeur devait pouvoir arrêter la locomotive en cas de défaillance du mécanicien.

Au-delà de ces attributions techniques, on attendait du chauffeur qu’il soit irréprochable dans les 3 domaines suivants sachant qu’il était intéressé pécuniairement aux 2 derniers et sanctionnés financièrement en cas d’erreur sur le premier.

- l’observation des signaux et l’application des règles de sécurité qui en découlaient,

- l’horaire de la marche du train,

- les économies d’énergie (charbon, eau etc.)

Sur le premier point, nous verrons plus avant dans la conduite du train les conduites à tenir dans différentes situations que le mécanicien rencontrait en pleine voie, aux bifurcations ou dans les gares.

Sur le deuxième point, le respect de l’horaire était la hantise de toutes les équipes de conduite. Sur le règlement de l’Est on rappelait qu’il était interdit d’arriver dans une gare du parcours en avance (toute avance de plus de 3 minutes étaient sanctionnée par une amende) et qu’il était fortement conseillé de ne pas arriver en retard. Pour cela les mécaniciens devaient user de tous les moyens en leur pouvoir pour rattraper les retards éventuels dans un cadre très contraint. En effet, au début du 20ième siècle et jusqu’au milieu des années 30, la vitesse des trains rapides était limitée à 120km/h depuis un décret datant de Napoléon III. Cette limitation de vitesse trouvait sa justification dans les distances d’implantation des signaux qui correspondaient  à l’espace nécessaire à un train pour s’arrêter à 120 km/h. La prime de traction tenait compte des rattrapages de retard dans la mesure où il n’était pas imputable au conducteur. Tout retard dont il était à l’origine devait être justifié et pouvait faire l’objet d’une retenue ou d’une amende si l’origine était le fait d’une quelconque négligence de celui-ci.

Sur le troisième point, les réseaux estimaient qu’entre un bon mécanicien qui savait utiliser au mieux sa machine et un mécanicien « standard » la différence de consommation pouvait aller jusqu’à 10%. Quand on sait que les chemins de fer consommaient  10 millions de tonnes de charbon par an, l’économie potentielle était donc de 1 million de tonnes ce qui était considérable. Le mécaniciens était jugé sur leur capacité à faire mieux que l’estimation de consommation qui était calculée pour chaque marche. Lorsqu’il faisait mieux que l’allocation de charbon à laquelle il avait droit pour un parcours, il avait une prime, s’il faisait moins bien, il avait une pénalité.

Voyons à présent les obligations techniques du mécanicien sur le parcours de son train depuis la prise de la machine au dépôt jusqu’à l’arrivée à l’étape de relais.

Mais avant cela, suivons l’équipe de conduite à son arrivée au dépôt ou au relais de locomotive. Après être passés à la feuille (commande du personnel) pour prendre les consignes et pointer leurs présences, nos deux compères pouvaient faire une halte aux vestiaires qui étaient bien aménagés pour l’époque avec lavabos et douches.

La Science et la Vie 1 juin 1925 site https://www.retronews.fr/,

Puis ils se dirigeaient vers leurs locomotives que les équipes du dépôt avaient « bichonnées » durant leurs repos en entretenant le feu que l’on n’éteignait guère que pour nettoyer l’intérieur de la chaudière selon une périodicité décadaire. Commençait  alors la préparation de la machine.

Visite avant le départ

 « Le mécanicien doit faire avec le plus grand soin l’inspection de sa machine, vérifier les approvisionnements d’eau, de coke et d’huile et s’assurer si le feu a été bien piqué, si les tubes ont été bien nettoyés. Il est tenu de visiter les clavettes, les goupilles, les écrous (imaginez le nombre de pièces) ainsi que les pièces du mouvement, les essieux, le calage des roues, les pompes alimentaires (d’alimentation certainement) et les freins du tender » Au cas où le rédacteur de l’article aurait oublié quelque chose, il se couvrait en ajoutant : « afin d’avoir la certitude que tout se trouve en bon état » Autrement dit, le moindre pépin mécanique était imputable au mécanicien !

Sur le PLM on rentrait moins dans le détail mais on insistait sur le graissage qui relevait de la responsabilité du mécanicien qui pouvait se faire assister du chauffeur.

Lors de cette, visite, les différents feux de signalisation devaient être mis en place.

La mise en tête

Celle-ci devait s’effectuer 10 minutes au moins avant le départ. Lors des manœuvres effectuées en gare le mécanicien devait siffler longuement avant de se mettre en mouvement et s’avancer lentement. La notion de marche en manœuvre ne semblait pas être utilisée à l’époque.  Il faut dire que la responsabilité du mécanicien était encore plus grande qu’aujourd’hui puisqu’indépendamment de l’observation des signaux qu’il pouvait rencontrer ou qui pourraient lui être faits, il devait aussi  «avoir soin d’examiner les aiguilles avant d’y passer ; en cas d’incertitude il doit envoyer son chauffeur afin de s’assurer de leurs positions »

Une fois le raccordement au train effectué, le mécanicien devait s’assurer que la machine et son tender étaient correctement attelés puis il faisait graisser la locomotive par le chauffeur 5 minutes avant l’heure de départ.

Le départ du train

Une fois que le chef de gare avait informé le chef de train que tout était prêt au départ, ce dernier devait s’assurer que toutes les portières étaient fermées, que les opérations de graissage étaient terminées et qu’il pouvait faire sonner la cloche située sur le tender pour aviser le cas échéant,  l’équipe de conduite. Puis il transmettait le signal de départ à l’aide d’un sifflet.

Le conducteur donnait un long coup de sifflet puis ouvrait le régulateur progressivement pour éviter les à-coups. Dès que le train se mettait en mouvement, le mécanicien et le chauffeur devaient se tenir debout, le premier à côté du levier du régulateur, le second à proximité de la manivelle du frein. Tous les deux devaient observer fréquemment, tout au long du trajet, le comportement des wagons du train.

En cours de route

Le coup de sifflet de la machine était le principal moyen de communication et d’avertissement. Le conducteur devait en faire usage dans les conditions suivantes :

- deux coups de sifflets courts pour faire serrer les freins, un pour les desserrer.

- trois coups de sifflets prolongés à une bifurcation pour annoncer qu’il allait à droite et 4 coups prolongés pour la direction de gauche. Sur le PLM c’était un coup de sifflet prolongé pour aller à gauche et trois coups de sifflets prolongés pour aller à droite. De plus le mécanicien devait réduire sa vitesse au point de pouvoir s’arrêter en amont si les circonstances l’exigeaient.

- à 600 mètres d’un tunnel, d’une station, d’un passage à niveau masqué, ou d’un chantier d’ouvrier, le mécanicien devait faire un usage répété du sifflet.

- à 1000 mètres d’une station où il ne devait pas s’arrêter, le conducteur devait actionner le sifflet tant qu’il n’avait pas acquis l’assurance qu’il avait été bien observé par le personnel de la station.

En cas d’explosion de pétards, le mécanicien devait fermer le régulateur, ordonner au chauffeur de serrer le frein du tendeur et d'autre part, de prévenir, au moyen des coups de sifflet réglementaires le chef de train afin que celui-ci serre les freins. Si besoin, le conducteur pouvait faire « contre vapeur ». Une fois suffisamment ralenti, le train devait continuer à la vitesse d’un homme au pas en observant la voie de manière à pouvoir s’arrêter avant tout obstacle ou train et cela sur au moins 1500 mètres.

En cas d’arrêt en pleine voie, c’était au chauffeur qu’incombait la responsabilité de la couverture arrière qui, au milieu du 19ième siècle, devait s’effectuer à 800 mètres au moyen de pétards (sur l’Est la distance était de 600 mètres). Si la portion de voie était en pente de plus de 5mm/m, la couverture était portée à 1200 mètres et même à 1500 mètres au-dessus de 8mm/m.

L’arrivée en gare

A au moins 500 mètres de l’arrivée, le conducteur devait avoir ralenti suffisamment sa marche pour franchir les aiguilles d’entrée à vitesse limitée. Le régulateur étant fermé, il devait approcher lentement des quais à voyageurs de manière à être obligé de le rouvrir pour atteindre sont point d’arrêt définitif.

Le mécanicien et le chauffeur devaient veiller à ce que la vapeur à l’arrivée soit suffisamment en pression pour pouvoir exécuter des manœuvres.

Lors du stationnement en gare, le régulateur devait être fermé, le levier de changement de marche au point mort, le frein du tender serré et le clapet sur la cheminée fermé.

Une fois garée au dépôt, la locomotive devait de plus être calée et les leviers des soupapes de sûreté devaient être desserrés à 4,5 atmosphères.

Après le service

Toutes les facilités étaient offertes dans les « corps de garde » pour se laver, se restaurer, se divertir et se reposer. C’est ainsi que l’on trouvait des cuisines qui, selon la légende de la photo, seraient enviées par bien des ménagères tellement elles étaient bien équipées.

La Science et la Vie 1 juin 1925 site https://www.retronews.fr/,

 

L’équipe de conduite pouvait ensuite se restaurer au réfectoire en mangeant à volonté mais en buvant avec modération. Un article du règlement de l’Est prévoyait le renvoi immédiat en cas d’ivresse en ou hors service.

Règlement de l'Est site Gallica Gallica.bnf.fr / BnF 
La Science et la Vie 1 juin 1925 site https://www.retronews.fr/,

Après le repas, une salle de distraction, de lecture et de correspondance pour d’éventuels rapports était mise à leur disposition.

La Science et la Vie 1 juin 1925 site https://www.retronews.fr/,

Puis nos deux compères qui ne se quittaient jamais avaient droit à une chambre double

La Science et la Vie 1 juin 1925 site https://www.retronews.fr/,

Et après un repos de 9 heures pris hors résidence, notre chauffeur et notre mécanicien étaient frais et dispos pour refaire le trajet en sens inverse et retrouver leurs chères machines pour laquelle ils éprouvaient un si grand attachement et dont ils s’occupaient avec tant d’attentions.

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